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Accompagné de Griffon, d’Aquilant, de Vivien, d’Alard, de Guidon, de Sansonnet et des autres, il marche à pas mesurés, et sans prononcer une parole, pendant un mille, jusqu’à ce qu’il rencontre l’avant-garde d’Agramant, qu’il trouve endormie. Il tue tout, sans faire un prisonnier. De là, il pénètre au cœur de l’armée maure, sans avoir été vu ni entendu.

À peine arrivé dans le camp des infidèles, Renaud tombe à l’improviste sur la garde dont il fait un tel carnage que pas un homme n’échappe à la mort. Cette première troupe exterminée, les Sarrasins n’ont plus la partie belle, car, pleins de sommeil, inertes et effarés, ils ne peuvent faire que peu de résistance à de tels guerriers.

Pour augmenter l’épouvante des Sarrasins, Renaud, dès le commencement de l’attaque, fait soudain souffler dans les trompes et les cornets, et crier à haute voix son nom. Il éperonne Bayard qui n’est pas lent à lui obéir; d’un bond, il franchit la barrière élevée, renverse les cavaliers, foule aux pieds les fantassins, et abat les baraques et les tentes.

Les plus hardis, parmi les païens, s’arrachent les cheveux quand ils entendent résonner dans les airs les noms redoutés de Renaud et Montauban. Les Espagnols fuient pêle-mêle avec les Africains, sans perdre de temps à charger les bêtes de somme. Aucun n’est d’avis d’attendre une telle furie dont ils ont déjà, à leur grand dam, éprouvé les effets.

Guidon suit Renaud et ne fait pas moins que lui. Les deux fils d’Olivier les imitent, ainsi qu’Alard, Richardet et les deux autres frères. Sansonnet s’ouvre un chemin avec son épée. Aldigier et Vivien font éprouver leur vaillance à bon nombre d’ennemis. Tous ceux qui suivent l’étendard de Clermont se conduisent en vaillants guerriers.

Renaud avait avec lui sept cents combattants, venus de Montauban et des pays d’alentour, habitués à braver sous les armes le froid et le chaud, et non moins redoutables que les Mirmidons d’Achille. Chacun était si solide à la besogne, que cent d’entre eux n’auraient pas reculé devant mille adversaires. Beaucoup l’emportaient sur les plus fameux guerriers.

Et bien que Renaud ne fût pas riche, bien qu’il n’eût ni cités ni trésors, il se les attachait tellement par ses bonnes paroles et ses bons traitements, partageant toujours avec eux ce qu’il possédait, que pas un d’eux ne consentit jamais à servir un autre maître, même pour une paye plus forte. Il fallait une bien grande nécessité pour qu’ils consentissent à quitter Montauban.

Afin de porter à Charlemagne un secours plus efficace, Renaud avait laissé son château sous la garde de peu de monde. À peine sa bannière, cette bannière dont je raconte la gloire, fut-elle arrivée parmi les Africains, qu’elle en fit un carnage pareil à celui que fait le loup féroce au milieu des troupeaux laineux du Galèse, au pays de Phalante, ou le lion parmi les troupeaux de chèvres barbues des bords du Cinyphe.

Charles, qui avait été avisé par Renaud de son arrivée aux environs de Paris, et de son intention d’assaillir pendant la nuit le camp des Sarrasins, se tenait en armes et prêt à combattre. Quand il jugea qu’il était temps, il vint en aide à Renaud avec ses paladins, auxquels s’était joint le fils du riche Monodant, le fidèle et sage amant de Fleur-de-Lys.

Celui qu’elle avait pendant tant de jours, et par de si longs chemins, cherché en vain dans toute la France, elle le reconnut de loin aux insignes qu’il avait l’habitude de porter. Dès que Brandimart la vit, il abandonna le champ de bataille, et tout entier revenu à des sentiments plus humains, il courut l’embrasser. Plein d’amour, il lui donna mille baisers, ou peu s’en fallut.

Les chevaliers de cette antique époque avaient grande confiance en leurs dames et en leurs damoiselles. Ils les laissaient aller sans escorte par monts et par vaux dans des contrées étrangères; et, au retour, ils les tenaient pour bonnes et belles, sans que jamais le soupçon vînt les saisir. Fleur-de-Lys raconta sur-le-champ à son amant que le seigneur d’Anglante était devenu fou.

Brandimart aurait eu peine à croire d’une autre bouche une si étrange et si fâcheuse nouvelle; mais il la crut, venant de la belle Fleur-de-Lys qui lui avait déjà fait croire des choses bien plus fortes. Elle ajouta qu’elle l’avait non pas entendu dire, mais qu’elle l’avait vu de ses propres yeux, et qu’elle connaissait Roland de longue date et mieux que tout autre; et elle dit où et quand.

Elle lui rapporta la scène dont elle avait été témoin sur le pont dangereux, dont Rodomont disputait le passage à tous les chevaliers, afin de leur enlever leur soubreveste et leurs armes pour servir d’ornement à un riche sépulcre. Elle lui dit qu’elle avait vu Roland furieux se livrer en cet endroit à des actes horribles et terrifiants, et comment il avait jeté le païen dans le fleuve, au risque de s’y noyer lui-même.

Brandimart qui aimait le comte autant qu’on peut aimer un compagnon, un frère ou un fils, résolut d’aller à sa recherche et de ne reculer devant aucune fatigue, aucun danger, pour essayer de le guérir de sa fureur, soit avec le concours d’un médecin, soit à l’aide d’enchantements. Comme il se trouvait en selle, tout armé, il se mit sur-le-champ en route avec sa belle dame.

Tous deux se dirigèrent vers le lieu où la dame avait vu le comte. De journée en journée, ils arrivèrent au pont que gardait le roi d’Alger. La sentinelle avertit Rodomont dont les écuyers apprêtèrent aussitôt les armes et le cheval, et qui se trouva tout prêt à combattre quand Brandimart voulut tenter le passage.

D’un ton qui dénotait sa fureur, le Sarrasin cria à Brandimart: «Qui que tu sois, toi qu’une erreur de chemin ou ta propre folie amène ici, descends de cheval et dépouille-toi de tes armes, et fais-en hommage à ce grand sépulcre, avant que je ne te tue et que je ne t’offre comme victime expiatoire aux ombres qu’il renferme. Si tu refuses, je te tuerai tout de même, et je ne t’en aurai aucun gré.»

Brandimart ne voulut pas répondre à cette sommation altière autrement qu’avec la lance. Il éperonne Batolde, son gentil destrier, et s’élance contre son adversaire avec une impétuosité telle qu’il fit bien voir qu’en fait de courage, il pouvait être comparé à n’importe quel chevalier du monde. Quant à Rodomont, mettant sa lance en arrêt, il galope à toute bride sur le pont étroit.

Son destrier, qui avait l’habitude de ce chemin difficile sur lequel il avait déjà fait souvent tomber plus d’un cavalier, accourait avec assurance à la rencontre. L’autre, effrayé par cette course inaccoutumée, s’avançait hésitant et timide. Le pont tremblait sous leurs pieds et semblait près de s’écrouler dans l’eau, outre qu’il était fort étroit et sans parapet.

Les chevaliers, tous deux maîtres en l’art de jouter, avaient des lances grosses comme des madriers et telles encore qu’elles étaient dans leurs écorces sylvestres. Ils s’en portèrent des coups si terribles, qu’il ne servit à rien à leurs coursiers d’être vigoureux et lestes. Tous les deux furent renversés sur le pont, ainsi que leurs maîtres, ne formant qu’un tas.

Pressés par les éperons, ils voulurent se relever immédiatement, mais le pont était si étroit, qu’ils ne trouvèrent pas où poser un pied ferme. Tous deux, par une égale fatalité, tombèrent dans l’eau. Leur chute produisit un bruit effroyable qui monta jusqu’au ciel, pareil à celui que fit en tombant dans notre fleuve celui qui sut si mal diriger le char du soleil.