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— Mais ils ne peuvent la traverser, n’est-ce pas ? demanda l’un des rescapés, le visage défait par l’angoisse.

— Pour autant que nous le sachions, ils ne le peuvent pas, répondit Sebastien, rassurant. Et s’ils y parvenaient, nous les attendons de pied ferme. Les armes…

— Des armes ?

— Hé quoi ? Tu penses encore que de bonnes paroles seraient suffisantes ? Nous n’allons pas rééditer l’erreur de Jhamlees Zoe, s’emporta frère Laeroa.

Tous se mirent en marche, certains moins vaillants que d’autres, qui trottant, qui clopinant, vers l’endroit où Persun voulait les rassembler dans l’attente de secours.

Depuis que les ratés du moteur avaient cessé de se faire entendre, un grand silence régnait sur le pré et alentour. Un silence d’une telle intensité qu’il finit par surprendre les hommes du Faubourg.

— Les vibrations émises par ces mouchards effraient peut-être les animaux, hasarda Persun.

— Ils n’émettent aucune vibration… Du reste, ils ne sont pas encore branchés, répliqua Sebastien, gagné lui aussi par l’anxiété.

Le silence persistait. Ce silence-là, qui ne présageait rien de bon. Pas un bruit en provenance de la forêt, pas un de ces multiples sons par lesquels les animaux familiers du marécage manifestaient leur présence. Où étaient passés les oiseaux ? Qu’était-il advenu du bruissement ininterrompu des milliers d’insectes du pré ?

— Il se passe quelque chose. Je le sens. Je le sais.

Les doigts de Persun cherchèrent au fond de sa poche le couteau-laser. Ils s’y agrippèrent.

Derrière Persun, Sebastien poussa un gémissement, une plainte, un râle déjà.

Un Hipparion venait d’apparaître à l’orée de la forêt. Juché sur le dos du monstre, se tenait un cavalier, ou ce qu’il restait d’un cavalier, un être anciennement humain, mort ou mourant. Le spectacle qu’il offrait répandit la terreur, il avait tout d’un écorché, d’un mannequin sanglant. Mort, il ne l’était pas, pas encore. Il poussa un hurlement sauvage. Ce cri… D’autres surgirent, d’autres terrifiantes apparitions.

La charge fut immédiate. Hipparions et cavaliers rivalisaient dans les imprécations de malheur.

Tétanisé, Sebastien était incapable du moindre mouvement. L’Hipparion le plus proche le trouva cloué sur place et sur place il fut déchiqueté.

Le couteau-laser à la main, Persun reculait vers l’aéronef. Une seconde clameur de haine retentit, exactement à l’opposé de la première charge d’Hipparions. Il y avait donc un autre tunnel…

Des dents affûtées comme des rasoirs se plantèrent dans le bras de Persun et le déchirèrent. Le couteau-laser lui échappa. Les yeux hagards de Persun croisèrent le regard mort du cavalier et sa terreur redoubla.

Roald avait eu la présence d’esprit de diriger leur aéronef vers son camarade. L’Hipparion, surpris, fit volte-face, libérant le bras de Persun qui n’eut que le temps de se jeter dans l’appareil.

Les Hipparions ! Persun venait de rencontrer les Cavaliers de l’Apocalypse.

Alors que l’aéronef le survolait, Persun dut faire effort pour résister au désir de voir une dernière fois le corps martyrisé de Sebastien.

D’autres Hipparions s’étaient jetés sur les moines et sur les aéronefs appelés par Roald pour les secourir. Le massacre avait commencé, seuls quelques membres de la Fraternité eurent le temps de s’enfermer dans les appareils providentiels.

À l’altitude où volait l’aéronef, on pouvait presque dénombrer les Hipparions et les chiens qui convergeaient vers la ville. Vague après vague, c’était un fourmillement. Roald s’égosillait sur le grand-com. Persun essayait en vain de faire bouger ses doigts. Aucun ne répondait. Aucun d’entre eux ne répondrait plus jamais. Ils étaient morts. Il songea à toutes les sculptures qu’il ne ferait pas.

Que n’était-il mort lui-même !

En ordre de bataille, les terribles Hipparions, les chiens cruels avançaient vers le Faubourg tandis que des armées de rongeurs ouvraient les derniers mètres du second tunnel, celui qui prendrait le Faubourg à revers. Groupe d’assaut après groupe d’assaut, cette même formation qui avait présidé à l’attaque de la cité Arbai des siècles et des siècles auparavant.

Seule une poignée de soldats inexpérimentés se trouvait en faction au spatioport. Elle fut anéantie en un clin d’œil. Cependant, deux ou trois jeunes gens, réfugiés sur un portique des installations de maintenance, reçurent les assaillants avec un tir nourri. Plusieurs dizaines d’Hipparions connurent alors leur premier et dernier baptême du feu. Le sud avait, malgré tout, offert quelque résistance.

Au nord, dans le Faubourg, on avait entendu Roald délivrer ses messages et la sirène d’alarme jeta la population à l’abri dans ses quartiers d’hiver dûment barricadés. James Jellico avait immédiatement refermé les lourdes portes qui commandaient le passage entre Faubourg et Métropole. Il eut également l’idée de faire battre le rappel des soldats du Saint-Siège éparpillés chez les trop aimables faubouriens. Bien qu’il ne sût pas exactement de quelle nature était la menace, ni de quel côté elle se manifesterait, Jellico se reposait en partie sur l’armement perfectionné des hommes du Séraphin. Sans compter que le vaisseau du Hiérarque pouvait certainement jouer le rôle d’un arsenal dans lequel il n’y aurait qu’à puiser.

Rapidement averti de la situation, le Séraphin prenait ses premières dispositions. D’abord essayer de contenir ce qu’il restait des bandes d’Hipparions qui avaient attaqué le spatioport.

— Tirez sur tout ce qui bouge !

— Mais nous avons quelques hommes sur place, objecta un Chérubin, ils vont essayer de décrocher.

— S’ils ont le moindre soupçon de jugeote, ils resteront là où ils se trouvent. Je confirme : ouvrez le feu sur tout ce qui tentera de s’approcher des portes.

Le vaisseau du Hiérarque n’était pas armé pour soutenir ce genre de combat. Qui aurait pu deviner qu’une telle occasion se présenterait jamais ?

— Et que faisons-nous des personnes logées à l’hôtel ? demanda le Chérubin en prenant une mine de conspirateur.

— De qui diable voulez-vous parler ? s’enquit Jellico, intrigué.

— L’équipe de savants que le Hiérarque a amenée avec lui, répondit le Chérubin. De même que cet ambassadeur, il est là avec sa femme.

Marjorie, suivie comme une ombre par son gardien, était indécise sur la conduite à tenir, ne comprenant ni ce qui se passait à l’extérieur de l’hôtel, ni quelles dispositions avaient été prises aussi bien par les troupes du Hiérarque que par les autorités du Faubourg.

Rigo, enfin tiré de son sommeil, entendit Marjorie et le jeune soldat discuter des moyens militaires que le Hiérarque pouvait opposer aux Hipparions. Il ne mit pas longtemps à comprendre quelle était la situation.

Paradoxalement, il trouva que l’occasion n’était pas mauvaise pour avoir un entretien en tête à tête avec sa femme. Ils laissèrent le soldat à la fenêtre d’où il pouvait surveiller l’imminence d’un éventuel danger pour les locataires de l’hôtel et passèrent dans une chambre voisine. Marjorie, impassible, manifestait envers Rigo une distance qu’il se chargerait d’interpréter comme il le souhaitait.

— Lors de ton… excursion, commença Rigo, j’ai longuement parlé de notre situation avec le Père Sandoval. Je pense aujourd’hui, alors que de nouveaux bouleversements sont en cours, qu’il est temps de songer à notre avenir.

Y avait-il donc encore un avenir dont il était loisible de discuter avec Rigo ? songea Marjorie. C’était bien la première fois depuis des lustres que son mari entendait avoir une explication à ce sujet. Il était bien tard…