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— « Ah ! ça non ! » dit l’officier joufflu. « Vous vous croyez tout permis, comme tous ceux qui viennent des Vaisseaux. Mais ça ne se passera pas comme ça ! Nous avons une vedette à nous maintenant, et nous nous en servirons, vous verrez ! Oh non ! vous ne la prendrez pas ! »

— « Ça sera de toute façon inutile, » dit Jimmy en prenant un presse-papiers sur l’un des bureaux – c’était son signal ! Il le montra à l’officier : « Je croyais que vous ne l’aviez jamais vu… ? »

— « Ah ! c’était ça que vous cherchiez ? Je ne l’avais jamais remarqué. »

L’officier me tournait le dos. Je sortis mon pistolet et, non sans scrupules, lui donnai un coup de crosse derrière l’oreille.

« Allez, viens, Jimmy ! Partons vite ! »

Nous ressortîmes dans la nuit. Nous venions juste de contourner le bâtiment lorsque Jimmy me posa sa main sur la bouche et murmura : « Le garde ! »

Accroupis dans l’ombre, nous le regardâmes passer de son pas lent et régulier. Soudain, un cri déchira la nuit : « Gardes ! Gardes ! »

Il venait de l’avant du bâtiment. En entendant le cri, le garde se redressa, mais, en bon soldat, ne quitta pas son poste. En fait, il nous coupait la retraite.

Jimmy m’entraîna vers un petit bâtiment situé à l’écart, d’où nous pouvions voir l’enceinte dans les deux directions. Les cris continuaient, et on commençait à entendre des bruits de pas précipités au loin, mais nous ne voyions rien.

« Tu n’aurais pas pu le frapper plus fort ? » me dit Jimmy.

— « Je n’aime pas frapper quelqu’un. »

Je regardai autour de moi. « Jimmy, » dis-je soudain, « tu sais ce que c’est, ce bâtiment ? »

— « Non. »

— « C’est une poudrière. Regarde le panneau de danger. On pourrait créer une diversion. En faisant sauter la vedette, par exemple. »

Jimmy sourit et me caressa les cheveux d’un geste fugitif. Il brisa la serrure avec la crosse de son pistolet. Il y avait tellement de vacarme maintenant que l’on ne risquait pas de nous entendre. Dès que nous fûmes à l’intérieur, Jimmy referma la porte sur nous. Par deux petites fenêtres basses donnant sur le terrain de manœuvres, nous pouvions voir des soldats courir en tous sens, portant des lampes ou des torches. Nous avions bien fait de nous cacher ici. À la lumière des torches, je vis que la rampe de la vedette était abaissée. Une vingtaine d’hommes s’assemblèrent, et un grade leur donna des ordres.

« Ils vont fouiller partout, » dit Jimmy. « Nous ne pouvons pas rester ici. »

Je trouvai un petit baril de poudre et y fixai une mèche d’un bon mètre de long. Le principe était simple : malheureusement, je ne savais pas combien de temps elle mettrait à se consumer. C’était un risque à courir.

Pendant que les officiers donnaient des ordres, Jimmy et moi discutâmes de ce que nous allions faire. C’était comme ce jeu où chacun fait ses plans en cachette et, au moment où on les révèle, on sait qui est le gagnant. Je donnai mon pistolet à Jimmy pour qu’il le charge. Avant de sortir, je fixai une autre mèche à un tonneau de poudre et l’allumai.

« Commence à tirer dans quarante secondes, » dis-je à Jimmy, puis je m’accroupis face au terrain de manœuvres. Jimmy longea le bâtiment et disparut à ma vue.

J’attendis. Soudain, Jimmy ouvrit le feu, tirant au-dessus des têtes des hommes assemblés dans le terrain. Ils se mirent à plat ventre et tirèrent dans la direction d’où les coups de feu étaient venus. Mais Jimmy avait dû se mettre à l’abri ; pour cela, je lui faisais confiance.

Sans hésiter, je plongeai en terrain découvert. Le baril était lourd, et je pensais à une seule chose : ne pas tomber et arriver à la vedette. J’ignore si l’on m’avait vue ou si l’on me tirait dessus ; j’étais trop occupée à courir. Juste au moment où j’atteignais la rampe, la poudrière sauta. L’onde de choc de la déflagration me jeta à genoux, mais je me relevai aussitôt. Des morceaux de briques et de toiture retombaient de tous côtés.

Arrivée en haut de la rampe, je me dirigeai sans hésiter vers la cabine de pilotage. Je posai le baril sur le siège du pilote, juste devant le panneau de commandes. Par le dôme, je voyais des soldats affolés courir en tous sens. Plus personne ne tirait. L’explosion de la poudrière avait mis le feu à un baraquement voisin, et ils couraient chercher de l’eau.

J’allumai la mèche, puis je ressortis en courant. Arrivée dehors, je me retournai un instant. Des flammes et des ombres mouvantes se reflétaient sur le métal mat de la vedette.

Quelqu’un me bouscula et me cria : « Attention ! » sans même s’arrêter. Il régnait un tel désordre que personne ne me remarqua.

Je commençais à craindre de devoir aller rallumer la mèche lorsque j’entendis une explosion étouffée. Plus personne ne piloterait jamais cette vedette-là.

Je me glissai entre les bâtiments, loin de la lumière et du tumulte. Il n’y avait personne près de l’enceinte. J’eus beaucoup de mal à la franchir. Ensuite, je gravis lentement la colline broussailleuse. Arrivée au sommet, je me retournai. Le feu s’était étendu à un autre baraquement, et les hommes se hâtaient en tous sens, pareils à des fourmis. Après avoir regardé quelques minutes, je retournai à notre camp.

Jimmy m’attendait près des chevaux.

« Ça va ? » lui demandai-je. « Tu n’as rien ? »

— « Oui, oui, ça va. Mais j’ai laissé tomber le signal en courant. »

J’en eus le souffle coupé.

Jimmy ne prolongea pas ma torture : « Mais non, je plaisantais ! »

Je m’assis sur une grosse pierre et examinai mon pantalon déchiré. Avec précaution, je touchai ma jambe.

« Tu t’es fait mal ? »

— « Je me suis coupée en franchissant la clôture. »

— « Aïe ! » fit Jimmy. Il examina ma jambe. « Ce n’est pas grave. Veux-tu que je t’embrasse pour la guérir ? »

— « Tu ferais cela pour moi ? »

Jimmy se releva et regarda le ciel, où se reflétaient les flammes de l’incendie. « Tu sais, je trouve que ça fait beaucoup d’ennuis, simplement parce que tu n’aimes pas frapper un homme sans défense ! »

19

Notre dernière matinée sur Tintera fut merveilleuse. Nous nous trouvions sur un petit plateau rocheux, en haut d’une montagne proche de la côte. Le sol était couvert d’une herbe fine, et une petite source sourdait des rochers. Seuls quelques nuages blancs défilaient dans le ciel lumineux, et il faisait suffisamment chaud pour que nous ayons pu ôter nos manteaux. Nous venions de déjeuner et, après avoir fait nos bagages pour la dernière fois, nous attendions, calmement assis au soleil.

D’où nous étions, la vue portait à des kilomètres. D’un côté, la montagne descendait abruptement, et l’on découvrait la mer illimitée, grise avec des crêtes blanches, ainsi qu’une partie de la côte : des rochers bruns, des pierres humides et luisantes, de petites plages… Au loin, des oiseaux tournoyaient, minuscules points blancs glissants sur les vents et dont nous pouvions imaginer les cris. Tournant notre regard vers l’intérieur, nous voyions des pâturages d’altitude, et, au-delà, d’autres montagnes suivant la ligne de la côte. Plus loin vers l’intérieur du pays, c’était un paysage de collines boisées, qui semblaient couvertes d’une autre mer grise et verte.

Et sous cette mer-là, nous le savions, vivaient toutes sortes de choses : des Losels évadés, et des hommes qui nous pourchassaient. Nous avions vu les Losels, et ils nous avaient vus ; ils avaient continué leur chemin, et nous le nôtre. Quant aux hommes, nous les avions vus pour la dernière fois il y a quatre jours, et encore ne nous avaient-ils pas aperçus. Peut-être y avait-il aussi, sous cette mer-là, d’autres enfants du Vaisseau, mais nous n’en avions rencontré aucun.