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Il le retrouve dans une caverne profonde, encore si tremblant de la peur qu’il avait eue, qu’il n’osait plus sortir. Le païen, l’ayant en son pouvoir, se rappelle très bien la promesse qu’il a faite de retourner avec lui à la fontaine. Mais il n’est plus disposé à observer cette promesse, et il se tient en soi-même ce langage:

«Que celui qui voudra disputer et batailler pour l’avoir, dispute et bataille; pour moi, je suis plus désireux de le posséder pacifiquement. D’un bout à l’autre de la terre, je suis venu jadis dans l’unique but de me rendre maître de Bayard; maintenant que je le tiens en mes mains, bien fou celui qui croirait que je consentirais à m’en défaire. Si Renaud veut le ravoir, qu’il vienne lui aussi dans l’Inde, comme je suis venu moi-même jadis en France.

» La Séricane ne sera pas un séjour moins sûr pour lui que la France ne l’a déjà été deux fois pour moi.» Ainsi disant, il s’en vint à Arles par la voie la plus facile et y rejoignit l’armée. Puis, ayant en sa possession Bayard et Durandal, il partit sur une galère espalmée. Mais je vous parlerai de lui une autre fois, car je dois quitter Gradasse, Renaud et la France.

Je veux suivre Astolphe qui, avec la selle et le mors, dirigeait l’hippogriffe par les airs, comme il eût fait d’un palefroi. Il le faisait aller d’une course plus rapide que le vol de l’aigle et du faucon. Après qu’il eut parcouru d’une mer à l’autre, des Pyrénées au Rhin, tout le pays des Gaules, il se dirigea vers le Ponant, du côté de la chaîne de montagne qui sépare la France de l’Espagne.

Il passa en Navarre et de là en Aragon, laissant tous ceux qui le voyaient en grande stupeur. Il laissa bien loin à sa gauche Tarragone, Biscaglia à sa droite, et arriva en Castille. Il vit la Galicie et le royaume de Lisbonne; puis il dirigea sa course vers Cordoue et Séville, parcourant les rivages de la mer, l’intérieur des terres, jusqu’à ce qu’il eût visité toute l’Espagne.

Il vit le détroit de Gadès et les bornes qu’Hercule posa pour les premiers navigateurs. Il se disposa ensuite à courir çà et là en Afrique, de la mer d’Atlante aux confins de l’Égypte. Il vit les fameuses Baléares, et Iviça qui se trouva droit sur son chemin. Puis, tournant bride, il se dirigea vers Arzilla assise sur la mer qui la sépare de l’Espagne.

Il vit Maroc, Fez, Oran, Hippone, Alger, Bougie, toutes ces superbes cités qui ont autour d’elles comme une couronne d’autres cités, couronne d’or et non de feuillage ou de verdure. Puis, il piqua vers Biserte et Tunis. Il vit Cabès et l’île de Gerbi, Tripoli, Bérénice, Ptolémaïs, et parvint jusqu’aux lieux où le Nil se jette en Asie.

Il vit toute la contrée située entre la mer et les croupes boisées du fier Atlas. Puis, tournant le dos aux monts de Carène, il prit sa route au-dessus des Cyrénéens. Traversant les immenses déserts de sable, il arriva sur les confins de la Nubie, à Albaiada, et laissa derrière lui les ruines de Battus et le grand temple d’Ammon, aujourd’hui détruit.

De là, il atteignit une autre Trémisène qui suit la loi de Mahomet. Puis il tourna les ailes de son coursier vers les autres Éthiopiens qui sont situés au delà du Nil. Il suivit le chemin de la cité de Nubie, filant dans les airs entre Dobada et Coallé. Quelques-uns de ces peuples sont chrétiens, les autres musulmans, et ont constamment les armes à la main sur leurs frontières respectives.

Sénapes, empereur d’Éthiopie, qui a une croix pour sceptre, règne sur de nombreux vassaux. Il possède des cités et de l’or en grande quantité, et son pouvoir s’étend jusqu’à l’embouchure de la mer Rouge. La foi qu’il professe est presque semblable à la nôtre, et peut suffire pour sauver de l’exil éternel. C’est là, si je ne fais erreur, qu’on fait usage du feu pour baptiser.

Le duc Astolphe descendit dans la capitale de la Nubie, et visita Sénapes. Le château qu’habite le chef de l’Éthiopie est beaucoup plus riche que fort. Les chaînes des ponts et des portes, les gonds et les serrures, et finalement tous les ouvrages qui chez nous sont en fer, sont là-bas en or.

Bien que ce précieux métal y soit en si grande abondance, il n’y est pas moins fort estimé. Les appartements de cette royale demeure sont soutenus par des colonnes de cristal limpide. Sous les balcons, divisés en espaces proportionnés, les rubis, les émeraudes, les saphirs et les topazes projettent leur froide lumière, aux rayons rouges, blancs, verts, azurés et jaunes.

Sur les murs, sur les toits, sur les pavés, les perles et les pierres gemmes sont parsemées. Là naît le baume, et, en comparaison, Jérusalem n’en produit qu’une très petite quantité. C’est de là que le musc nous arrive, ainsi que l’ambre et les autres produits exotiques. En somme, les choses qui ont tant de valeur dans nos pays viennent de là.

On dit que le soudan, roi d’Égypte, paye tribut au roi d’Éthiopie et s’en reconnaît vassal, de crainte qu’il ne détourne le cours du Nil, et n’affame ainsi d’un seul coup le Caire et toute la contrée. Ses sujets l’appellent Sénapes, et nous le nommons, nous, Presto ou Presteianni [12].

De tous les rois qui existèrent jamais en Éthiopie, il fut le plus riche et le plus puissant. Mais, malgré toute sa puissance et tous ses trésors, il avait misérablement perdu la vue. Et c’était encore là le moindre de ses tourments. Ce qui l’accablait et le faisait le plus souffrir, c’était d’être torturé par une faim perpétuelle, lui qu’on nommait le plus riche des hommes.

Lorsque le malheureux, poussé par le besoin, s’apprêtait à manger ou à boire, l’infernale troupe des Harpies vengeresses surgissait soudain. Les monstrueuses Harpies, brutales et malfaisantes, de leurs griffes et de leurs ongles crochus, renversaient les vases et saisissaient les mets; ce que leur ventre affamé n’engloutissait pas, restait souillé et contaminé parleur attouchement.

Et cela, parce que dans sa jeunesse, enivré par les honneurs, les richesses qui le mettaient au-dessus de tous les autres mortels, fier de sa force et de son courage, il devint, comme Lucifer, orgueilleux au point de songer à faire la guerre à son Créateur. À la tête de son armée, il marcha droit au mont d’où sort le grand fleuve d’Égypte.

Il avait entendu dire que sur ce mont sauvage, qui s’élève au delà des nues et monte jusqu’au ciel, était situé le paradis que l’on appelle terrestre, où habitèrent jadis Adam et Ève. Suivi de chameaux, d’éléphants et d’une armée de fantassins, l’orgueilleux s’avançait avec l’intention de soumettre à sa loi les habitants de cet heureux séjour, si toutefois il y en avait.

Dieu réprima sa téméraire audace. Il envoya au milieu de ces bandes un de ses anges qui en fit périr plus de cent mille, et le condamna lui-même à une nuit éternelle. Puis, il ordonna aux horribles monstres des grottes infernales de venir à sa table enlever et souiller tous les aliments sans les lui laisser goûter ni toucher.

Et pour qu’il ne lui restât aucun espoir, il lui avait été prophétisé que ses tables ne seraient débarrassées de la bande voleuse et de leur odeur nauséabonde, que lorsqu’on verrait venir par les airs un chevalier sur un cheval ailé. Ce miracle lui paraissant chose impossible, il vivait dans la tristesse, privé de toute espérance.

Lorsque, à la grande stupeur des gens, on vit arriver le chevalier, planant sur les murs et les tours élevées, on courut aussitôt en prévenir le roi de Nubie qui se rappela la prophétie. Oubliant dans sa joie de prendre son fidèle bâton, il vint les mains étendues et en tâtonnant au-devant du chevalier volant.