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« Tiens, tiens, » dit l’homme. « Hé ! Horst ! Viens voir qui j’ai trouvé ici ! »

C’était celui qui avait dit en guise de plaisanterie que j’étais si petit qu’un Losel ne me verrait même pas. Il était seul, mais, maintenant qu’il les avait avertis, les autres n’allaient pas tarder à arriver.

J’abattis la selle sur lui de toutes mes forces ; il tomba, mais se releva presque aussitôt, et je le frappai de nouveau. Laissant tomber la selle, j’allais sortir mon pistolet, mais, juste à ce moment, quelqu’un me saisit par-derrière et m’immobilisa les bras.

J’ouvris la bouche pour crier – j’ai une voix perçante – mais une énorme patte sentant la sueur s’abattit sur ma bouche. Je la mordis, fort – cela fait dans les mille kilos par centimètre carré si l’on mord vraiment fort, je crois – mais il ne me lâcha pas. Mes coups de pied ne lui firent pas plus d’effet. Un bras passé autour de ma taille, et la main toujours sur ma bouche, Horst m’entraîna de force.

Arrivés derrière l’enclos, où l’on ne pouvait pas nous entendre, il me jeta par terre et me dit : « Si tu cries, je vais te faire mal ! »

Il s’était exprimé bêtement, mais cela me fit plus d’effet que s’il m’avait dit : « Je vais te casser le bras, » ou quelque chose d’aussi précis. Cela lui laissait une plus grande latitude. À la lumière de la lune, qui était assez forte, il examina sa main. « Je devrais t’assommer ! » grommela-t-il. « Au moins, il n’y aurait pas de sang ! »

Celui qui avait pris la selle sur la tête arriva, encore un peu chancelant. En me voyant, il s’apprêta à me donner un coup de pied, mais Horst ne lui en laissa pas le temps :

« Non. Fouille ses affaires, et prends ce qui peut nous servir, ainsi que le cheval, bien sûr. »

L’autre ne bougea pas. Leurs compagnons étaient occupés avec les animaux, et ils se trouvaient donc face à face.

« Alors ? » l’apostropha Horst sur un ton menaçant. L’homme hésita un instant, puis obéit. J’avais l’impression que Horst se fichait pas mal que je me fasse tabasser, mais qu’il tenait à montrer que lui seul en avait le droit.

Mais je n’étais pas au bout du rouleau. En dépit de ma formation théorique, je n’étais pas certaine de pouvoir venir à bout de Horst, mais j’avais toujours le pistolet, caché sous mon manteau.

Il se tourna vers moi, et je lui dis avec fermeté : « Non, vous ne ferez pas ça ! Vous ne vous en tirerez pas ! »

Ce n’était pas très malin, sans doute, mais il fallait bien dire quelque chose.

— « Écoute, mon gars, » dit Horst, « tu ne t’en rends peut-être pas compte, mais tu t’es mis dans de sales draps. Alors, ne m’embête pas, compris ? »

Il me prenait toujours pour un garçon. Ce n’était pas le moment de le détromper, mais je dois dire que je n’étais guère flattée.

« Je vous poursuivrai devant les tribunaux ! »

Il éclata de rire. Un vrai rire, pas forcé. J’avais dû commettre une erreur.

— « Ah ! mon gars ! Ne me parle pas des tribunaux ! Je te fais une faveur. Je vais te prendre ce qui peut me servir dans ton fourbi, puis je te laisserai partir. Si tu vas au tribunal, ils te prendront tout et t’enfermeront par-dessus le marché. Moi, je te laisse au moins la liberté. »

— « Mais pourquoi ? » dis-je. « Pourquoi me feraient-ils cela ? » Tout en parlant, je glissai ma main sous mon manteau. Je sentais déjà la froide poignée de mon pistolet.

— « Chaque mot que tu dis prouve que tu viens d’un Vaisseau, » dit Horst. « Ça suffirait largement. Ils ont déjà un des vôtres à la prison de Forton. »

J’allais juste sortir mon pistolet lorsque Jack arriva, tirant Ninc derrière lui. Je le remerciai mentalement.

« Le gosse a un chouette équipement, » dit-il. « Mais y a un truc que j’sais pas à quoi ça peut servir. » Dans sa main libre, il tenait mon signal de contact.

Horst le prit, l’examina, puis le lui rendit. « Sans valeur. Tu peux le jeter. »

Je pointai mon pistolet sur eux (l’aventurière montrait de nouveau le bout de son nez).

« Donnez-moi ça ! Et doucement, s’il vous plaît ! »

Jack le déposa dans ma main et je le mis dans ma poche.

Puis, les couvrant toujours de mon arme, je posai négligemment mon autre main sur la croupe de Ninc.

« Et comment s’appelle ce garçon fait prisonnier à Forton ? »

— « On nous l’a dit à Midland, » répondit Horst, « mais je ne m’en souviens plus. »

— « Réfléchissez bien ! » lançai-je.

— « Je crois que ça me revient. Un instant…»

J’attendis. Soudain, un coup brutal me paralysa le bras, et je dus lâcher mon pistolet. Jack se précipita pour le ramasser, et Horst dit à celui qui était arrivé derrière moi : « Bravo ! Beau travail ! »

Je me sentais totalement stupide.

Horst avança vers moi, mit sa main dans ma poche et prit mon signal, le seul contact que j’avais avec la vedette et mon unique espoir de retrouver le Vaisseau. Il le laissa tomber par terre et dit d’une voix plus sarcastique que la mienne ne le serait jamais, car chez lui c’était naturel : « Tu pourras garder les morceaux ! »

Ce disant, il marcha dessus de toutes ses forces, mais la boîte ne se fêla même pas. Coléreusement, il tapa encore dessus plusieurs fois, et réussit finalement à la mettre en morceaux. Les morceaux de ma vie.

Puis, il me dit : « Je t’apprendrai à me menacer deux fois avec un pistolet ! Deux fois ! » (Il me gifla si fort que les oreilles m’en tintèrent.) « Espèce de petit tordu, va ! »

Je le regardai bien en face et lui répondis d’une voix haute et claire : « Et toi, espèce de grand salaud ! » J’aurais mieux fait de me taire. Je me souviens seulement d’une vive douleur quand son poing vint frapper ma mâchoire, puis plus rien.

La cervelle, ça n’est bon à rien si l’on ne s’en sert pas !

16

Je me souviens vaguement de la douleur, de la nausée et d’une impression de mouvement. Puis, plus rien. Ensuite, je me rappelle de m’être réveillée dans un lit, dans une chambre inconnue. Je ne savais pas combien de temps s’était écoulé entre ces deux souvenirs. J’avais un violent mal de tête et ma mâchoire me faisait mal dès que je la touchais. Je ne savais pas où j’étais, ni pourquoi je m’y trouvais ; je ne savais même pas pourquoi j’avais si mal.

Puis, soudain, comme une bulle de savon qui éclate, ma confusion disparut, et je me souvins de tout. J’essayais péniblement de me lever lorsque le vieil homme qui avait raconté l’histoire entra.

« Alors, ma jeune demoiselle, comment allez-vous ce matin ? » me demanda-t-il. Son visage était rouge, ses cheveux blancs, et ses yeux profondément enfoncés, bleu vif. Il respirait la force et la bonté.

— « Pas très bien, » répondis-je. « Depuis combien de temps suis-je ici ? »

— « Depuis deux jours. Et le docteur dit que vous vous remettrez bientôt. Je m’appelle Daniel Kutsov. Et vous ? »

— « Mia Laflèche. »

— « Je vous ai trouvée derrière l’enclos, après le départ de Horst Fanger. »

— « Vous le connaissez ? »

— « J’ai entendu parler de lui, comme tout le monde. Un homme très déplaisant, et ce n’est pas étonnant puisque son métier consiste à faire le commerce des Losels. »

— « Ces êtres verts s’appellent des Losels ? Pourquoi ont-ils si peur ? »

— « Ceux que vous avez vus étaient drogués. Autrement, ils n’obéiraient pas. Une fois de temps en temps, quelques-uns sont plus forts que la drogue et se sauvent dans les bois. On ne peut pas utiliser une drogue trop forte, sinon ils ne pourraient plus travailler. Et les plus forts s’échappent. Ils sont dangereux, surtout pour des hommes comme Horst, qui les achètent aux navires les amenant sur la côte. Souvent, on fait des battues pour tuer ceux qui se sont échappés. »