Luttant contre notre lassitude, nous finîmes par attacher les chevaux à l’abri d’un bouquet d’arbres. Pendant que je gonflais la tente, Jimmy sortait le sac de couchage. Nous mîmes toutes nos affaires à l’abri sous la tente, car il continuait à pleuvoir. Il nous restait juste assez de place pour s’allonger. Nous laissâmes la lampe allumée le temps de nous déshabiller. Ce ne fut pas facile, car nos vêtements étaient trempés et la tente était exiguë. Ce n’est pas agréable, croyez-moi, de s’asseoir le derrière nu sur une selle froide et humide. Jimmy avait davantage de poils que je ne l’aurais cru. Finalement, nous étalâmes nos vêtements pour qu’ils sèchent et nous nous couchâmes.
Le sac de couchage était glacé, et je passai mes bras autour de Jimmy. Sa peau aussi était froide, au début du moins, mais son corps était solide et réconfortant. Et j’avais besoin de réconfort. Lui aussi, je crois.
Je lui touchai la joue. « Je ne t’en veux plus, tu sais. »
— « Je sais, » dit-il. « Je ne pensais pas que tu étais vraiment fâchée. Il faut que je t’accepte comme tu es, même lorsque tu dis des bêtises. Tes pensées sont ce qu’elles sont, voilà tout ! »
Il m’embrassa avec douceur, et je ne restai pas passive.
« Je suis heureux que tu sois venue me chercher. »
Il me caressa doucement le dos et les épaules. Cela me faisait frissonner.
« As-tu froid ? » me demanda-t-il.
— « Non. Tu pensais que je viendrais ? »
— « Je crois que je l’espérais. Je suis heureux que tu sois venue. Toi, Mia ; pas quelqu’un d’autre. »
Il se tourna de côté et posa la main sur un de mes seins. Je couvris sa main de la mienne.
« Tu es belle. »
— « Pourquoi ne me l’as-tu jamais dit ? »
Nous nous étions embrassés et avions fait quelques autres choses, et, malgré nos disputes, je pensais qu’il avait de l’affection pour moi, mais il ne m’avait jamais dit qu’il aimait mon apparence. J’appuyai plus fort sa main sur mon sein et lui embrassai la joue et la bouche. Cela faisait des jours que je ne m’étais pas sentie si bien, si au chaud, tellement en sécurité. C’était bon de le tenir ainsi.
Je lâchai sa main et il la laissa vagabonder.
« Je n’avais jamais osé, » dit-il. « Tu t’en serais servie contre moi. Oh ! que c’est drôle ! Quand je touche celui-ci, je ne sens rien, et, quand je touche celui-là, je sens ton cœur. »
— « Moi aussi, je sens ton cœur. Boum, boum, boum, boum, boum. »
J’embrassai sa main ; il la porta à son visage, puis j’embrassai son visage.
« Alors, tu me trouves jolie ? »
— « Bien sûr. Tu es belle. J’aime ton corps. J’aime ta voix – elle n’est pas trop aiguë. J’aime te toucher. » Il bougea sa main. « J’aime ton odeur. » Il pressa son visage dans mes cheveux.
— « C’est curieux, » dis-je. « Je ne crois pas que tout ceci me plairait si je n’aimais pas également ton odeur. Je n’y avais jamais pensé auparavant. Pourquoi dis-tu que je m’en serais servie contre toi ? »
— « Tu m’aurais sans doute dit quelque chose de mordant, ou de méprisant. Je ne pouvais pas courir ce risque. »
Il avait parlé lentement, avec sérieux. Je ne m’étais jamais rendu compte qu’il fût aussi vulnérable.
— « Il m’est arrivé de dire des choses méchantes, » répondis-je, « mais je ne l’aurais jamais fait si tu m’avais dit cela. »
Il embrassa un de mes seins ; d’un mouvement hésitant, il en caressa le mamelon avec sa langue, et il gonfla sans que ma volonté y fût pour quelque chose. Mon cœur bondit dans ma gorge et grandit, grandit ; je crus qu’il allait éclater. Nous nous serrâmes encore plus fort l’un contre l’autre, et nous nous embrassâmes passionnément, profondément, longtemps, puis j’écartai les genoux pour lui.
Sur le Vaisseau, le sexe c’est pour les adultes. Pour ces derniers, il importe relativement peu avec qui ils couchent ; personne n’ira vérifier. Mais, comme partout ailleurs, les gens ont tendance à avoir une certaine discrimination, et une certaine suite dans les idées – du moins, les gens avec lesquels je suis susceptible de me lier d’amitié. Je ne pense pas que j’aurais envie de connaître de plus près ceux qui font des encoches au pied de leur lit, qui prennent le sexe à la légère, au gré des occasions. Je ne pourrais pas agir de la sorte ; je suis trop vulnérable pour cela. J’aime faire l’amour, mais je ne peux le faire que si, à la simple attirance physique, viennent s’ajouter une certaine confiance, de l’affection et du respect. Cela faisait deux ans que je connaissais Jimmy, et presque aussi longtemps que j’étais attirée par lui, mais je ne crois guère que j’aurais pu faire l’amour avec lui plus tôt.
Dans un sens, Jimmy et moi étions destinés l’un à l’autre. Que nous nous fussions rencontrés ou pas, et que nous nous soyons plu ou pas, nous aurions de toute façon eu au moins un enfant ensemble. Mais il s’agit là d’un processus purement mécanique, qui n’a rien à voir avec la vie commune et l’amour. Il était merveilleux que, dans ces conditions, nous nous fussions aimés. La passion que l’on éprouve à l’âge de quatorze ans n’est certes pas un sommet, mais l’on n’a pas toujours quatorze ans, et les passions évoluent.
Sur le Vaisseau, le sexe, c’est pour les adultes. Nous n’étions pas officiellement des adultes, mais nous avions besoin l’un de l’autre, et je n’étais plus aussi à cheval sur les règles que dans le temps. Nous avions besoin l’un de l’autre, et le moment était bien choisi. Si nous ne revenions pas au Vaisseau, qui s’en inquiéterait jamais ? Et si nous y revenions, nous serions officiellement devenus des adultes, et la question n’aurait plus de raison d’être.
Et ainsi, nous fîmes l’amour, enlacés dans la nuit sous la pluie incessante, chacun trouvant la sécurité dans la présence de l’autre. Nous ne savions pas ce que nous faisions, sauf en théorie, et nous étions maladroits comme des chatons. Dans un sens, ce fut un ratage, mais un ratage extrêmement agréable. À la fin, nous eûmes comme un aperçu d’un sommet que nous ne pouvions pas atteindre.
Nous restâmes allongés quelques minutes sans parler, puis Jimmy demanda : « Comment était-ce ? »
Je répondis, d’une voix déjà ensommeillée : « Je pense que ça demande de l’entraînement. »
Juste avant de sombrer dans le sommeil, j’ajoutai : « Mais c’était bien réconfortant. »
La nuit suivante, nous laissâmes nos chevaux attachés dans un petit bois. Nous avions parcouru bien des milles depuis la veille. Nous étions arrivés sur la colline à la fin de l’après-midi, puis nous nous étions faufilés à travers les arbres pour avoir une vue sur le camp. Au-dessous de nous, une ville prise entre un cercle de collines s’étendait dans la lumière dorée. De notre côté, avant la ville, il y avait un camp militaire entièrement clos, parcouru par des patrouilles armées. Au centre, dans ce qui devait être le terrain de manœuvres, se trouvait la vedette.
« C’est la vedette qui m’avait intrigué, » m’expliqua Jimmy. « J’y étais entré pour la regarder de plus près, et je suis devenu imprudent. C’est ainsi que je me suis fait prendre. »
Le champ de manœuvre était rectangulaire, et entouré de bâtiments sur trois côtés. Le petit côté fermé par des bâtiments nous faisait face et le côté ouvert regardait la ville. Entre les bâtiments, il y avait quelques arbres clairsemés. L’ensemble du camp était clos par un haut grillage muni de pointes. De l’enceinte au bâtiment le plus proche, il y avait un espace libre d’une trentaine de mètres.