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Mon cœur se décrocha.

« Un vrai sale type. Il a déjà tué un homme ! »

Mon cœur se remit à battre normalement. Ce n’était certainement pas Jimmy et sa violation de domicile.

Au second, il y avait trois portes faites de barreaux d’acier avant même d’arriver aux cellules, sans compter un garde armé à chaque bout du couloir. L’éclairage était fourni par des lampes à huile dont la lumière était chaude et jaune. Nous n’allâmes pas plus loin que la première porte. Le sergent Robards m’expliqua comment c’était. Il ajouta tristement : « La semaine prochaine, ça sera plein. Les anti-inflationnistes recommencent à s’agiter, et il va falloir les calmer. Hum… Mais n’écris pas cela dans ta rédaction, hein ? »

— « Oh non ! Certainement pas ! » lui assurai-je.

Les cellules ordinaires du premier étage étaient bien moins impressionnantes, et j’eus droit à une visite guidée. Aux côtés de Robards, je parcourus le couloir central, jetant un coup d’œil dans chaque cellule, au passage. Cela me donna l’occasion de regarder Jimmy Dentremont bien en face ; il fit comme s’il ne m’avait même pas vue. J’ai toujours su qu’il était un garçon intelligent – et adorable.

Le sergent Robards me désigna les cellules.

« Tous ceux-là ont été condamnés à des peines légères. Une semaine, deux à trois mois au maximum. » Il agita son trousseau de clefs. « Ils sortiront dans peu de temps. »

Lorsque nous fûmes redescendus dans le hall, je le remerciai chaleureusement :

« Vraiment, sergent, ça a été passionnant. »

— « Ne me remercie pas, ça m’a fait plaisir. Si jamais tu as le temps, reviens me voir un jour où je serai de service. Les jours de garde sont affichés au tableau. »

— « Merci, » lui dis-je. « J’espère que je pourrai. »

Je revins à la maison en courant sous la pluie. Lorsque M. Kutsov rentra, une heure plus tard, j’étais vêtue d’habits secs et “convenables” et je lisais tranquillement dans un fauteuil.

17

Avant de visiter la prison, je n’avais que des idées très vagues sur la façon dont je m’y prendrai pour faire sortir Jimmy. J’avais, par exemple, caressé l’idée d’obliger le gouverneur à le libérer, sous la menace d’un pistolet. J’y réfléchis longtemps, parce que l’idée me plaisait, mais je l’abandonnais parce qu’elle était stupide.

Je finis par me décider pour une procédure très simple. Il était fort possible que cela ne réussisse pas, mais le temps pressait et je ne pouvais compter que sur moi-même. Avant de quitter la prison, j’avais, comme me l’avait conseillé le sergent Robards, examiné attentivement la liste des tours de garde.

M. Kutsov partit deux jours plus tard, son chariot lourdement chargé.

« Je reviens dans six jours, Mia, » me dit-il. « J’espère que vous savez bien où tout se trouve et ce que vous devez faire ? »

Je le rassurai et le regardai partir. Je m’étais habillée en rose, parce que je savais qu’il aimait cette couleur. Je lui fis signe jusqu’à ce qu’il eût disparu, puis je rentrai dans la maison et lui écrivis une lettre. Je ne lui dis pas ce que j’allais faire, pour ne pas l’effrayer inutilement, mais je le remerciai de tout ce qu’il avait fait pour moi. Je la laissai dans la bibliothèque, où il la trouverait sûrement. J’étais désolée de le rendre malheureux, mais il m’était vraiment impossible de rester.

Ensuite, j’allai à la cuisine et rassemblai des provisions, ainsi que divers objets dont j’aurais besoin : des allumettes et des bougies, un couteau… Après en avoir fait un paquet, je remis mes vêtements de garçon.

Je partis dès la tombée de la nuit. Il tombait une pluie fine, qui me caressait agréablement le visage – c’était bien la première fois que j’appréciais la pluie. Dans une poche, j’avais un crayon et du papier ; ça, c’était pour mieux jouer mon rôle. Dans l’autre, j’avais une chaussette, de la ficelle très solide et des allumettes.

Je m’étais dit que la prison était, certes, une forteresse, avec des barreaux, des chiens, des fusils… mais tout cela était principalement destiné à empêcher les condamnés d’en sortir – mais pas tellement à empêcher les gens d’y entrer.

Dans les histoires de cow-boys que j’avais lues, il était coutumier d’entrer de force dans les prisons pour libérer quelqu’un. Cela faisait en quelque sorte partie de la vie quotidienne ; c’était prévu. Mais, ici, cela ne devait certainement pas se faire – ce n’était pas prévu, ce qui était un grand avantage pour moi. Je savais à quoi ressemblait la prison, et je savais aussi qui j’y trouverais. Et, quand ils me verraient arriver, ils ne me prendraient pas pour un bandit désespéré prêt à tout pour faire sortir un de ses complices, mais pour un petit écolier avide d’apprendre. Et c’était là, je pense, que résidait mon principal atout.

D’un autre côté, je ne pouvais compter que sur moi-même. Si je commettais la moindre erreur, ou si je n’avais pas de chance, je me retrouverais en prison aux côtés de Jimmy, et sûrement au deuxième étage par-dessus le marché !

Peu avant d’arriver à la prison, je m’agenouillai sur le sol et emplis à moitié la chaussette de sable humide.

Cette fois-ci, je n’hésitai pas. J’allai droit vers le portail. Seuls deux des bureaux donnant sur le hall étaient éclairés par des lampes à huile. Je regardai dans le premier. Le sergent Robards était là.

« Bonjour, sergent, » lui dis-je. « Comment allez-vous, ce soir ? »

— « Bonjour, Billy. Pour le moment, tout est calme, mais ça ne va pas durer. »

— « Ah oui ? »

— « Oui. Cette nuit on va arrêter les anti-Rédemptionnistes. Les gars viennent juste de partir. Tu ne pourras pas rester longtemps. »

— « Oh ! »

— « Et ta rédaction, ça a marché ? »

Cela me prit au dépourvu, mais j’eus vite fait de me ressaisir.

— « Je viens juste de la terminer ; je ne la rends que demain. »

— « Tu as vu tout ce que tu voulais voir, alors ? »

— « Oui, oui. J’étais juste venu vous dire bonjour. Et puis, vous vous souvenez, au stand de tir, vous m’aviez dit qu’un jour vous me montreriez…»

Il regarda l’horloge murale.

— « D’accord. Je suis champion de la ville, tu sais. »

— « Formidable ! » m’exclamai-je, tout en me disant que je devais avoir l’air bien stupide.

Nous descendîmes au sous-sol ; Robards marchait devant moi, nous éclairant avec une lampe. Arrivé près de la salle de tir, il prit son trousseau et chercha la clef. Je sortis la chaussette bourrée de sable de ma poche. J’hésitai : il n’est pas facile de se décider à faire mal délibérément à quelqu’un. Mais, juste à ce moment, il tourna la tête pour me dire quelque chose. Sans réfléchir davantage, j’abattis de toutes mes forces la chaussette sur sa nuque. Il s’effondra. J’essayai de le retenir, mais il était trop lourd pour moi. En le poussant contre le mur, je réussis pourtant à freiner sa chute et l’étendis doucement sur le sol. Je laissai la lampe là où il l’avait posée.

L’arsenal se trouvait de l’autre côté de la salle. Je pris le trousseau de la main de Robards ; la clef que je cherchais devait être une de celles se trouvant à côté de celle du stand de tir. En effet, la porte s’ouvrit au second essai. Je retournai auprès du sergent Robards, l’empoignai par le col de sa veste et parvins à le traîner jusque dans l’arsenal. Ensuite, je sortis ma cordelette et lui liai les pieds et les mains, vidai le sable contenu dans la chaussette et lui fourrai celle-ci dans la bouche. Mon cœur battait à se rompre, et ce fut en haletant que j’allai chercher la lampe.