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Petra s’assit dans le salon de la maison de Betty Ann Drive et croisa ses longues jambes. Elle faisait face à l’une des fenêtres placées de part et d’autre de la cheminée. Dehors, la neige avait fondu ; le printemps arrivait. Elle regarda d’abord Sarah, puis Don, et se tourna de nouveau vers Sarah. Au bout d’un moment, elle se résolut à parler.

— Nous avons un gros problème…

— Que voulez-vous dire ? répliqua aussitôt Don.

Mais Sarah, elle, se contenta de hocher la tête et dit d’une voix empreinte de tristesse :

— Je ne régresse pas, c’est ça ?

Don sentit son cœur s’arrêter de battre.

Petra secoua la tête, et les petites perles insérées dans ses dreadlocks cliquetèrent doucement.

— Je suis vraiment désolée, dit-elle d’une voix très douce.

— Je le savais, dit Sarah. Je… j’en avais le pressentiment.

— Mais bon sang, pourquoi ? fit Don. Pourquoi ?

Petra haussa légèrement les épaules.

— C’est la grande question. Nous avons toute une équipe qui y travaille en ce moment, et…

— Est-ce qu’on peut arranger ça ? demanda-t-il. Ah, mon Dieu, faites que ça puisse s’arranger…

— Nous ne savons pas, répondit Petra. Nous n’avons jamais rien vu de pareil jusqu’ici. (Elle s’interrompit un instant, apparemment pour rassembler ses idées.) Sarah, nous avons réussi à rallonger vos télomères, mais pour une raison encore inconnue, les nouvelles séquences terminales sont tout simplement ignorées quand vos chromosomes se reproduisent. Au lieu de poursuivre sa transcription jusqu’au bout de votre ADN, l’enzyme de réplication s’arrête net, juste à l’endroit où vos chromosomes se terminaient avant. (Un silence.) Plusieurs des autres modifications biochimiques que nous avons introduites sont rejetées, et encore une fois, nous en ignorons la raison.

Don était maintenant debout.

— Mais qu’est-ce que vous racontez là ? s’écria-t-il. Vos équipes nous ont dit qu’elles savaient ce qu’elles faisaient !

Un peu prise de court, Petra sembla finalement se ressaisir.

— Écoutez, dit-elle, je suis médecin, je ne suis pas chargée des relations publiques. (Elle avait un léger accent… De Géorgie, peut-être ?) Nous en savons effectivement plus que n’importe qui sur le vieillissement et la mort cellulaire programmée. Mais pour l’instant, nous avons effectué à peine deux cents traitements de rajeunissement sur des humains. (Elle écarta légèrement les bras.) C’est un domaine encore largement inexploré.

Sarah gardait les yeux baissés et regardait ses mains – ses mains aux articulations gonflées, avec leurs taches de vieillesse et leur peau transparente – croisées sur ses genoux.

— Je vais rester vieille.

C’était un constat, pas une question.

Petra ferma les yeux.

— Je suis profondément navrée, Sarah. (Mais elle reprit sur un ton un peu plus gai, d’une gaieté que Don trouva forcée :) Cependant, une partie de ce que nous avons fait a été très bénéfique, et pour ce qui est du reste, on ne constate aucun effet négatif. Ne m’avez-vous pas dit vous-même la dernière fois qu’un certain nombre de vos petites douleurs quotidiennes ont disparu ?

Sarah regarda Don, puis elle plissa les yeux comme si elle cherchait à distinguer quelqu’un qui se trouvait très loin. Il s’approcha d’elle et posa la main sur sa maigre épaule.

— Vous devez bien avoir une petite idée de la cause du problème, dit-il sèchement à Petra.

— Comme je vous l’ai dit, nous continuons d’y travailler, mais…

— Mais quoi ? fit-il.

— Eh bien, c’est simplement que vous avez eu un cancer du sein, Mrs Halifax…

Sarah la regarda fixement.

— Oui, c’est vrai. Et alors ? C’était il y a très longtemps.

— Quand nous avons étudié votre passé médical, avant d’entamer nos procédures, vous nous avez dit comment il avait été traité. Un peu de chimiothérapie, des rayons, des médicaments, et une mastectomie.

— C’est cela.

— Eh bien, un de nos chercheurs pense que c’est peut-être lié à notre problème. Non pas le traitement dont vous nous avez parlé, celui qui a réussi… mais il aimerait savoir si vous avez essayé d’autres traitements avant ça, des traitements qui auraient échoué.

— Ah, mon Dieu, fit Sarah. Je ne me souviens pas de tous les détails. Ça remonte à plus de quarante ans, et j’ai essayé de chasser toute cette affaire de mon esprit.

— Bien sûr, dit Petra d’une voix douce. Ce serait mieux si nous pouvions parler aux médecins impliqués.

— Notre généraliste de l’époque est mort depuis longtemps, dit Don. Et la cancérologue qui s’occupait de Sarah avait déjà la soixantaine. Elle doit être morte, elle aussi.

Petra hocha la tête.

— Ils n’auraient pas par hasard transféré vos dossiers à votre nouveau médecin ?

— Bon sang, comment voulez-vous qu’on le sache ? dit Don. Quand on a changé de médecin, on a rempli des formulaires avec nos antécédents médicaux, et je suis sûr qu’on a autorisé les transferts de fichiers, mais…

Petra hocha de nouveau la tête.

— Mais c’était une époque où tout était encore sur papier, n’est-ce pas ? Qui sait ce que ces dossiers sont devenus depuis tout ce temps… Cependant, notre spécialiste qui étudie la question a découvert qu’à l’époque – c’était au début des années 2000, c’est ça ? –, on pratiquait au Canada certains traitements du cancer à base d’interférons que la FDA n’a jamais autorisés aux États-Unis, et c’est pour ça que nous n’étions pas au courant. Ils ont été abandonnés depuis de nombreuses années, quand de nouveaux médicaments plus efficaces sont apparus vers 2010. Mais nous essayons d’en trouver des échantillons pour faire des tests. Un traitement de ce genre pourrait expliquer l’échec de notre processus, en éliminant par exemple des éléments cruciaux de la flore virale endogène.

— Mais bon sang, vous auriez dû vérifier tout ça plus soigneusement ! dit Don. On pourrait vous faire un procès !

Petra ne se laissa pas démonter.

— Un procès pour quoi ? Pour un traitement médical qui ne vous a rien coûté et qui n’a eu aucun effet négatif ?

— Don, je t’en prie, dit Sarah. Je ne veux intenter de procès à personne. Je ne…

Elle n’alla pas plus loin, mais il savait ce qu’elle s’était apprêtée à dire : « Je ne vais pas gaspiller le peu de temps qui me reste à faire des procès… » Il lui caressa doucement l’épaule.

— Bon, d’accord, dit-il. D’accord. Mais est-ce qu’on ne peut pas réessayer ? Recommencer une série de traitements ? Tenter un autre rollback ?

— C’est ce que nous avons fait, dit Petra, sur des tissus que nous avions prélevés sur votre épouse. Mais rien ne marche.

Il sentit la bile remonter dans sa gorge. Il en voulait à la terre entière. À Cody McGavin, pour avoir introduit cette idée folle dans leur vie. Aux équipes de Rejuvenex. Et même à ces foutus extraterrestres de Sigma Draconis. Ils pouvaient tous aller au diable…

— C’est complètement absurde, dit-il en secouant énergiquement la tête.

Il se croisa les mains derrière le dos et se mit à faire les cent pas dans le petit salon étroit, cette pièce où sa femme et lui avaient vécu si longtemps, cette pièce où ses enfants avaient appris à marcher à quatre pattes, tellement chargée d’histoire, de souvenirs partagés au fil des décennies, de bons moments et de moins bons, contre vents et marées…

Il s’obligea à respirer lentement.

— Si c’est comme ça, je veux que vous arrêtiez mon processus, dit-il alors qu’il tournait le dos aux deux femmes.