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Flanquée de ses sœurs Emeraude et Amethyste (Emmy et Amy pour la famille et les intimes ; les demoiselles bon Damfels pour le reste du monde), Dimity semblait au supplice dans le bel habit de chasse, noir depuis la casquette jusqu’aux bottes, qu’elle étrennait pour l’occasion. Chez toutes les autres filles, des revers rouges atténuaient la sévérité de la redingote et montraient qu’elles avaient acquis assez d’expérience pour être considérées comme des chasseuses à part entière, complètement intégrées à la horde. La novice éprouvait le sentiment aigu de sa solitude ; elle ressentait aussi les premières atteintes d’une migraine épouvantable et fulminait en son for intérieur contre ce couvre-chef ridicule, beaucoup trop ajusté, sous lequel ses cheveux étaient tirés en un strict chignon.

— Ne t’en fais donc pas, murmura Emeraude, incapable d’imaginer plus chaleureuses paroles de réconfort. Toi aussi, d’ici peu, tu auras des revers rouges. N’oublie pas les recommandations de notre professeur d’équitation, et tout ira bien.

Sous cette affectation de nonchalance, la belle n’était pas si fière. Un muscle délicat tressaillait à l’angle de sa mâchoire, trahissant l’impatience, ou la nervosité. Dimity ne put réprimer un frisson.

— Emmy, je voudrais rentrer à la maison, bredouilla-t-elle. Maman avait pourtant dit que je ne serais pas obligée…

Amethyste fit entendre son petit rire flûté.

— Est-elle sotte ! Ce n’est une obligation pour personne, bien sûr. Même Sylvan et Shevlok auraient pu s’en dispenser.

Elle avait élevé la voix. Sylvan entendit prononcer son nom et se tourna vers ses sœurs. Son visage exprima la stupeur, puis la contrariété, lorsqu’il reconnut Dimity. Après s’être excusé auprès de ses compagnons, il s’éloigna d’un pas vif, contourna les fontaines végétales, une symphonie de pourpre et d’ocre, qui occupaient le centre du carré, et gagna l’angle opposé, réservé aux cadets. Il toisa sa jeune sœur.

— As-tu perdu la tête ? Que fais-tu là ?

L’adolescente fixa sur lui des yeux angoissés.

— C’est la faute du professeur. Il a dit à notre père…

— Peu importe ce qu’il a dit ! Tu n’es pas prête, tu ne le seras jamais !

C’était tout Sylvan, cet emportement de langage dans les pires moments, cette manière de proférer avec impétuosité ce que la plupart se contentaient de penser, en dépit (à cause, insinuaient les mauvaises langues) de l’impopularité que lui valaient ces accès de rude franchise, secrètement satisfait d’attirer sur lui l’attention, bien qu’il eût soutenu mordicus le contraire si quelqu’un l’avait mis au défi de reconnaître publiquement sa propension au cabotinage. Cette exigence narcissique de sincérité, manifestée à tout propos, était souvent contrariée par la complexité d’un monde qui, semblable en cela à tous ceux qui l’avaient précédé, se nourrissait d’un peu de vérité et de beaucoup de faux-semblants.

Amethyste avança les lèvres en une moue charmante.

— Tu prends la mouche, comme toujours, et tu dis quantité de bêtises. Si l’on t’écoutait, personne ne serait digne de galoper à travers la Prairie, à part toi, naturellement.

Sylvan haussa les épaules.

— Si l’on m’écoutait, ces exercices de défoulement rituels seraient abandonnés. Contrairement à ce que tu prétends, je me ferais une raison, sans difficulté. Il ramena son attention sur la benjamine. Notre mère a-t-elle donné son accord, pour que tu participes à la chasse ?

— Papa en a décidé ainsi, dit tout bas Dimity. Plus vite je gagnerai mes couleurs, mieux cela vaudra, c’est ce qu’il pense. Je suis déjà plus âgée que ne l’étaient Amy et Emmy, lorsqu’elles ont effectué leur première sortie.

Elle jeta un furtif coup d’œil en direction du groupe formé par les doyens, dominé par la haute silhouette de Stavenger bon Damfels, tout l’air d’un oiseau de proie avec son visage émacié prolongé par le nez en faucille. Surprenant, posé sur elle, le regard morose de son père, la jeune fille se hâta de détourner le sien.

Sylvan la vit prostrée ; il la prit carrément par les épaules et la secoua.

— C’est absurde, Dimity, absurde ! Pourquoi ne pas lui avoir dit que tu n’étais pas en état de nous suivre ?

— Crois-tu que je n’y aie pas songé ? Quelle chance avais-je de me faire entendre, après que le professeur lui eut dit qu’en ce qui me concernait, c’était maintenant ou jamais ?

— Précisément, le professeur ne pouvait être plus clair. Il fallait comprendre.

D’une secousse, Dimity lui fit lâcher prise.

— Je sais ce qu’il fallait comprendre, je ne suis pas si naïve. Non seulement votre fille est une médiocre cavalière, mais il n’y a aucun espoir d’amélioration, voilà, grosso modo, ce qu’il voulait dire.

— Tu n’es pas si mauvaise, assura Emeraude sur un ton qui se voulait apaisant et ne réussissait qu’à être charitable. Au même âge je montais beaucoup plus mal que toi, je t’assure, tout le monde pourrait en témoigner.

— Étant enfant, tu ne montrais aucune disposition, il est vrai, confirma Sylvan. Par la suite, cependant, tu as accompli de remarquables progrès. À dix-sept ans, tu montais aussi bien que n’importe qui. Dimity doit-elle pour autant marcher sur tes traces si elle en est incapable ? La chasse, tout le monde le sait ou devrait le savoir, n’est nullement une activité impérative.

— Cessez de me dire, d’une manière ou d’une autre, que je suis trop nulle pour suivre votre exemple ! s’écria la jeune fille, exaspérée. Elle avait maintenant les larmes aux yeux et semblait sur le point de perdre son sang-froid. Les uns affirment que rien ne m’oblige à participer à cette chasse contre ma volonté ; notre père prétend pour sa part que c’est une obligation morale à laquelle personne ne peut se soustraire. Qui dois-je croire, et que puis-je faire ? On dirait que vous prenez plaisir à rendre cette épreuve encore plus difficile pour moi !

Impressionné par la sincérité de sa sœur, Sylvan changea soudain de tactique. Invectives et remontrances n’étaient pas de mise. Il avait de l’affection pour la benjamine du clan Damfels, suffisamment pour se rendre compte du désarroi dans lequel elle se trouvait. N’avait-il pas, avant tout le monde, raccourci en Dimity, puis en Dim, ce « Diamante » impossible à porter pour la demi-portion qu’était alors la petite dernière aux yeux d’un frère de dix-huit ans ? Dix ans avaient passé. Sa préférence toujours marquée pour la plus jeune de ses sœurs justifiait, du point de vue de Sylvan, les manières volontiers protectrices qu’il affichait à son endroit, même à présent qu’elle était adolescente. Il la dévisagea. Avec sa frimousse aux traits tirés, privée de sa chevelure, elle avait tout l’air d’un gamin effrayé.

— S’il ne tenait qu’à toi, Dim, que choisirais-tu de faire ?

— J’ai faim et j’ai soif, et j’ai sommeil, bredouilla-t-elle. Je voudrais rentrer, prendre un copieux petit déjeuner, potasser ma leçon de grammaire. Si cela ne tenait qu’à moi, j’irais au bal et je laisserais Jason bon Haunser me faire un brin de cour. Pour l’instant, ce que je souhaiterais le plus au monde, ce serait de pouvoir prendre un bain, puis de m’étendre dans l’enclos des pimprenelles et de suivre des yeux le vol des colibris.

Le frère aîné souriait.