— Oui, certainement, dit Don, mais même s’ils nous donnaient la réponse, elle ne nous plairait pas.
— Pourquoi ?
— Parce que la solution est un grand classique de la science-fiction, la conscience de ruche. Dans Star Trek, si les Borgs absorbent tout le monde dans le Collectif, c’est sans doute parce que c’est la seule méthode sûre. Tu n’as pas à t’inquiéter d’éventuels terroristes ou de savants fous quand tout le monde partage un seul esprit. Bien sûr, en faisant ça, tu risques de perdre la notion qu’il pourrait exister des individus ailleurs. Il ne te viendrait peut-être même pas à l’idée d’essayer de contacter quelqu’un d’autre, puisque le concept de « quelqu’un d’autre » échappe désormais à ton mode de pensée. C’est ce qui pourrait expliquer l’échec du SETI. Et puis, si jamais tu rencontrais une autre forme de vie intelligente, tu ferais exactement comme les Borgs : tu l’absorberais, parce que c’est la seule façon de t’assurer qu’elle ne va pas t’attaquer.
— Eh ben, dis donc… C’est presque encore plus déprimant que de penser que les extraterrestres n’existent pas.
— Il y a bien une autre solution, poursuivit Don. Le totalitarisme absolu. Tout le monde conserve son libre arbitre, mais ne peut absolument pas s’en servir. Parce qu’il suffirait d’un seul dingue et d’une pile d’antimatière, et… boum ! Toute la fichue planète est volatilisée.
Une voiture qui s’approchait d’eux donna deux petits coups de klaxon. Il leva les yeux et vit passer Julie Fein qui leur fit un signe de la main. Ils la saluèrent à leur tour.
— Ça n’est pas beaucoup mieux que le scénario Borg, dit Sarah. De toute façon, c’est vraiment déprimant de n’avoir encore rien détecté. Tu comprends, quand on a commencé à braquer nos radiotélescopes vers le ciel, on croyait qu’on allait récupérer des tonnes de signaux extraterrestres, et au lieu de ça, depuis tout ce temps – presque cinquante ans maintenant –, pas le moindre petit couinement.
— Ma foi, cinquante ans, ce n’est pas si long que ça, dit-il pour essayer maintenant de la consoler.
Sarah avait le regard perdu dans le vague.
— Non, dit-elle, bien sûr que non. C’est juste la plus grande partie d’une existence humaine.
8.
Carl, l’aîné des enfants de Don et Sarah, avait une prédilection marquée pour les effets dramatiques, et c’est pourquoi Don fut soulagé qu’il ne recrache pas tout son café sur la table. Il réussit quand même à s’exclamer, après avoir avalé sa gorgée : « Vous allez faire quoi ? » avec une énergie digne d’une sitcom. Sa femme Angela était assise à côté de lui. Percy et Cassie – dont les vrais prénoms étaient respectivement Perseus et Cassiopée, naturellement proposés par leur grand-mère –, avaient été expédiés au sous-sol pour y regarder un film.
— Nous allons nous faire rajeunir, répéta Sarah comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.
— Mais ça coûte… je ne sais pas combien, dit Carl en regardant Angela comme si elle était censée lui indiquer tout de suite le montant exact. (Comme elle ne disait rien, il reprit :) Ça coûte des milliards et des milliards.
Don vit sa femme sourire. Les gens croyaient parfois que le prénom de leur fils venait de Carl Sagan, mais pas du tout. C’était le prénom du grand-père maternel de Don.
— Oui, ça coûte très cher, dit Sarah. Mais nous n’avons rien à payer. C’est Cody McGavin qui s’en charge.
— Vous connaissez Cody McGavin ? s’exclama Angela comme si Sarah venait de prétendre connaître le pape.
— Seulement depuis la semaine dernière. Mais il avait entendu parler de moi. Il finance une grande partie de la recherche du SETI. (Elle haussa légèrement les épaules.) C’est une des causes qu’il soutient.
— Et il est prêt à payer pour te faire rajeunir ? demanda Carl d’un ton sceptique.
— Oui, fit Sarah, et ton père aussi.
Elle fit le récit de leur rencontre avec McGavin. Angela se contentait de la regarder bouche bée. Elle avait pratiquement toujours connu sa belle-mère comme une petite vieille dame, et non pas – ainsi que les sites d’infos continuaient de la surnommer – comme « La Grande Dame du SETI ».
— Mais, dit Carl, même si c’est entièrement gratuit, personne ne sait quels sont les effets à long terme de… comment ils appellent ça, déjà ?
— Un rollback, dit Don.
— O.K. Personne ne connaît les effets à long terme d’un rollback.
— C’est toujours ce qu’on dit quand quelque chose est nouveau, répliqua Sarah. Personne ne savait ce que donnerait à long terme un régime pauvre en glucides, mais regarde ton père : ça fait quarante ans maintenant qu’il suit ce régime, et son poids, son taux de cholestérol, sa tension et son taux de sucre sont parfaitement normaux.
Don se sentit gêné qu’elle évoque ce sujet. Il n’était pas sûr qu’Angela sache qu’il avait été obèse autrefois. Il avait commencé à prendre du poids quand il était étudiant à Ryerson. À quarante ans, il pesait déjà cent dix kilos – ce qui est beaucoup trop quand on mesure un mètre soixante-dix-huit. Mais grâce au régime Atkins, il avait réussi à perdre l’excédent et à se maintenir à quatre-vingts kilos pendant des dizaines d’années. Ce soir, pendant que les autres se régalaient de purée de pommes de terre à l’ail avec leur rôti, il avait pris une double ration de haricots verts.
— Et en plus, poursuivit Sarah, si je ne suis pas ce traitement, rien de ce que je pourrais entreprendre aujourd’hui n’aura d’effet à long terme… parce qu’à long terme, je ne serai plus là. Quand bien même ce processus devrait me donner le cancer ou une maladie cardiaque dans vingt ou trente ans, ce sera quand même vingt ou trente ans que je n’aurais pas eus autrement.
Don vit son fils froncer légèrement les sourcils. Il devait certainement repenser au cancer que sa mère avait eu autrefois, quand il avait neuf ans. Mais manifestement, il n’avait rien à opposer à l’argument de Sarah.
— Bon, d’accord, dit-il enfin. (Il regarda Angela, puis de nouveau sa mère.) D’accord. (Mais là, il sourit, de ce sourire dont Sarah disait toujours que c’était exactement celui de Don, même si celui-ci ne voyait pas vraiment la ressemblance.) Mais il faudra que vous gardiez plus souvent les enfants !
Ensuite, tout alla très vite. Personne ne l’exprimait à voix haute, mais il y avait manifestement un sentiment d’urgence. Sans traitement, Sarah – ou Don, d’ailleurs, mais personne ne semblait vraiment s’intéresser à lui – risquait de mourir d’un jour à l’autre, ou d’être victime d’une attaque ou de dégâts neurologiques auxquels le traitement de rajeunissement ne pourrait remédier.
Comme Don l’avait appris en parcourant le Web, c’était une société du nom de Rejuvenex qui détenait tous les brevets essentiels à la technologie du rollback. Elle pouvait donc fixer les tarifs au niveau qu’elle estimait nécessaire pour assurer le meilleur rendement à ses actionnaires. De façon assez surprenante, depuis presque deux ans que ce traitement était commercialisé, moins d’un tiers des rollbacks avaient concerné des gens de l’âge de Sarah et Don, ou même encore plus vieux. Et il y avait même une bonne douzaine de gens dans la quarantaine qui s’étaient fait rajeunir, sans doute paniqués à la vue de leurs premiers cheveux blancs et disposant de quelques milliards à dépenser.
Don avait vu que la toute première société de biotech destinée à tenter d’inverser le vieillissement avait été Geron, créée par Michael West en 1992. Elle avait été basée à Houston, ce qui était assez logique à l’époque : son financement initial avait été assuré par un groupe de milliardaires texans, désireux d’obtenir la seule chose que leurs fortunes acquises grâce au pétrole ne pouvaient pas encore acheter.