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Avec lui est la jeune fille qu’il a trouvée dans une grotte sauvage, Isabelle, la fille du roi de Galice, tombée au pouvoir des malandrins après avoir échappé à la tempête et aux fureurs de la mer qui ont brisé son navire. C’est celle que Zerbin porte dans son cœur et qui lui est plus chère que sa propre vie.

Roland l’avait emmenée avec lui en quittant la caverne. Isabelle demande à Roland quelle est cette foule qu’elle aperçoit dans la campagne. «Je ne sais pas» dit-il. Puis il la laisse sur la colline et descend rapidement dans la plaine. Il regarde Zerbin, et à première vue il le tient pour un chevalier de grande estime.

Il s’approche, il lui demande pourquoi il est enchaîné, et où on le conduit. Le dolent chevalier lève la tête, et, après avoir écouté ce que lui dit le paladin, il lui raconte la vérité; il la lui expose avec un tel accent de sincérité que le comte le juge digne de sa protection, persuadé qu’il est innocent et qu’il n’a point mérité la mort.

Mais, quand il apprend que l’arrêt a été rendu par le comte Anselme d’Hauterive, il ne doute plus de son injustice, car ce félon n’a pas d’autres façons d’agir. En outre, il sent se réveiller l’antique haine qui divise la maison de Mayence et celle de Clermont, et qui a causé à toutes deux tant de sang, tant de ruines et tant de hontes.

«Déliez ce chevalier, canaille, – crie le comte aux manants, – ou je vous extermine.» «Quel est celui-ci qui se vante de porter de tels coups? – répond un des hommes d’armes qui veut payer d’assurance. – Si nous étions de cire ou de paille et que lui-même fût de feu, sa menace pourrait peut-être nous épouvanter.» Et il se précipite sur le paladin de France, qui abaisse sa lance contre lui.

Le Mayençais avait sur son dos la brillante armure enlevée pendant la nuit à Zerbin; mais elle ne peut le défendre contre le coup terrible porté par le paladin et qui le frappe à la joue droite. Le casque n’est point entamé, car il est de fine trempe, mais le choc est si grand, que le malheureux a le cou rompu et tombe mort.

Roland poursuit sa course; sans déranger sa lance, il en transperce un autre de part en part. Puis il la jette, tire Durandal et se précipite au plus épais de la troupe, à l’un, il fend la tête en deux; à l’autre il la coupe net au ras du buste; il perce la gorge à plusieurs autres; en un clin d’œil, il en tue ou il en met en fuite plus de cent.

Plus du tiers est mort; Roland chasse le reste; il taille, il fend, il transperce, il déchire; les malheureux jettent pour fuir tout ce qui les embarrasse: les écus, les épées, les épieux, les serpes; les uns se dispersent au loin, les autres courent le long du chemin; d’autres se cachent dans les bois et dans les cavernes. Roland, sans pitié ce jour-là, ne veut pas en laisser échapper un seul vivant.

Sur cent vingt, – c’est Turpin qui a fait le compte, – quatre-vingt-dix au moins périrent. À la fin, Roland revient vers Zerbin, dont le cœur tressaille d’impatience dans la poitrine. Si celui-ci éprouva une vive allégresse en voyant revenir Roland, cela ne se peut raconter pleinement en ces vers; il se serait prosterné pour l’honorer, mais il se trouvait lié sur le roussin.

Roland le délie et l’aide à revêtir ses armes, qu’il a reprises au capitaine de la troupe, auquel elles n’ont pas porté bonheur. Pendant ce temps, Zerbin lève les yeux sur Isabelle, restée sur le sommet de la colline, et qui, voyant le combat terminé, s’est avancée plus belle que jamais.

Lorsque Zerbin voit s’approcher la dame qu’il a tant aimée, la belle dame qu’il croyait, sur la foi d’une fausse nouvelle, engloutie dans les flots, et qu’il a si longtemps pleurée, il sent un froid glacial lui serrer le cœur; tout son corps tremble; mais bientôt le frisson fait place aux feux ardents de l’amour.

La reconnaissance qu’il doit au seigneur d’Anglante l’empêche de se jeter dans ses bras, car il pense que Roland est devenu l’amant de la damoiselle. La joie qu’il a d’abord éprouvée dure peu, et fait place à une peine plus amère; il a moins souffert quand il a appris qu’elle était morte, qu’en la voyant aux mains d’un autre.

Ce qui lui cause le plus de douleur, c’est qu’elle appartienne au chevalier à qui il doit tant. Essayer de la lui enlever ne serait ni honnête ni chose facile sans doute. Il ne laisserait certainement à personne autre une telle proie sans la lui disputer; mais une telle reconnaissance le lie envers le comte, qu’il est forcé de courber la tête.

Ils arrivent tous les trois, sans s’être dit une parole, près d’une fontaine où ils descendent de cheval pour se reposer un instant. Le comte, fatigué, enlève son casque et invite Zerbin à retirer aussi le sien. La dame, qui reconnaît son amant, pâlit soudain de joie; mais elle se ranime vite, comme la fleur, après une grande pluie, au retour du soleil.

Et, sans plus attendre, sans la moindre fausse honte, elle court à son cher amant et lui jette les bras autour du cou. Elle ne peut prononcer une parole, mais elle lui baigne de larmes le sein et la figure. Roland, à la vue de ces transports, n’a pas besoin d’autre explication pour comprendre que le chevalier qu’il a sauvé n’est autre que Zerbin.

Dès que la voix lui est revenue, Isabelle, les joues encore humides de pleurs, raconte à Zerbin tout ce qu’elle doit à la courtoisie du paladin de France. Zerbin, qui chérit la damoiselle à l’égal de sa vie, se jette aux pieds du comte, et lui rend grâce de lui avoir deux fois rendu la vie en une heure.

Les remerciements et les offres de services auraient pu durer longtemps entre les deux chevaliers, s’ils n’avaient entendu du bruit à travers les arbres au feuillage épais et sombre. Ils s’empressèrent de remettre leurs casques sur leurs têtes et de remonter à cheval. À peine étaient-ils en selle, qu’ils virent arriver un chevalier accompagné d’une damoiselle.

Ce guerrier était Mandricard, qui suivait les traces de Roland, afin de venger Alzire et Manilard, que le paladin avait si vaillamment renversés. Sa poursuite, d’abord fort active, s’était sensiblement ralentie, du moment où il avait eu Doralice en son pouvoir, après l’avoir enlevée avec un tronçon de lance, à plus de cent guerriers bardés de fer.

Le Sarrasin ignorait que celui qu’il poursuivait fût le seigneur d’Anglante, mais tout semblait indiquer que c’était un illustre chevalier errant. Il ne fait pas attention à Zerbin; ses yeux, au contraire, examinent le comte de la tête aux pieds, et retrouvant tous les indices qu’on lui en a donnés: «Tu es celui que je cherche, – dit-il.

» Voilà dix jours, – ajoute-t-il, – que je suis tes traces, excité par le bruit de tes exploits, qui est parvenu jusqu’au camp devant Paris. Le seul survivant des mille guerriers que tu as taillés en pièces y est arrivé après de grandes fatigues, et a raconté le carnage que tu as fait des soldats de Noricie et de ceux de Trémisen.

» Dès que je l’appris, je m’empressai de me mettre à ta poursuite, pour te connaître et me mesurer avec toi. Je m’informai des insignes que tu portes sur tes armes, et c’est toi, je le sais. À défaut de ces indications, je te reconnaîtrais au milieu de cent autres, rien qu’à ta fière prestance.»

«On ne peut dire, – lui répond Roland, – que tu ne sois pas un chevalier de grande vaillance, car, à mon avis, un dessein si magnanime ne saurait naître en un cœur vil. Si c’est le désir de me voir qui t’a fait venir, je veux que tu me voies à visage découvert, comme tu as vu mes armes; je vais ôter mon casque, afin que ton envie soit satisfaite.