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Ces gens ne pratiquaient pas la limitation des naissances ! Ma stupéfaction était indescriptible. La toute première chose que l’on nous apprend à l’école, ce sont les conséquences d’une politique de libre natalité. Si nous nous reproduisions comme des animaux, nous ne durerions même pas le temps d’une génération ! Une planète n’est rien d’autre qu’un Vaisseau de taille démesurée, et ces gens étaient, au même titre que nous, les héritiers d’une planète détruite par la libre natalité. Ils auraient pourtant dû savoir à quoi cela mène !

Évidemment, sur une planète, il n’est pas nécessaire de limiter les naissances aussi strictement que chez nous, mais un minimum de planification est nécessaire. Une famille de huit enfants est inexcusable. Et encore ces huit-là ne comprenaient-ils que ceux en âge de marcher. Et peut-être y avait-il même des enfants ayant fondé une famille ! C’était dégoûtant et immoral.

Cette vision m’emplit de révulsion, de peur et de colère. Il y avait trop de choses que je ne comprenais pas et que je ne pouvais accepter. Je maintins Ninc au pas jusqu’à la sortie de la ville, puis le poussai au galop. Je n’en pouvais plus.

Une fois arrivée à bonne distance, je le ramenai au pas. Je regrettais que Jimmy ne fût pas là pour échanger des idées. Comment apprend-on à connaître un pays comme celui-ci ? En écoutant aux portes ? Ce n’est ni élégant ni efficace. Sans compter que l’on risque de se faire prendre. Interroger les gens ? Qui ? C’est dangereux. Si jamais l’on se met à dos un homme comme Horst, on risque fort de finir assommé et les poches vidées. La meilleure idée qui me vint fut de consulter une bibliothèque – mais y en avait-il dans un pays aussi primitif ? Le seul bâtiment officiel que j’avais vu à Midland était une grande bâtisse de pierre portant une inscription pompeuse dans le genre « Tous égaux aux yeux de la loi », ou « La vérité est notre bouclier et la justice notre glaive », je ne me souviens plus bien.

Le long de la route, des panneaux indiquaient des noms de lieu avec la distance à laquelle ils se trouvaient. Un de ces noms, Forton, était écrit en caractères plus gros que les autres. J’hésitai un long moment, partagée entre le désir soudain de me transformer en tortue et celui de continuer à être un tigre. Sur la vieille Terre, il arrivait aux tortues d’atteindre l’âge de cent ans, vous savez – mais jamais aux tigres, et de loin. Finalement, je décidai de continuer. Je voulais atteindre une ville suffisamment grande pour m’y renseigner sans me faire remarquer, et, le cas échéant, pouvoir m’y perdre dans la foule.

Vers la fin de l’après-midi, alors que le soleil était déjà bas, il se produisit un événement curieux. La route traversait maintenant des collines assez douces, aux pentes partiellement défrichées. Soudain, j’aperçus, à assez haute altitude, la vedette, toute rouge dans le soleil couchant. Ma première pensée fut qu’il s’était passé quelque chose et qu’on revenait nous chercher.

Je sortis mon signal de la sacoche. La vedette descendit en décrivant une boucle serrée, de quoi donner le mal de mer à n’importe qui, le genre de manœuvre que seul effectue un novice, ou alors un casse-cou du genre de Georges.

Je déclenchai le signal, sans trop de regrets.

La vedette revint vers moi, puis fit plusieurs tonneaux de suite ; non, ce ne pouvait être Georges, mais seulement un imbécile incapable de se servir des commandes. Quand elle passa juste au-dessus de moi, je la regardai attentivement et vis que ce n’était pas une des nôtres. Elle n’était pas radicalement différente, mais il y avait pas mal de différences de détail.

Cela coupa court à mes espoirs, et soudain j’eus de nouveau mal partout. Peut-être la gravité était-elle plus forte que je ne l’avais cru. Quelle idée de penser que ce pouvait être Georges ! Je savais comme tout le monde que, quoi qu’il arrive, on ne revient jamais vous chercher avant que le mois ne soit écoulé.

Mais une autre question se posait : d’où cette vedette venait-elle ? Certainement pas de cette planète. Même en connaissant les secrets de fabrication – que nous n’aurions certainement pas divulgués à des bouseux – il faut de plus disposer d’une technologie avancée.

Ces questions toujours non résolues à l’esprit, je parvins à un campement identique à celui que j’avais vu au début de l’après-midi, jusques et y compris le puits et l’enclos à ciel ouvert. Plusieurs personnes étaient occupées à installer le campement pour la nuit ; c’était si tentant que je n’y résistai pas. Je m’engageai sur un chemin de terre menant au campement, en quête d’un site propice ; je jetai d’abord mon dévolu sur un endroit protégé, près de l’enclos, mais il y régnait une telle puanteur que je n’y restai pas.

Je gonflai ma tente et préparai mon dîner. Entre-temps, je vis arriver le chariot conduit par le vieillard qui m’avait saluée sur la route ; il alla se joindre aux autres. À une dizaine de mètres de moi, il y avait une tente avec trois jeunes enfants et leurs parents. Les gosses approchèrent pour m’examiner, et l’un d’eux parut prêt à m’adresser la parole, mais son père arriva à la hâte, me scruta du regard – j’étais en train de manger ma soupe – et les ramena avec lui.

Après le dîner, un grand feu fut allumé près du chariot du vieil homme, et tous vinrent s’assembler autour. Je fus attirée par leurs chants. Sans être bien fameux, ils étaient réconfortants. Comme tous les occupants du campement y allaient, je pensais que ma présence ne les gênerait pas. Les enfants furent installés au premier rang et leur mère, pauvre chose entravée, prit place sur une souche d’arbre ; avec les vêtements qu’elle portait, elle n’aurait pas pu s’asseoir par terre. Je restai à l’arrière-plan, sans attirer l’attention.

Un peu plus tard, le père décida qu’il était temps que les enfants aillent se coucher, mais ils ne voulurent pas bouger. Le vieil homme aux cheveux blancs proposa alors de leur conter une histoire. Racontée avec un curieux accent, à la lumière du feu de bois, son histoire semblait parfaitement appropriée à la situation.

Il s’agissait d’une gentille petite fille dont la belle-mère avait des dents de fer et de mauvaises intentions. La petite fille possédait un mouchoir, une perle et un peigne qu’elle avait hérités de sa défunte maman, et en plus un cœur d’or. Et cela lui avait suffi (tout juste) pour trouver un foyer et un prince, et tout le monde était heureux, sauf la belle-mère, qui regrettait son dîner.

Le vieil homme venait juste de finir, et les gosses partaient à contrecœur sous la conduite de leur mère, lorsque nous entendîmes un bruit de dispute à la lisière du camp. J’essayai de percer les ténèbres, mais mes yeux, accoutumés à la lumière des flammes, ne virent rien.

Une grosse voix disait : « Que je sois damné si je continue un seul jour de plus, Horst ! Nous aurions dû arriver depuis plus de deux heures, et c’est votre faute ! »

La voix de Horst répondit : « Vous avez signé, pour le meilleur et pour le pire. Si vous tenez à vos dents, cessez de rouspéter et fermez-la ! »

À ce moment, je compris d’ailleurs à quoi servait l’enclos. Je décidai que pour moi aussi il était temps de quitter le feu de camp. Je me levai et allai vers ma tente, évitant les hommes de Horst qui allaient parquer les créatures vertes dans l’enclos. Je dégonflai ma tente et roulai hâtivement mon sac de couchage, puis allai vers Ninc. Tout bien réfléchi, il n’y avait qu’une seule solution : décamper le plus vite possible.

Je n’en eus pas l’occasion.

J’allais juste sangler la selle lorsqu’une main se posa sur mon épaule. Je me retournai vivement.