Выбрать главу

Après qu’ils se furent deux ou trois fois embrassés comme deux frères, et qu’ils se furent affectueusement demandé de leurs nouvelles, Astolphe dit: «Maintenant, si je veux visiter le pays des oiseaux, il ne me faut pas tarder plus longtemps.» Et, racontant son projet à la dame, il lui fit voir le destrier ailé.

Bradamante n’éprouve pas une grande surprise en voyant ce destrier déployer ses ailes. L’enchanteur Atlante le montait lorsqu’elle combattit contre lui et qu’elle lui fit verser tant de larmes. Elle l’avait également suivi des yeux, le jour où Roger fut emporté loin d’elle par un chemin long et étrange.

Astolphe lui dit qu’il veut lui confier Rabican, plus léger à la course que la flèche échappée de l’arc; il lui laisse également toutes ses armes, et la prie de les garder jusqu’à son retour, où il ira les lui réclamer à Montauban, car, pour le moment, elles ne lui font nullement besoin.

Voulant s’en aller en volant par les airs, il doit en effet se faire le plus léger possible. Il garde seulement son épée et son cor, bien que le cor seul eût suffi pour le préserver de tout péril. Bradamante reçoit aussi la lance que porta jadis le fils de Galafron, et qui fait vider la selle à tous ceux qu’elle frappe.

Astolphe, monté sur le destrier volant, s’élève d’abord lentement dans les airs, puis il le chasse si fort qu’au bout d’un moment Bradamante le perd de vue. Ainsi fait au départ, sous la conduite du pilote, le nocher qui craint les écueils et le vent; puis, quand il a laissé derrière lui le port et le rivage, il déploie toutes les voiles et devance le vent.

Après le départ du duc, la dame reste en grand travail d’esprit. Elle ne sait comment ramener à Montauban les armes et le coursier de son parent. Dans l’ardent désir qui la pousse de revoir Roger, elle se demande si elle ne doit pas d’abord aller à Vallombreuse, où elle pense le retrouver, à moins qu’elle ne le rencontre auparavant en route.

Pendant qu’elle est indécise, elle voit venir à elle un paysan. Elle lui fait placer de son mieux l’armure sur le dos de Rabican, puis elle lui confie le soin de mener derrière elle les deux chevaux, l’un chargé et l’autre la selle vide, car avant de recevoir en dépôt le cheval d’Astolphe elle en avait deux: celui sur lequel elle était montée, et celui qu’elle avait enlevé à Pinabel.

Elle se décide à aller à Vallombreuse, où elle espère trouver son cher Roger; mais elle ne sait pas quel est le chemin le plus direct et le meilleur, et elle craint de se tromper. Le paysan ne connaissait pas beaucoup la contrée, et ne pouvait que l’égarer encore. Enfin elle part à l’aventure, du côté où elle pense qu’est située Vallombreuse.

Elle marche çà et là, sans rencontrer sur son chemin personne à qui elle puisse se renseigner. Vers l’heure de none, elle sort de la forêt et découvre de loin un castel sur la cime d’une montagne. Elle le regarde, et il lui semble reconnaître Montauban. C’était Montauban en effet, où elle avait sa mère et plusieurs de ses frères.

Dès qu’elle a reconnu l’endroit où elle est, la dame sent la tristesse envahir son cœur plus que je ne saurais dire. Si elle s’arrête, on la verra et on ne voudra plus la laisser partir; et si elle ne part pas, le feu de l’amour la brûlera au point de la faire mourir. Elle ne reverra plus Roger, et rien de ce qu’ils ont projeté de faire à Vallombreuse ne pourra s’accomplir.

Elle reste quelque temps pensive, puis elle se décide à tourner le dos à Montauban, et elle se dirige vers l’abbaye dont elle connaît bien maintenant la route. Mais, avant qu’elle soit sortie de la vallée, sa fortune, bonne ou mauvaise, lui fait rencontrer Alard, un de ses frères, sans qu’elle ait le temps de se dérober à sa vue.

Il s’en revenait de préparer les logements pour les cavaliers et les fantassins nouvellement levés dans la contrée sur les instances de Charles. Après s’être chaleureusement embrassés, le frère et la sœur rentrent à Montauban, en devisant de choses et d’autres.

La belle dame rentre à Montauban, où Béatrice l’avait pleurée en vain pendant longtemps, après l’avoir fait chercher par toute la France. Les baisers et les serrements de main de sa mère et de ses frères lui paraissent froids, auprès des baisers qu’elle a échangés avec Roger et qu’elle aura sans cesse empreints dans son âme.

Ne pouvant aller à Vallombreuse, elle pense à y envoyer quelqu’un pour prévenir Roger du motif qui l’empêche d’y aller elle-même, et pour le prier – comme s’il en était besoin! – d’y recevoir le baptême pour l’amour d’elle, et de venir ensuite à Montauban pour la demander en mariage, ainsi qu’il était convenu.

Elle veut, par la même occasion, renvoyer à Roger son cheval, qu’il aime tant, et qui mérite si bien l’affection de son maître. On n’aurait pas trouvé dans tout l’empire sarrasin ou dans le royaume de France, de plus beau et de plus vaillant destrier, si ce n’est Bride-d’Or et Bayard.

Roger, le jour où, emporté par son audace, il monta sur l’hippogriffe et disparut dans les cieux, avait laissé Frontin abandonné, – Frontin était le nom du destrier. – Bradamante le prit, et l’envoya à Montauban, avec recommandation expresse de ne le laisser monter que rarement et de le conduire toujours au pas, de sorte qu’il était plus brillant et plus gras que jamais.

Elle se met aussitôt à l’œuvre avec toutes ses dames, toutes ses damoiselles, et, par un subtil labeur, elle fait tracer sur une soie blanche et noire une broderie d’or fin; elle en recouvre et en orne la selle et la bride du bon destrier; puis elle choisit une de ses suivantes, fille de sa nourrice Callitrésie, et confidente de tous ses secrets.

Elle lui avait raconté mille fois combien l’image de Roger était empreinte dans son cœur; elle avait exalté sa beauté, son courage, ses grâces au-dessus des dieux. Elle la fait venir près d’elle et lui dit: «Je ne puis choisir un meilleur messager pour une telle mission; car je ne connais pas d’ambassadeur plus fidèle et plus prudent que toi, ma chère Hippalque.»

La donzelle s’appelait Hippalque. Bradamante lui apprend où elle doit se rendre; elle l’informe pleinement de tout ce qu’elle aura à dire à son cher seigneur; elle lui fera ses excuses de n’être point allée elle-même au monastère; ce n’est pas qu’elle songe à renier sa promesse, mais elle en a été empêchée par la fortune plus forte que la volonté humaine.

Elle la fait monter sur une haquenée et lui met à la main la riche bride de Frontin. Elle lui dit que, s’il se trouve sur son chemin quelqu’un d’assez lâche ou d’assez insensé pour vouloir le lui enlever, elle n’a qu’à dire à qui appartient le destrier, car elle ne connaît pas de chevalier, quelque hardi qu’il soit, qui ne tremble au nom de Roger.

Elle la charge d’une foule d’autres recommandations pour Roger. Après les avoir attentivement écoutées, Hippalque se met en route sans plus de retard. Elle chevauche pendant plus de dix milles, à travers les chemins, les champs et les forêts obscures et épaisses, sans que personne vienne l’arrêter ou lui demander où elle va.