« Tu vois, là, » me dit Jimmy, « ce grand bâtiment à un étage ? C’est leur quartier général, et c’est là qu’ils m’ont emmené en attendant l’arrivée de la police. Avec un peu de chance, mes affaires devraient toujours y être. »
Le bâtiment, de brique rouge avec un toit de tuiles grises, dominait le terrain de manœuvres. Il n’y avait que deux ou trois autres bâtiments à un étage plus petits ; tout le reste était de plain-pied : baraquements, écuries, etc.
Nous observâmes les agissements des gardes. Le plus proche de nous mettait vingt minutes à parcourir, au pas lent et mesuré d’un homme qui tue le temps, le côté qu’il avait à surveiller ; parfois, il arrivait à l’angle de l’enceinte en même temps que le garde surveillant le côté adjacent, et ils s’arrêtaient alors un moment pour bavarder.
« Si nous immobilisons le garde, nous n’aurons que vingt minutes devant nous, » fis-je observer.
— « Non, » dit Jimmy. « Il faudra passer sans se faire voir. »
Quand nous eûmes tout vu, nous retournâmes auprès de nos chevaux et mangeâmes un repas froid. La dernière fois, Jimmy avait commis l’erreur d’être entré dans le camp trop tôt, alors qu’il y avait encore beaucoup de gens et que les gardes étaient encore alertes. La journée avait été fatigante, et nous dormîmes jusque bien avant dans la nuit. Je fus réveillée par Jimmy, qui me secouait.
« Allons, viens ! » me dit-il. « Il est temps d’y aller. » Nous descendîmes le talus à tâtons, lentement, prenant garde à ne pas faire de bruit. J’étais heureuse d’être avec Jimmy. Nous formions une équipe, et je me sentais un peu plus efficace que seule. Le terrain était dégagé six mètres avant d’arriver à l’enceinte, là où les broussailles avaient été coupées. Accroupis sous des buissons, nous guettâmes le garde.
Jimmy me serra le bras. « Chut ! Le voilà ! »
Lorsqu’il fut à bonne distance, nous courûmes, courbés en deux, jusqu’à la clôture métallique. Jimmy me souleva et j’agrippai le haut de la clôture, puis je parvins à y mettre un genou. Après avoir hésité un bref instant, je sautai de l’autre côté, non sans déchirer mon pantalon à une des pointes. Accroupie, je guettai un moment pour m’assurer que le bruit de ma chute n’avait alerté personne, puis je revins vers la clôture, et, passant mes mains entre les barreaux, je fis la courte échelle à Jimmy. Il sauta à son tour, faisant nettement plus de bruit que moi ; il m’entraîna immédiatement à l’abri d’un arbre ; de là, après avoir scruté un moment les ténèbres, nous courûmes jusqu’à l’abri du quartier général.
Le ciel était couvert et les nuages passaient rapidement ; parfois, la faible clarté de la nuit faisait place à des ténèbres totales. Jimmy en tête, nous contournâmes prudemment le bâtiment ; à chaque coin, il s’arrêtait avant de continuer. C’était à peine si je pouvais discerner la silhouette de la vedette.
Arrivé près de la porte, Jimmy me dit : « Il doit y avoir un homme de garde. Le bureau est sur la droite, tout de suite après l’entrée. »
D’une fenêtre, juste au-dessus de nous, filtrait une faible lumière jaunâtre. Des ombres indécises se projetaient au plafond. Nous montâmes les escaliers du perron et nous aplatîmes contre le mur le temps de sortir nos pistolets. Nous entrâmes. Le hall d’entrée était sombre et silencieux. Sur notre droite, une porte était ouverte sur une pièce faiblement éclairée.
Jimmy y entra sans hésiter, le pistolet au poing. « Haut les mains ! » dit-il.
L’homme qui était assis derrière le bureau était visiblement sur le point de s’endormir. En entendant l’injonction de Jimmy, il sursauta violemment et me regarda en écarquillant les yeux.
« Encore vous ! » s’exclama-t-il d’une voix étranglée.
C’était un petit homme joufflu, d’apparence inoffensive. Il portait un uniforme vert avec des galons rouges et des épaulettes torsadées. La pièce était grande et meublée de plusieurs bureaux. La seule lumière venait d’une lampe posée sur celui occupé par l’officier.
« N’élevez pas la voix, » lui dit Jimmy. « Je n’hésiterais pas à tirer. Où sont mes affaires ? »
— « Je ne sais pas, » dit l’officier d’une voix peu sûre. Il était encore sous l’effet du choc, et pas entièrement réveillé.
Jimmy me fit signe de passer derrière lui. Je m’exécutai tout en sortant mon couteau ; l’officier me suivait des yeux. À un moment, il tenta de se lever, mais je repoussai son fauteuil tout contre le bureau.
« Allons, doucement, » lui conseilla Jimmy sans élever la voix.
J’appuyai la pointe du couteau contre l’oreille de l’homme. Oh ! pas fort ! Il ne coula même pas une goutte de sang.
« Où sont ses affaires ? » demandai-je.
Il essaya de parler, mais s’étrangla. Il finit par murmurer d’une voix rauque : « Je ne sais pas. Je ne sais pas où ils ont mis tout ça. »
— « Et les sacs de selle ? »
Il haussa les épaules en signe d’impuissance.
— « Peut-être dans les étables…»
— « Et ce qu’ils contenaient ? »
— « Ils se sont amusés avec, au mess, » dit-il avec empressement. « Ils étaient à plusieurs. »
— « Emmenez-nous au mess. »
— « Je ne peux pas… Je ne peux pas abandonner mon poste. »
Je chatouillai ses épaulettes avec le couteau.
— « Il le faudra bien. »
— « Non ! » s’écria-t-il avec alarme. « Ne les coupez pas ! »
— « Alors, montrez-nous le mess. »
— « Bon, » dit-il avec résignation. « C’est au premier. »
Je pris la lampe à la main, et Jimmy surveilla l’officier.
Il nous conduisit au premier étage ; au bout d’un long couloir silencieux où le bruit de nos pas éveillait des échos sinistres, il ouvrit une porte.
« C’est là, » dit-il.
J’avançai. La lumière de la lampe révéla une longue pièce au milieu de laquelle était disposée une table couverte d’une nappe blanche et entourée de chaises. Il y avait aussi un coin salon, avec une grande cheminée.
Pendant que Jimmy surveillait l’officier, je me dirigeai vers le salon. Il y avait plusieurs tables basses, couvertes de journaux et de jeux. Un échiquier attira mon regard : c’était celui de Jimmy ! Je me demande bien avec qui il avait l’intention de jouer. Je vis également tout un tas d’affaires lui appartenant, mais pas le signal.
« Jimmy, » dis-je avec terreur. « Je ne le vois pas ! »
Jimmy vint lui-même jeter un coup d’œil.
— « Non, il n’est pas là. » Puis, s’adressant à l’officier, il lui expliqua : « Nous cherchons un objet rectangulaire noir, de petite dimension. L’avez-vous vu ? »
— « Non. Je ne me suis pas amusé avec vos affaires, moi. »
Je l’encourageai un peu avec mon couteau.
« Vous en êtes certain ? »
— « Absolument ! » répondit-il avec une certaine aigreur. « Je m’en souviendrais si je l’avais vu ! »
— « Qu’allons-nous faire ? » demandai-je à Jimmy.
— « Je ne sais pas. Il faut le trouver, mais je ne sais pas où chercher. »
Je commençais à être réellement inquiète. Plus nous nous attardions ici, plus nous risquions de nous faire prendre. D’autre part, si nous ne retrouvions pas le signal, nous étions bloqués pour de bon sur cette planète.
Nous redescendîmes vers le bureau. Au moment d’y entrer, une idée soudaine me frappa.
« Nous pourrions prendre la vedette ! S’ils sont capables de la piloter, nous y arriverons bien ! »