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Voyant que ses larmes ne s’arrêtaient point, et que ses soupirs continuaient plus que jamais à s’exhaler de son sein; sentant que les offices et les messes qu’elle faisait constamment ne parvenaient point à calmer ses regrets, elle résolut de ne plus quitter ces lieux, jusqu’à ce que son âme se séparât de son corps. Elle fit construire une cellule dans le sépulcre même, s’y renferma, et y passa sa vie.

Outre les messagers et les lettres qu’il lui envoya, Roland vint en personne pour l’emmener, lui proposant, si elle voulait revenir en France, de lui donner pour compagne Galerane, et de lui servir une riche pension; si elle voulait retourner auprès de son père, il l’accompagnerait jusqu’à Lizza; enfin, si elle avait l’intention de se consacrer à Dieu, il lui ferait bâtir un monastère.

Mais elle resta auprès du sépulcre, et là, consumée de regrets, priant jour et nuit, elle vit avant peu le fil de sa vie coupé par les Parques. Cependant les trois guerriers de France avaient quitté l’île où les Cyclopes avaient creusé leurs antiques cavernes, affligés et chagrins d’y avoir laissé leur quatrième compagnon.

Ils ne voulurent point partir sans emmener un médecin chargé de prendre soin d’Olivier dont la blessure, mal soignée dans le principe, était devenue très dangereuse. Le blessé poussait de tels gémissements, qu’ils avaient tous de grandes craintes à son sujet. Comme ils en parlaient entre eux, une idée vint au pilote qui la leur communiqua, et cette idée leur plut à tous.

Il leur dit que, non loin de là, sur un écueil solitaire, vivait un ermite auquel on n’avait jamais eu recours en vain, qu’il s’agît d’un conseil à demander ou d’un secours à recevoir; que cet ermite accomplissait des actes surhumains; qu’il rendait la lumière aux aveugles, la vie aux morts, arrêtait le vent d’un signe de croix, et apaisait la mer au plus fort de la tempête;

Et qu’ils ne devaient point douter que, s’ils allaient trouver cet homme si cher à Dieu, il ne leur rendît Olivier sain et sauf, car il avait donné des signes plus merveilleux de son pouvoir. Ce conseil plut tellement à Roland, que lui et ses compagnons se dirigèrent immédiatement vers le saint lieu, et naviguant sans détourner un instant la proue du droit chemin, ils aperçurent l’écueil au lever de l’aurore.

À peine le navire eut-il été aperçu, que des marins expérimentés l’abordèrent résolument, et aidèrent les serviteurs et les matelots à descendre le marquis dans leur barque. Les chevaliers, portés sur les ondes écumeuses, furent débarqués sur le rude écueil et conduits à l’hôtellerie sainte, à la sainte hôtellerie où demeurait ce même vieillard, par les mains duquel Roger avait reçu le baptême.

Le serviteur du maître du paradis reçut Roland et ses compagnons d’un air joyeux, les bénit, et s’informa de leurs désirs, bien qu’il eût eu avis de leur arrivée par les célestes héraults. Roland lui répondit qu’il était venu pour réclamer des secours pour son cher Olivier,

Qui, en combattant pour la Foi du Christ, avait été mis en grand danger de mort. Le Saint lui enleva toute inquiétude, et lui promit de guérir entièrement Olivier. Se trouvant dépourvu d’onguent, ignorant du reste l’art de la médecine tel que le pratiquent les hommes, il alla à l’église; puis, après avoir prié le Sauveur, il en ressortit plein de confiance;

Et, au nom des trois Personnes éternelles, le Père, le Fils et le Saint-Esprit, il donna la bénédiction à Olivier. Ô pouvoir que donne le Christ à qui croit en lui! le vieillard fit cesser complètement les souffrances du chevalier, et lui remit le pied en bon état et plus vigoureux, plus alerte que jamais. Sobrin fut témoin de ce miracle.

Sobrin souffrait tellement de ses blessures, que chaque jour il se sentait plus mal. À peine a-t-il vu le grand et manifeste miracle du saint moine, qu’il se décide à laisser de côté Mahomet et à confesser le Christ comme le Dieu vivant et tout-puissant. D’un cœur consumé par la foi, il demande à être initié à notre rite sacré.

L’homme juste le baptise et, par ses prières, lui rend toute sa vigueur première. Roland et les autres chevaliers ne montrent pas moins de joie d’une telle conversion, que de voir Olivier hors de péril. Roger en eut plus de joie que les autres, et sa foi et sa dévotion ne firent que s’en accroître.

Roger était resté sur cet écueil depuis le jour où il y avait abordé à la nage. Au milieu de ces guerriers, le pieux vieillard allait et venait plein de douceur, et les réconfortait entre temps dans le désir de traverser, purs de toute fange et de toute souillure, ce défilé mortel du monde qu’on appelle la vie, et qui plaît tant aux sots. Il leur disait d’avoir sans cesse les yeux fixés sur le chemin du ciel.

Roland envoya un de ses gens sur le navire, et en fit rapporter du pain, du bon vin, du fromage et du jambon, et à l’homme de Dieu qui en avait oublié le goût, habitué qu’il était à ne se nourrir que de fruits, on fit manger par charité de la viande, boire du vin, faire en un mot comme tous les autres. Quand ils se furent restaurés, ils causèrent entre eux de beaucoup de choses.

Et comme il arrive souvent qu’en parlant, une chose en amène une autre, Roger finit par être reconnu par Renaud, par Olivier, par Roland, pour être ce Roger si excellent sous les armes, et dont la vaillance était l’objet des éloges de tous. Renaud ne l’avait pas reconnu, bien qu’il se fût déjà mesuré avec lui dans la lice.

Le roi Sobrin l’avait bien reconnu dès qu’il l’avait vu venir avec le vieillard, mais, de peur de le compromettre, il avait cru devoir rester muet. Mais quand chacun eut appris que c’était lui ce Roger dont l’audace, la générosité et la grande vaillance étaient renommées dans le monde entier,

Quand ils surent qu’il était déjà chrétien, ils vinrent tous à lui, le visage joyeux et ouvert; qui lui serre la main, qui le baise, qui le serre dans ses bras. Le seigneur de Montauban lui fait plus de caresses, et lui témoigne plus de considération que tous les autres. Je me réserve de vous dire pourquoi dans l’autre chant, si vous voulez bien venir m’écouter.

Chant XLIV

ARGUMENT. – Les cinq guerriers se lient d’une fraternelle amitié. Renaud, tenant Roger en grande estime, et sur les conseils de l’ermite, lui promet la main de sa sœur Bradamante. De là, ils s’en vont à Marseille, où arrive en même temps Astolphe, qui a licencié son armée de Nubiens, et rendu sa flotte à son premier état de feuilles. Les paladins et Sobrin sont magnifiquement accueillis par Charles dans Paris, mais la joie générale est troublée par le refus du duc Aymon et de sa femme Béatrice de consentir à l’union de Roger et de Bradamante, celle-ci ayant été déjà fiancée par eux à Léon, fils de l’empereur des Grecs. Roger prend ses armes et, plein de haine contre Léon, il se transporte au camp des Bulgares qui sont en guerre avec les Grecs. Il défait ces derniers, puis va loger dans une hôtellerie qu’il ignore être située sur les terres de l’empire grec. Il y est dénoncé comme l’auteur du désastre éprouvé par les Grecs.

Souvent dans les pauvres demeures et sous le toit des petits, au milieu des calamités et des disgrâces, les âmes se lient plus étroitement d’amitié qu’au sein des cours et des palais splendides, d’où les richesses envieuses et les intrigues pleines d’embûches et de soupçons ont complètement banni la charité, et où l’on ne voit jamais qu’amitié feinte.

De là vient que les conventions et les traités entre les princes et seigneurs sont si fragiles. Aujourd’hui, rois, papes et empereurs font alliance; demain, ils seront ennemis mortels. Ils n’ont en effet que l’apparence extérieure de l’amitié; leurs cœurs, leurs âmes ne battent pas à l’unisson. Peu leur importe d’avoir tort ou raison; ils ne considèrent uniquement que leur intérêt.