Выбрать главу

— Ça paraît logique, dit Don.

Ils étaient arrivés au croisement de Betty Ann Drive et de Senlac Road, et ils prirent à droite. Senlac avait des trottoirs, mais pas Betty Ann.

— Absolument, dit Sarah. C’est l’illustration parfaite de la doctrine de Marshall McLuhan : le média est le message. Rien que le fait de le détecter, même si on ne le comprend pas, suffit à nous dire la chose la plus importante qui soit.

Il réfléchit un instant.

— Tu sais, on devrait inviter Peter de Jager, un de ces jours. Ça fait une éternité que je n’ai pas fait une partie de go. Peter aime bien y jouer.

Elle eut l’air agacée.

— Qu’est-ce que Peter vient faire dans cette histoire ?

— Eh bien, qu’est-ce qui l’a rendu le plus célèbre ?

— Le bogue de l’an 2000, dit Sarah.

— Exactement !

Peter de Jager habitait à Brampton, juste à l’ouest de Toronto. Il fréquentait certains des mêmes cercles que les Halifax. C’est en 1993 qu’il avait écrit l’article « La Catastrophe de l’an 2000 » pour le magazine ComputerWorld, dans lequel il mettait l’humanité en garde contre la possibilité d’énormes problèmes informatiques quand arriverait l’aube de cette année fatidique. Il avait passé les sept années suivantes à sonner l’alarme aussi fort qu’il pouvait. Des millions d’heures et des milliards de dollars avaient été consacrés à corriger ce problème, et quand le soleil s’était levé le samedi 1er janvier 2000, aucun désastre ne s’était produit : les avions avaient continué de voler, l’argent stocké électroniquement dans les banques ne s’était pas évaporé, et cætera.

Mais est-ce qu’on avait remercié Peter de Jager ? Non. Bien au contraire, on l’avait couvert d’opprobre. C’était un charlatan, avaient déclaré certains, dont le National Post canadien dans un résumé des événements marquants de l’an 2000. Et la preuve… c’était qu’il n’y avait eu aucun problème !

Don et Sarah longeaient à présent le collège de Willowdale, où Carl terminait sa quatrième.

— Mais quel est le rapport avec le fait que les extraterrestres ne voudraient pas nous signaler leur présence ?

— Peut-être qu’ils comprennent que ce serait dangereux pour nous si nous savions que quelques espèces parviennent à survivre à leur adolescence technologique. Nous avons surmonté le bogue de l’an 2000 parce que beaucoup de gens très compétents ont travaillé très dur pour ça, mais une fois le problème derrière nous, nous avons considéré que nous nous en serions sortis de toute façon. Survivre à l’an 2000 a été considéré comme – c’était quoi, déjà, ton expression ? –, comme une preuve existentielle que cette survie était inévitable. Eh bien, ce serait pareil si on détectait la présence de ces extraterrestres survivants. Au lieu de nous dire que ce serait très difficile de surmonter cette phase, nous penserions que c’est du gâteau. Ils ont survécu, donc nous survivrons aussi, forcément. (Don s’arrêta un instant.) Imagine un extraterrestre sur une planète autour de – bon, donne-moi une étoile du même type que le soleil qui ne soit pas trop loin.

— Epsilon Indi, répondit Sarah.

— Bon, d’accord. Imagine ces extraterrestres d’Epsilon Indi captant des émissions de télé venant d’une étoile voisine, hem…

— Tau Ceti, proposa-t-elle.

— Super. Les gens d’Epsilon Indi reçoivent la télé de Tau Ceti. Ça n’est pas que Tau Ceti envoie délibérément ses émissions à Epsilon Indi, non, c’est juste qu’elles vont se perdre dans l’espace. Et Epsilon Indi s’exclame : « Hé, ces gars viennent juste d’émerger technologiquement, et nous, ça remonte à très longtemps. Ils doivent passer un sale quart d’heure. » Peut-être même que les types d’Epsilon Indi arrivent à le voir grâce aux signaux télé. Et alors, ils se disent : « On va les contacter pour leur dire qu’ils ne s’inquiètent pas, que tout ira bien. » Et qu’est-ce qui se passe ? Quelques dizaines d’années plus tard, Tau Ceti cesse d’émettre. Pourquoi ?

— Ils sont tous passés au câble ?

— Ah, très drôle, dit Don. Ma femme est vraiment très drôle. Non, ils ne sont pas tous passés au câble. Ils ont simplement arrêté de s’inquiéter de la bombe nucléaire et comment survivre et tout ça, et maintenant ils ont disparu à cause de leur insouciance. Je crois que si tu commets un jour cette erreur – celle de dire à une espèce « hé, les gars, regardez, vous survivrez, puisque nous, on y est arrivés » –, tu ne la fais pas une deuxième fois.

Ils étaient arrivés à Churchill Avenue et ils avaient tourné à l’est, passant devant l’école communale où Emily était maintenant en CM1.

— Mais ils pourraient nous dire comment ils ont fait pour survivre, nous donner la réponse, dit Sarah.

— La réponse est évidente, répliqua Don. Tu sais quel est le livre sur les régimes qui se vend le moins bien au monde ? Comment perdre du poids lentement en mangeant moins et en faisant plus d’exercice.

— Oui, Mr Atkins.

Il prit un ton faussement offusqué.

— Je te demande bien pardon ! Je suis en train de marcher, là ! Et puis je mange moins, et plus intelligemment, bien plus que quand je n’avais pas encore réduit les glucides. Mais tu veux que je te dise la différence entre moi et tous ceux qui ont perdu rapidement du poids en suivant le régime Atkins, et qui l’ont repris aussitôt qu’ils ont arrêté ? Ça fait maintenant quatre ans que je m’y suis mis, et je continue, et je n’arrêterai jamais. C’est ça, l’autre conseil diététique que personne ne veut entendre. Il n’y a pas de régime amaigrissant temporaire. Il faut en faire un nouveau mode de vie. C’est ce que j’ai fait, et c’est ce qui me permettra de vivre plus longtemps. Les solutions simples et rapides, ça n’existe pas, dans aucun domaine.

Il s’arrêta de parler le temps de traverser Claywood, puis il reprit :

— Non, la réponse est évidente. La seule façon de survivre, c’est d’arrêter de nous battre les uns contre les autres, d’apprendre la tolérance, et de mettre fin aux disparités énormes entre les riches et les pauvres, pour que certains ne se mettent pas à haïr tellement les autres qu’ils sont prêts à tout, même à se suicider, pour leur faire du mal.

— Mais justement, c’est d’une solution rapide que nous avons besoin, dit Sarah. Maintenant que les terroristes ont accès à des armes nucléaires et bactériologiques, nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre que tout le monde ait l’esprit aussi éclairé. Nous devons vraiment résoudre très rapidement le problème du terrorisme high-tech – dès qu’il se présente –, ou personne ne survivra. Ces civilisations extraterrestres qui ont survécu ont forcément trouvé une solution.