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» Je suppose – et je ne veux pas encore le croire – que Bradamante se soit liée secrètement à Roger, comme vous le dites, et que Roger se soit lié à elle. Quand et où cela s’est-il passé? Je voudrais le savoir d’une manière plus expresse et plus claire. Le fait est faux, je le sais; en tout cas, il ne pourrait s’être produit qu’avant le baptême de Roger.

» Mais si la chose a eu lieu avant que Roger fût chrétien, je n’ai pas à m’en préoccuper, car Bradamante étant alors chrétienne et lui païen, j’estime que ce mariage est nul. Léon ne doit pas, pour un motif si vain, risquer le combat, et je ne pense pas non plus que notre empereur le trouve suffisant pour revenir sur sa parole.

» Ce que vous me dites maintenant, il fallait me le dire quand rien n’était encore décidé, et avant que Charles, sur les prières de Bradamante, n’eût fait publier le ban qui a fait venir ici Léon, et qui l’a fait affronter la bataille.» C’est ainsi qu’Aymon raisonnait contre Renaud et contre Roland, pour prouver la fausseté de la promesse contractée par les deux amants. Quant à Charles, il se bornait à écouter, et ne voulait se prononcer ni d’un côté ni de l’autre.

De même que, lorsque l’austral et l’aquilon soufflent, on entend les feuilles frémir dans les forêts profondes, ou de même que l’on entend mugir les ondes sur le rivage, quand Éole se dispute avec Neptune, ainsi, par toute la France, court et se répand une rumeur immense. À force de se propager de côtés et d’autres, la nouvelle finit par se dénaturer tout à fait.

Les uns prennent parti pour Roger, les autres pour Léon. Cependant le plus grand nombre est pour Roger. Aymon a à peine une voix sur dix en sa faveur. L’empereur ne se prononce pour aucune des deux parties, mais il renvoie la cause à son parlement. Marphise, voyant que le mariage est différé, s’avance et propose un nouveau moyen.

Elle dit: «Comme je sais que Bradamante ne peut appartenir à un autre, tant que mon frère sera vivant, si Léon le veut, qu’il se montre assez hardi et assez fort pour arracher la vie à Roger. Celui des deux prétendants qui plongera l’autre dans la tombe restera sans rival, et possédera l’objet de ses désirs.» Aussitôt Charles transmet cette proposition à Léon, comme il lui avait transmis les autres.

Léon est tellement assuré de vaincre Roger, tant qu’il aura avec lui le chevalier de la Licorne, qu’aucune entreprise ne lui paraît à craindre. Ignorant que le chagrin a poussé le chevalier jusqu’au fond d’un bois solitaire et sombre, et croyant qu’il est allé se promener à un mille ou deux, et qu’il reviendra bientôt, il accepte la proposition.

Il ne tarde pas à s’en repentir, car celui sur lequel il compte ne reparaît pas, ni ce jour, ni les deux jours suivants, et l’on n’a de lui aucune nouvelle. Entreprendre sans lui de lutter contre Roger, paraît dangereux à Léon. Désireux d’échapper au péril et à la honte, il envoie messager sur messager à la recherche du chevalier de la licorne.

Il envoie par les cités, les villas et les châteaux, aux environs et au loin, afin de le retrouver. Non content de cela, il monte lui-même en selle et part à sa recherche. Mais il n’en aurait pas eu de sitôt des nouvelles, non plus que les messagers envoyés par Charles, si Mélisse ne s’était pas trouvée là pour accomplir ce que je me réserve de vous faire entendre dans l’autre chant.

Chant XLVI

ARGUMENT. – Le poète, se sentant arriver au port, nomme les nombreux amis qui l’attendent pour fêter son retour. – Mélisse va à la recherche de Roger, et lui sauve la vie avec le concours de Léon qui, ayant appris le motif du désespoir de Roger, lui cède Bradamante. Tous vont à Paris, où Roger, élu déjà roi des Hongrois, est reconnu pour le chevalier qui a combattu contre Bradamante. On célèbre les noces avec une splendeur royale; le lit nuptial est préparé sous la tente impériale que Mélisse, grâce à son art magique, a fait venir de Constantinople. Pendant le dernier jour des fêtes, survient Rodomont qui défie Roger; le combat a lieu, et Rodomont reçoit la mort de la main de Roger.

Maintenant, si ma carte dit vrai, je ne serai pas longtemps à découvrir le port. C’est pourquoi j’espère, en abordant au rivage, accomplir les vœux de ceux qui m’ont suivi sur la mer dans ce long voyage, pendant lequel la crainte de voir mon vaisseau brisé, ou de m’égarer à tout jamais, m’a fait pâlir bien souvent. Mais il me semble apercevoir, mais j’aperçois certainement la terre, et je vois le rivage à découvert.

J’entends comme un cri d’allégresse qui fait frémir les airs et frappe les ondes. J’entends un bruit de cloches et de trompettes qui se confond avec les acclamations du peuple. Voici que je commence à distinguer ceux qui remplissent les deux jetées du port. Tous semblent se réjouir de me voir revenu d’un si long voyage.

Oh! comme je vois le rivage orné de dames belles et sages, et de chevaliers illustres! Que d’amis, et combien je suis touché de la joie qu’ils montrent de mon retour! je vois sur l’extrémité du môle, Mamma et Ginevra, et les autres dames de Corregio. Véronique de Gambera, si chère à Phébus et au cœur sacré d’Aonie, est avec elles.

Je vois une autre Ginevra, issue du même sang. Près d’elle se tient Julie. Je vois Hippolyte Sforce, et Trivulzia, la damoiselle élevée dans l’antre sacré. Je te vois, ô Émilia Pia, et toi, Marguerite, qui as auprès de toi Angela Borgia et Graziosa. Avec Ricciarda d’Este, voici les belles Bianca et Diana, ainsi que leurs autres sœurs.

Voici la belle, mais plus sage encore et plus modeste Barbara Turca, qui a Laure pour compagne. Des Indes aux plus lointains rivages maures, le soleil n’éclaire pas un couple plus parfait. Voici Ginevra dont la maison de Malatesta tire un éclat tel, que jamais palais impériaux ou royaux ne possédèrent pierre plus précieuse.

Si elle se fût trouvée à Rimini, à l’époque où César, tout glorieux de la Gaule domptée, hésitait à passer le Rubicon pour marcher sur Rome, je crois qu’il aurait ployé à tout jamais sa bannière, et, se dépouillant de ses riches trophées, il les aurait mis à la disposition de Ginevra, et n’aurait plus songé à étouffer la liberté.

Voici la femme, la mère, les sœurs et les cousines de mon seigneur de Bozzolo, avec les Torella, les Bentivoglio, les Visconti et les Palavicini. Parmi toutes les dames de nos jours, parmi celles que la renommée a rendues illustres chez les Grecs, les Barbares ou les Latins, aucune n’a eu et n’a la grâce et la beauté

De Giulia Gonzaga. Partout où elle porte ses pas, partout où elle tourne ses regards sereins, non seulement toutes les autres beautés s’effacent, mais on l’admire comme une déesse descendue du ciel. Près d’elle est sa cousine, dont la fortune en courroux n’a jamais pu ébranler la fidélité. Voici Anna d’Aragon, flambeau de la maison du Guast,

Anna, belle, gente, courtoise et sage, sanctuaire de chasteté, de fidélité et d’amour. Sa sœur est avec elle; partout où rayonne son altière beauté, toutes les autres sont éclipsées. Voici celle qui, donnant un exemple unique au monde, et bravant les Parques et la mort, a arraché aux sombres plages du Styx, et a fait resplendir au ciel son invincible époux.

Là sont les dames de Ferrare et celles de la cour d’Urbino. Je reconnais celles de Mantoue, et toutes les belles que possèdent la Lombardie et le pays toscan. Si mes yeux ne sont point éblouis par l’éclat de visages si beaux, le chevalier qui s’avance au milieu d’elles, et qu’elles entourent de tant de respect, est la grande lumière d’Arezzo, l’unique Accolti.