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« Toutefois, je suis terrienne. Dans ma province natale, la Bretagne Mineure, on m’appelle Marjorie ; étant la fille aînée je porte, depuis le décès de ma mère, le titre de Lady Westriding. J’ai aussi l’honneur d’être Grand Officier de la Vénerie Westriding, distinction qui me fut décernée après mes prouesses aux Jeux Olympiques.

Il la dévisageait, intrigué.

— Les Jeux Olympiques ? répéta-t-il.

— Une compétition sportive dans laquelle s’affrontent des candidats de nombreuses disciplines, dont l’équitation, ma spécialité. J’ai participé à différents exercices, tels que le parcours d’obstacles, le dressage et la course d’endurance, qui constitue de loin l’épreuve la plus difficile et la plus dangereuse. La chance m’a souri, j’ai remporté la médaille d’or, la plus haute récompense. C’est d’ailleurs à cette occasion que j’ai fait la connaissance de Roderigo Yrarier, mon futur époux, également médaillé. Marjorie déchiffra l’incompréhension dans le regard de son interlocuteur. Le pauvre diable n’a pas la moindre idée de ce que tout cela signifie, songea-t-elle. Il doit se demander où je veux en venir. Si j’avais l’intention de l’impressionner, il faudra trouver autre chose. Venons-en au fait, enchaîna-t-elle. Vous pouvez m’appeler Madame Yrarier, ou Lady Westriding, à votre convenance. Mon titre de Grand Officier me vaut d’être qualifiée de Maître pendant une chasse. Mais peut-être votre protocole prévoit-il une désignation honorifique pour les ambassadeurs et leurs épouses ?

— Non, malheureusement, Madame Yrarier. D’autre part, nous n’avons pas la coutume des titres matrimoniaux, si ce n’est parmi les anciens de chaque clan. Notre communauté comprend sept familles, toutes très nombreuses. Les Haunser, Damfels, Maukerden, Laupmon, Smaerlok, Bindersen, Tanlig. Le nom patronymique est précédé d’un titre d’honneur, le « bon ». Si un jeune homme et une jeune fille s’éprennent l’un de l’autre et qu’il leur naît un enfant, celui-ci recevra le nom du père ou celui de la mère, selon qu’il s’intégrera à l’un ou l’autre camp, patronyme qu’il conservera toujours, même après son éventuel mariage.

Marjorie devint songeuse.

— Dans ce cas le nom d’une jeune fille ou celui d’un enfant ne renseignera pas l’étrangère que je suis…

— Sur ses liens de parenté ? En effet, Lady Westriding. Nous sommes une société rurale, composée d’hommes et de femmes soudés par des traditions pionnières auxquelles ils demeurent attachés. Nos aïeux ont choisi de quitter la Terre, fuyant la tyrannie du Saint-Siège et la surpopulation de la planète (ce disant, il lui jeta un regard appuyé, pour signifier que le reproche implicite qu’on lui avait adressé n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd). Nous ferons en sorte que ces fléaux ne s’abattent jamais sur la Prairie. Les clans n’ont pas de secrets les uns pour les autres. Liaisons d’amitié ou d’intérêt, rivalités, amours, naissances, tout est d’une transparence parfaite, et c’est très bien ainsi. Il serait conforme à votre rang et à vos fonctions de vous appeler Marjorie Westriding ou Lady Westriding. Si vous voulez avoir une chance de vous y retrouver dans les arcanes de nos réseaux familiaux, le plus judicieux serait de vous attacher les services d’un initié. À votre place, j’engagerais un secrétaire… peut-être pourrais-je vous recommander un parent d’une ligne collatérale.

— Un neveu d’une branche cadette, par exemple ?

Le froid la saisit tout à coup. Elle frissonna.

— Venez, retournons dans les quartiers d’hiver, proposa-t-il aussitôt sur un ton plein de sollicitude. Le printemps frappe à la porte, c’est entendu, mais pour les semaines à venir, il vaudra mieux vous cantonner au rez-de-chaussée.

Ils redescendirent le grand escalier aux marches pavées, puis entrèrent dans le salon d’hiver, belle pièce au décor de bon aloi, murs tapissés de toile de ramie, canapés de couleurs vives, cheminée dans laquelle crépitait une flambée. Marjorie s’installa dans un fauteuil. La température était agréable ; son hôte en profiterait-il pour se dégeler un peu ?

— Vous disiez que j’aurais sans doute besoin d’un secrétaire. Quel profil devrait-il avoir, selon vous ?

— Je pensais à un garçon qui serait apparenté à une grande famille, mais d’un seul côté. Il aurait le nom, sans avoir droit au titre de bon.

— Le malheureux ! Cela représente-t-il un sérieux handicap ? demanda-t-elle avec un soupçon d’ironie dans la feinte pitié de l’intonation.

La sécheresse de la réponse lui fit l’effet d’un avertissement. De toute évidence, un bon ne trouvait pas qu’il y avait là matière à plaisanter.

— Rejeton d’une mère ou d’un père roturier, un tel individu n’aurait pas sa place dans une propriété, à moins d’être amené à y résider en qualité d’employé. Il ne serait pas invité aux bals de la belle saison et surtout, il ne chasserait pas. La chasse est exclusivement réservée aux bon.

Voilà qui donnait bien à réfléchir. Marjorie se demanda si le Très Honorable Roderigo Yrarier et son épouse seraient assimilés à des bon et jouiraient des privilèges attachés à cette dignité.

— Bon Haunser, dit-elle, nous vous sommes infiniment reconnaissants du soin que vous avez mis à nous recevoir dans les meilleures conditions. Dès demain, Anthony se rendra au spatioport dans l’une des navettes que vous avez eu l’obligeance de mettre à notre disposition. Il serait préférable que quelqu’un se trouve là-bas pour l’accueillir. Je compte également sur vous pour prévoir un véhicule adéquat, camion ou remorque…

— Lady Westriding, c’est précisément le problème de l’acheminement des animaux qui nous mettait dans l’embarras. Voyez-vous, les traditions de la Prairie nous interdisent de souiller l’herbe de traces de véhicules. Nous n’avons pas de réseau routier, nous ne disposons d’aucune voiture. Pour nos déplacements, nous utilisons toujours les transports aériens. Nos aéronefs, vous le constaterez, sont très fiables et très silencieux. La Zone Franche, cernée par une forêt infranchissable, est le seul lieu dans lequel la circulation routière est autorisée.

— Voilà qui est fort étrange et tout à fait passionnant, répliqua Marjorie sans sourciller. Votre ingéniosité vous soufflera la solution idoine, et nos chevaux seront livrés d’ici peu, je n’en doute pas. Pour ma part, je suis toute disposée à engager sur votre recommandation une personne susceptible de me guider et de m’orienter dans le maquis de vos usages de façon à m’éviter les faux pas. Je voudrais sans trop tarder faire l’acquisition de quelques meubles pour les pièces du haut. Il nous serait aussi agréable d’établir au plus vite des relations de cordialité avec nos voisins.

Bon Haunser s’inclina, la nuque raide.

— Je ferai de mon mieux pour vous donner satisfaction, Lady Marjorie. En ce qui concerne les chevaux, la Zone Franche nous prêtera un cargo ; à défaut, nous le réquisitionnerons. Nous prendrons les dispositions nécessaires pour vous permettre d’assister à la chasse organisée par les bon Damfels, dans un peu plus d’une semaine. Ce sera pour vous l’occasion de rencontrer la plupart de vos hôtes.

Il claqua des talons, quoique sans ostentation, salua de nouveau et fit volte-face. Marjorie le suivit du regard. Quand la porte se fut refermée, elle poussa un léger soupir.

Vos « hôtes », avait dit le vieil escogriffe, et non vos voisins, escamotant ainsi la notion de convivialité qu’elle avait hardiment mise en avant. Cette nuance ne lui avait pas échappé ; elle lui sembla grosse d’implications fâcheuses.

— Avec qui étais-tu en train de parler ?

Un long couloir reliait les bureaux aux appartements.

— Bon Haunser, le docte patriarche. Nos chevaux, paraît-il, sont toujours en hibernation.