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Son pied heurta une pierre. Marjorie se trouvait à l’intersection de deux galeries. Malgré le plan, elle hésita un instant sur la direction à prendre, bien qu’elle se sentît proche du but. Pourvu que…

Oui, ils sont sains et saufs.

Quelle était cette voix ? Une voix qui appartenait indissociablement aux étendues désertes de la steppe, au vent, à l’espace, aux arbres. Une voix étrangère à ces ténèbres. Après que le choc de la surprise fut passé, Marjorie se tourna d’instinct dans la direction d’où la confidence était venue. Avec l’instinct de l’aiguille d’une boussole qui se tourne toujours vers le nord.

Ici, dit la voix, ici.

Marjorie suivit une pente qui montait lentement vers la surface. À plusieurs reprises la voix lui indiqua les bifurcations à prendre. Enfin, Marjorie parvint à une volée de marches.

La voix l’attendait dans la grange, en compagnie des chevaux. Elle aperçut ce mirage dans l’atmosphère vacillante, le frémissement de vives couleurs dans la pénombre, l’éclat lumineux du regard, le bref miroitement des dents. Les chevaux, calmes, sereins, restaient étrangers à cette apparition.

Était-ce Lui, ou bien un autre renard se présentait-il à Marjorie ?

Que faites-vous là ? demanda-t-elle.

Je savais que vous viendriez. Le renard avait répondu avec le langage articulé des hommes, pas avec la palette d’impressions et de sensations qu’ils utilisaient ordinairement.

Marjorie craignit que cette rencontre, pour elle fortuite, ne l’entraîne loin, trop loin dans les circonstances présentes.

Je ne peux abandonner mes amis.

Je sais. Je l’ai toujours su. Mon peuple, pourtant, ne vous accordait pas totalement sa confiance.

Les renards, se méfier de moi ! Pourquoi ?

À cause des chevaux.

Ridicule.

Ridicule… Mais important. Important de savoir si une personne est prête à risquer sa vie pour sauver celle du représentant d’une autre espèce. Important de savoir que les hommes sont capables d’éprouver cette loyauté. Important de savoir s’il est vrai que l’amitié peut se moquer de toutes les barrières.

Les Arbai étaient-ils vos amis ?

La réponse fut négative. Marjorie accéda à la clairvoyance. Elle vit : les Arbai et les Hipparions cohabitaient paisiblement tandis que les renards rôdaient alentour dans l’indifférence des Arbai qui faisaient mine de ne pas même s’en rendre compte. Il était évident pour les renards que les Arbai privilégiaient le contact direct avec les Hipparions et craignaient le mode de communication télépathique qu’ils proposaient. Par une sorte de frilosité intellectuelle, les Arbai avaient rejeté ce qu’ils considéraient comme une inacceptable intrusion dans leur intimité mentale. Et, a contrario, ils n’avaient pu deviner la méchanceté fondamentale des Hipparions.

Que cela était familier à Marjorie ! Que cela était aberrant !

Le renard percevait les pensées les plus intimes de Marjorie, il approuva cet ultime sentiment. La mort des Arbai signifiait toujours honte et culpabilité pour les renards.

Les Arbai sont morts, dit Marjorie, et nous sommes en train de mourir à notre tour. Les Hipparions sont revenus. Bientôt, ils pénétreront dans le Faubourg et ce sera la fin.

Ils sont déjà dans le Faubourg. Mais tout le monde ne mourra pas. Pas cette fois.

Vous nous protégez donc ?

Nous avons appris notre leçon. Nous savons ce que nous avons à faire.

La première fois, vous l’ignoriez ? Vous ne saviez pas ce qu’il allait advenir des Arbai ?

Cela paraissait invraisemblable, pourtant… Les renards ne pouvaient pas tout savoir, tout deviner. L’anéantissement de la cité Arbai avait eu lieu bien loin de leur territoire.

Parmi le peuple des renards, poursuivit-il, nombreux sont ceux qui haïssaient les hommes puisqu’ils nous donnaient la chasse. Les Hipparions allaient vous massacrer ? Ce n’était pas notre affaire. En refusant notre amitié, les hommes refusaient de compter sur nous. De la même façon que les Arbai nous avaient rejetés. Tout recommençait. Je leur ai dit que Mainoa était un ami. Oui, un ami, un seul, ont-ils répondu, et c’est un vieux fou. J’ai prétendu que d’autres parmi les hommes pouvaient devenir nos amis. Et vous êtes venue. Comme Mainoa, ils ont considéré que vous étiez une personne un peu… spéciale. Il y en aura encore d’autres, ai-je insisté. Nous avons longuement polémiqué à ce propos avant de parvenir à un compromis. Ils accepteront. Les renards aideront les hommes si vous acceptez de devenir mon amie.

Ces derniers mots comportaient beaucoup d’humour et beaucoup de mélancolie.

Moi ?

Donnez votre parole. Être mon amie comme Mainoa a été mon ami. Être avec moi.

Marjorie entendit parfaitement le sens de cette dernière condition et accepta immédiatement. En tout état de cause, elle avait déjà choisi de demeurer sur la Prairie. Et personne ne lui arracherait Stella.

Je vous donne ma parole.

D’être toujours là où je serai ?

Oui.

Même si ce n’est pas ici ?

Pas ici ? Où cela ? Marjorie n’eut droit à aucune explication et elle comprit qu’il n’y aurait pas d’explication du tout. Si seulement elle pouvait lire quelque chose sur le visage du renard, déchiffrer une expression…

C’est un privilège qui est réservé aux seuls renards.

À prendre ou à laisser, alors ? À prendre avec toutes les énigmes et tous les sacrifices que cela supposait.

À prendre ou à laisser. Elle connaissait bien cette vieille alternative. C’était également le choix que Rigo lui avait imposé.

Pouvait-elle à ce point faire confiance au renard ? Il avait su où la trouver. Il avait su mobiliser son peuple au secours des hommes. Quelles autres preuves de droiture soutiendraient la comparaison ? Il n’avait pas même interrompu Marjorie dans ses réflexions.

Vous avez ma parole… Cependant vous allez devoir faire quelque chose pour moi. Et je dois retourner à la Métropole.

Lees Bergrem était à moitié couchée sur son bureau lorsque Marjorie pénétra dans le laboratoire clandestin. Un moment elle resta dissimulée dans un coin d’ombre, mettant de l’ordre dans ses pensées.

Elle en avait bien besoin, d’ordre, de calme et d’un moment de répit. Le renard venait de lui expliquer de quelle façon les Arbai avaient été détruits partout où ils se trouvaient dans l’espace et de quelle façon les hommes étaient exposés à un semblable destin.

Devinant malgré tout sa présence, Lees Bergrem se redressa.

— Marjorie ? Je vous croyais à l’hôtel, prise au piège des Hipparions.

— J’ai réussi à fuir par les galeries des quartiers d’hiver… et je suis revenue pour vous voir. Nous avons beaucoup de choses à nous dire.

— Je n’ai pas une seconde à vous accorder, répondit Lees Bergrem, à peine navrée. Pas le temps.