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— Tu m’as l’air d’en savoir long sur le sujet, dit-il.

Elle pencha la tête de côté.

— J’ai lu quelques articles quand on a annoncé ce nouveau traitement. Par simple curiosité.

Il la regarda en plissant les yeux.

— Ah, pas plus que ça ?

— Non, bien sûr.

— Je n’ai jamais même imaginé de vivre plus de cent ans.

— Bien sûr que non. L’idée d’être un vieillard ratatiné, usé, infirme, et ce pendant des années et des années… qui pourrait rêver d’une chose pareille ? Mais là, c’est complètement différent.

Il la regarda attentivement, comme il ne l’avait pas fait depuis quelque temps. C’était bien un visage de vieille femme, tout comme son visage à lui était celui d’un vieil homme, tout ridé et plissé.

Il lui revint soudain en mémoire que leur premier rendez-vous, il y avait tant d’années de cela, s’était terminé dans un restaurant avec un grand feu de bois, après qu’il l’eut entraînée à la première de Star Trek IV : Retour sur Terre. Il se souvint comme son visage lui avait semblé beau et doux, comme ses cheveux châtains brillaient dans la lumière dansante des flammes, et comme il aurait voulu pouvoir la contempler ainsi pour l’éternité. Ils avaient aussi parlé d’âge, ce jour-là. Sarah lui avait demandé quel âge il avait, et il avait répondu qu’il avait vingt-six ans.

— Tiens, moi aussi ! s’était-elle exclamée, l’air très contente. C’est quand, ton anniversaire ?

— Le 15 octobre.

— Le mien, c’est en mai.

— Ah, avait-il dit d’un air entendu, une femme plus âgée…

Il y avait si longtemps de ça… Et l’idée de revenir à cet âge… C’était de la folie.

— Mais… mais qu’est-ce que tu ferais… qu’est-ce que nous ferions de tout ce temps ? demanda-t-il.

— Voyager, répondit aussitôt Sarah. Jardiner, lire des bons bouquins. Suivre des cours.

— Mmouais… fit Don.

Sarah hocha la tête, acceptant apparemment le fait qu’elle ne l’avait pas particulièrement convaincu. Soudain, elle se mit à fouiller dans son sac et en sortit son datacom. Elle tapota le clavier et lui tendit l’appareil. L’écran affichait une photo de la petite Cassie en robe bleue, avec ses jolies nattes blondes.

— Voir nos petits-enfants grandir, ajouta-t-elle. Jouer avec nos arrière-petits-enfants, quand ils arriveront.

Il relâcha lentement son souffle. Pouvoir assister à la remise des diplômes de ses petits-enfants, être avec eux le jour de leur mariage. C’était tentant… Et faire tout ça en étant en parfaite santé. Mais…

— Mais tu veux vraiment assister aussi à l’enterrement de tes propres enfants ? dit-il. Parce que c’est une des conséquences, tu sais. Bon, je suis sûr que le coût du traitement finira par baisser, mais pas suffisamment à temps pour que Carl ou Emily puissent en profiter.

Il pensa un instant ajouter : « Nous pourrions même nous retrouver à devoir enterrer nos petits-enfants », mais il se rendit compte qu’il était incapable de prononcer ces mots.

— Qui peut dire à quelle vitesse le prix baissera ? dit Sarah. Mais l’idée de pouvoir passer des dizaines d’années avec mes enfants et mes petits-enfants, ça, ça me plaît beaucoup… quoi qu’il arrive à la fin.

— Peut-être, dit-il. Peut-être, mais c’est juste que je…

Elle tendit le bras par-dessus la table en bois poli et lui toucha la main.

— Tu as peur ?

Ce n’était pas une accusation, mais une marque d’affection.

— Oui, je crois bien. Un petit peu.

— Moi aussi, dit-elle. Mais nous allons vivre cette expérience ensemble.

Il haussa les sourcils.

— Tu es sûre que tu veux encore passer quelques dizaines d’années avec moi ?

— Je ne peux pas imaginer ma vie autrement.

Être de nouveau jeune. C’était une idée à la fois grisante et effrayante, effectivement. Mais il devait reconnaître que c’était intéressant… Par contre, il n’avait jamais aimé recevoir la charité. Si ce processus avait été quelque chose qu’ils pouvaient se payer, il aurait éprouvé plus d’enthousiasme. Mais même en vendant leur maison et tout leur portefeuille d’actions, et en liquidant tous leurs biens, ils ne pourraient même pas verser ne fût-ce qu’un acompte pour un seul traitement. Même Cody McGavin avait dû y réfléchir à deux fois avant d’accepter de dépenser autant d’argent.

Quant à cette histoire de considérer Sarah comme la seule personne qui puisse communiquer avec les extraterrestres, il trouvait ça idiot. Mais ce rajeunissement n’était pas quelque chose qu’on pouvait vous reprendre : une fois que c’était fait, c’était fait. S’il s’avérait que McGavin s’était trompé sur le rôle crucial de Sarah, ils auraient quand même engrangé tout ce capital d’années supplémentaires.

— Il nous faudrait de l’argent pour vivre, dit-il. On n’a pas prévu de passer cinquante ans à la retraite.

— C’est vrai. Je demanderais à McGavin de me retrouver un poste à l’université de Toronto, ou de me signer un contrat pour mes services.

— Et qu’est-ce que nos enfants vont en penser ? Nous serons physiquement plus jeunes qu’eux.

— C’est vrai, ça.

— Et nous allons les spolier de leur héritage, ajouta-t-il.

— Qui de toute façon n’allait pas les rendre bien riches, répliqua Sarah en souriant. Je suis sûre qu’ils seront ravis pour nous.

Le serveur revint, l’air un peu inquiet à l’idée de se faire de nouveau envoyer promener…

— Vous êtes-vous décidés ?

Don regarda Sarah. Il l’avait toujours trouvée belle. Elle était belle en ce moment, elle avait été belle dans la cinquantaine, et belle à vingt-six ans. Et tandis que ses traits bougeaient dans la lumière dansante, il vit son visage tel qu’il avait été à tous ces âges – à tous ces stades de l’existence qu’ils avaient vécue ensemble.

— Oui, dit Sarah en souriant à son mari. Oui, je crois que nous nous sommes décidés.

Don acquiesça et regarda le menu. Il allait choisir rapidement quelque chose. Mais il était un peu déconcerté de voir la description des plats sans la valeur en dollars. Tout a un prix, se dit-il, même si on ne peut pas le voir.

7.

Don et Sarah avaient eu une autre discussion à propos du SETI, un an avant la détection du premier signal venu de Sigma Draconis. Ils approchaient de la cinquantaine, à l’époque, et Sarah, déprimée par le fait qu’aucun message n’ait jamais été capté, s’inquiétait d’avoir consacré sa vie à un projet parfaitement stérile.

— Peut-être qu’ils sont là quelque part, avait dit Don un soir qu’ils étaient allés se promener. (Depuis quelques années, son problème de poids était devenu une véritable religion pour lui, et ils marchaient une demi-heure chaque soir quand il faisait beau. L’hiver, il se servait d’un tapis de course installé dans le sous-sol.) Mais ils préfèrent peut-être ne rien dire. Tu vois, pour ne pas contaminer notre culture. La Première Directive, ce genre de truc.

Sarah avait secoué la tête.

— Non, non. Les extraterrestres ont une obligation de nous faire savoir qu’ils sont là.

— Pourquoi ?

— Parce qu’ils constitueraient une preuve existentielle qu’on peut survivre à l’adolescence technologique. Tu sais, cette période où on possède les outils suffisants pour détruire son espèce tout entière, mais sans avoir encore de mécanisme en place pour s’empêcher à tout jamais de s’en servir. Nous avons inventé la radio en 1895, et mis au point la bombe atomique seulement cinquante ans plus tard, en 1945. Est-ce qu’une civilisation est capable de survivre pendant des siècles, ou même des milliers d’années, une fois qu’elle sait comment fabriquer des armes nucléaires ? Et si ce n’est pas elles qui vous tuent, il y a toujours des armes à base d’IA ou de nanotech, ou des virus génétiquement élaborés, qui pourraient faire le travail – à moins de trouver un moyen de survivre à tout ça. Eh bien, une civilisation dont nous recevrions les signaux serait forcément plus ancienne que la nôtre. La réception de ces messages nous dirait qu’il est possible de survivre.