Revenue dans l’arsenal, je passai en revue l’armement. Rien de moderne, bien sûr, rien que des antiquités fonctionnant à la poudre, avec des balles de plomb. Je ne m’en étais jamais servie, mais je savais que l’arme ne restait pas immobile lorsqu’on tirait – question de réaction et de forces égales et opposées, tout ça ; je choisis donc une paire des plus petits pistolets que je trouvais, et, en fouillant un tiroir, je finis par dénicher des balles de ce calibre. Je fourrai le tout dans ma poche.
Je refermai soigneusement la porte et restai un moment indécise, regardant les clefs. Il y en avait dix en tout. En tout cas, pas assez pour ouvrir toutes les cellules… J’aurais peut-être mieux fait d’aller menacer le gouverneur.
Le cœur battant, je soufflai la lampe et montai les escaliers à tâtons. Le hall du rez-de-chaussée était vide. Je m’engageai dans l’escalier de bois menant au premier, guidée par une petite lumière filtrant des étages. De tout en haut, au second, venait un bruit de voix et un rire soudain s’éleva. Retenant ma respiration, j’avançai sur la pointe des pieds jusqu’à la cellule de Jimmy.
Dès que je murmurai son nom, je l’entendis bouger. Arrivé à la porte grillagée, il me murmura : « Je suis heureux de te voir. »
— « J’ai les clefs, » lui répondis-je. « Laquelle est-ce ? »
— « Celle marquée ”D”. Elle ouvre les quatre cellules de ce côté. »
Comme je n’y voyais rien, je retournai près des escaliers pour la trouver. Ensuite, j’ouvris sa cellule en faisant le moins de bruit possible.
« Viens, » dis-je. « Il faut sortir d’ici en vitesse. »
Nous étions presque arrivés aux escaliers lorsque nous entendîmes quelqu’un monter. Nous nous collâmes contre le mur en retenant notre respiration.
Les pas approchèrent, puis s’arrêtèrent.
— « C’est toi, Robards ? » demanda la voix du policier. Puis, soudain, il nous aperçut. « Que signifie…»
Je fis un pas en avant et le menaçai d’un des pistolets ; je ne les avais même pas chargés, d’ailleurs…
« Du calme, » lui dis-je. « Nous n’avons rien à perdre ! Si tu tiens à ta vie, lève les mains ! »
Il s’exécuta.
« Bien ! Maintenant, passe devant moi ! »
Nous le fîmes entrer dans la cellule que Jimmy venait de quitter. Juste avant de refermer la porte, je le frappai à la tête de la crosse du pistolet. Je dus lui faire plus de mal qu’à Robards ; le fer, c’est quand même plus dur que du sable ! Mais cela me fit moins d’effet, car je ne le connaissais pas personnellement. Il poussa un gémissement et s’écroula. Je ne tentai pas d’amortir sa chute. Je venais de refermer la porte lorsque j’entendis murmurer dans une des autres cellules, puis une voix dire très distinctement : « Ta gueule ! »
Je me tournai dans la direction des voix : « Vous voulez vous faire descendre ? »
Une voix calme et neutre nous répondit : « Non, non, on ne cherche pas d’ennuis. »
« Vous voulez qu’on vous fasse sortir ? »
La voix se fit amusée : « Non, vraiment pas. Merci quand même. Je dois sortir demain et, franchement, je préfère attendre. »
« Viens, » dit Jimmy. « Ne perdons pas de temps. » Vers le milieu des escaliers je lui demandai : « Où est ton signal ? Il nous le faut absolument. »
— « Je ne l’ai pas… Les soldats qui m’ont arrêté m’ont tout pris, sauf mes vêtements. »
— « Eh bien ! on est dans de sales draps ! » dis-je, dépitée. « Le mien est brisé, irrécupérable. »
— « Oh non ! » s’exclama Jimmy avec une douloureuse surprise. « Et moi qui comptais sur toi ! Il faut donc absolument retrouver le mien ! »
C’était vite dit. Nous nous perdîmes dans la nuit. Au bout de quelques centaines de mètres, dans une petite rue déserte, Jimmy me prit dans ses bras et nous nous embrassâmes longuement. Ensuite, je lui donnai un des pistolets et la moitié des munitions. Il le chargea immédiatement.
« Dis-moi, Mia… Tu aurais réellement tiré sur le gardien ? »
— « Je n’aurais pas pu. Le pistolet n’était pas chargé. »
Cela le fit rire. Redevenant sérieux, il me demanda : « Et que faisons-nous maintenant ? »
— « Nous allons voler des chevaux, » dis-je sans un instant d’hésitation. « Et je sais où. »
— « Tu crois vraiment ? »
— « Le type auquel on va les prendre m’a volé Ninc et tout ce que je possédais. Il a brisé mon signal, et m’a battue. »
— « Il t’a battue ? » demanda Jimmy, inquiet.
— « Oui, mais ça va maintenant. Je m’en suis remise. »
Une odeur fétide régnait sur tout le quartier ; loin de la dissiper, la pluie semblait la rendre plus tenace et plus écœurante encore. Il y avait des écuries à Losels tout le long de la rue. Arrivés à l’enclos de Fanger, nous nous glissâmes sans bruit à l’intérieur. Je ne sais si les Losels nous avaient entendus ; toujours est-il qu’ils restèrent silencieux. J’avais repéré l’écurie. Jimmy en referma la porte derrière nous.
« Non, » lui dis-je. « Va monter la garde dehors. Ce sont des gens dangereux, prêts à tout. Je me charge de choisir les chevaux. »
Je grattai une allumette et, apercevant une lampe, l’allumai. J’eus vite fait de découvrir mon brave vieux Ninc ; sa selle était accrochée près de lui. Après l’avoir fixée, je choisis un cheval noir et blanc d’assez petite taille pour Jimmy, ainsi qu’une selle et des sacs de selle.
Cela fait, je regardai dans tous les recoins de l’écurie ; à ma surprise, j’y découvris ma tente gonflable – ils n’avaient sans doute pas découvert comment elle fonctionnait – et même mon sac de couchage. Je fis mon deuil du reste de mes possessions. Il faudrait que Jimmy me passe quelques-uns de ses vêtements.
Obéissant à une impulsion, je pris mon carnet juste avant de sortir. J’écrivis : « Je suis une fille, espèce de bouseux ! » puis j’arrachai la page et l’accrochai à un clou. Ensuite, je soufflai la lampe et ressortis avec les chevaux.
Arrivés dans la rue, nous les montâmes. Je ne regrettais pas d’avoir laissé ce mot, mais de ne pas avoir trouvé un meilleur nom que “bouseux”. Tout en chevauchant, je demandai à Jimmy comment il s’était fait prendre.
« Au nord de la ville, il y a un camp militaire. Et ils ont une vedette, volée à un des autres Vaisseaux. »
— « Je l’ai vue l’autre jour. »
— « Je me suis fait prendre pendant que j’examinais les lieux. C’est là qu’ils m’ont confisqué toutes mes affaires. »
— « J’ai une carte, » dis-je.
Comme mes copies étaient complètement ratées, je m’étais, à contrecœur, décidée à emporter une des cartes de M. Kutsov. « Ainsi, nous trouverons facilement le chemin. »
Je lui parlai de M. Kutsov.
« Il est parti cet après-midi. J’ai rassemblé un certain nombre de choses dont nous aurons besoin, et il va falloir passer les prendre. Plus vite nous nous éloignerons de cette ville, mieux cela vaudra. »
Nous contournâmes la maison pour entrer par le jardin.
« Tiens les chevaux » dis-je à Jimmy. « J’en ai pour une minute. »
À peine étais-je entrée dans la maison que j’entendis la voix de M. Kutsov : « Bonjour, Mia. »
— « Bonjour, » dis-je en refermant la porte.
— « Je suis revenu, » dit-il. « Et j’ai lu votre mot. »
— « Pourquoi êtes-vous revenu ? »
— « J’avais des scrupules à vous laisser seule ici, » dit-il tristement. « Je suis désolé. Je vous avais sous-estimée. C’est un autre enfant des Vaisseaux qui est dehors ? »