— Ah oui, c’est vrai. Heu, et puis il y a encore ce machin, là.
— On appelle ça une esperluette, dit Sarah en imitant le ton qu’avait eu Don un peu plus tôt, ce qui le fit sourire. Bon, je vais te donner un indice, quelque chose que j’ai repéré à d’autres endroits. Quand l’esperluette est collée à droite d’un chiffre, ça veut dire que ce chiffre se répète indéfiniment. Mais s’ils sont séparés par un espace – une petite pause dans la transmission, comme dans cet exemple –, alors je crois que ça signifie que c’est la séquence qui se poursuit indéfiniment.
— Trois, cinq, sept, onze, treize…
— Allez, je te donne un autre indice. Le nombre suivant serait dix-sept.
— Hmm…
— Ce sont des nombres premiers, dit-elle. Gamma est leur symbole pour les nombres premiers.
— Ah, oui… Mais pourquoi commencer seulement à trois ?
À présent, Sarah avait un large sourire.
— Tu vas voir, dit-elle, c’est là que ça devient vraiment génial. (Elle promena son curseur à l’écran.) Il y a encore un peu de théorie des ensembles pour établir le symbole « appartient à », mais je ne vais pas t’ennuyer avec ça. Voilà où on en arrive :
[Question] 5 [appartient à] [nombres premiers]
[Réponse] [correct]
— Est-ce que cinq appartient à l’ensemble des nombres premiers – ou en langage plus courant, cinq est-il un nombre premier ? Et la réponse est oui. Effectivement, cinq faisait partie des chiffres donnés à titre d’exemples pour définir le symbole « nombres premiers ».
Elle fit apparaître une autre paire Question Réponse :
[Question] 4 [appartient à] [nombres premiers]
[Réponse] [incorrect]
— Est-ce que quatre est un nombre premier ? interpréta Sarah. Non.
Elle fit tourner la molette de la souris.
[Question] 3 [appartient à] [nombres premiers]
[Réponse] [correct]
— Est-ce que trois est premier ? Oui, absolument. Et deux, alors ? Ah, jetons un coup d’œil.
Quelques coups de souris, et ceci apparut :
[Question] 2 [appartient à] [nombres premiers]
[Réponse 1] [correct] [bon]
[Réponse 2] [incorrect] [bon]
[Réponse 3] [delta]
— Hein, quoi ?
— Exactement ma première réaction, dit Sarah en souriant.
— Alors, qu’est-ce que c’est, ce delta ?
— Voyons si tu y arrives tout seul. Regarde un instant les réponses un et deux.
Il fronça les sourcils.
— Hé, attends un peu… Elles ne peuvent pas être bonnes toutes les deux. Le chiffre deux est bel et bien un nombre premier, donc ça ne peut pas être une bonne réponse si on dit le contraire.
Elle eut un petit sourire énigmatique.
— Ils donnent exactement les mêmes réponses pour le chiffre un, dit-elle en défilant un peu plus bas.
[Question] 1 [appartient à] [nombres premiers]
[Réponse 1] [correct] [bon]
[Réponse 2] [incorrect] [bon]
[Réponse 3] [delta]
— Encore une fois, c’est n’importe quoi, dit-il. Soit un est premier, soit il ne l’est pas. Et en fait, il l’est, n’est-ce pas ? Un est un nombre entier qui n’est divisible que par lui-même ou par un, c’est bien ça la définition ?
— C’est ce qu’on t’a appris au lycée de Humberside ? Oui, c’est comme ça qu’on définissait autrefois les nombres premiers, et c’est ce que tu trouveras encore dans quelques vieux bouquins de maths. Mais aujourd’hui, c’est différent. On considère généralement comme premiers les nombres qui peuvent se décomposer strictement en un seul produit de deux facteurs distincts, eux-mêmes et un. Comme « un » se réduit à un seul facteur entier, ce n’est pas un nombre premier.
— Ça me paraît assez arbitraire, fit Don.
— Tu as raison, ça peut se discuter. Un est effectivement un drôle de nombre premier. Quant à deux… eh bien, c’est le seul nombre premier qui soit pair. On pourrait aussi bien définir arbitrairement l’ensemble des nombres premiers comme étant tous les nombres impairs qui n’ont que deux facteurs entiers. Et dans ce cas, deux n’est pas un nombre premier.
— Ah…
— Tu vois, maintenant ? C’est ça qu’ils veulent nous dire. Je pense que delta est le symbole qui signifie : « C’est une question d’opinion. » Aucune réponse n’est mauvaise ; c’est uniquement une affaire de préférence personnelle, tu comprends ?
— C’est fascinant.
— Oui, fit-elle en hochant la tête. Mais maintenant, la partie suivante devient vraiment intéressante. Ailleurs, ils ont défini les symboles pour « émetteur » et « récepteur » – c’est-à-dire « moi », la personne qui envoie le message, et « vous », pour la personne qui le reçoit.
— Bon, O.K.
— Et grâce à cela, dit Sarah, ils passent aux choses sérieuses. Regarde un peu ça.
L’affichage changea.
[Question] [bon] : [mauvais]
[Réponse] [émetteur] [opinion] [bon] >> [mauvais]
— Là, tu vois, la question porte sur la relation entre « bon » et « mauvais ». Et la réponse de l’émetteur – qui nous avait dit précédemment que « bon » était l’opposé de « mauvais » – ajoute quelque chose de beaucoup plus intéressant : « bon » est beaucoup plus grand que « mauvais »… C’est une déclaration de principe philosophique très importante.
— « Votre livre sacré ne promet-il pas que le Bien est plus fort que le Mal ? »
Sarah ouvrit des yeux ronds.
— Tu es en train de me citer la Bible ?
— Hem, non, pas vraiment. C’est dans la deuxième saisonde Star Trek, l’épisode intitulé Nous, le peuple. (Il haussa les épaules d’un air un peu gêné.) « Oui, il est ainsi écrit : le Bien triomphera toujours du Mal. »
Sarah secoua la tête avec un sourire affectueux.
— Ah, Donald Halifax, tu me surprendras toujours…
11.
— McGavin Robotics, fit une voix féminine distinctement professionnelle. Bureau du président.
Pour une fois, Don aurait bien aimé avoir un vidéophone… Si ça se trouvait, il était en train de parler à un robot.
— Je souhaiterais parler à Cody McGavin, s’il vous plaît.
— Mr McGavin est indisponible pour l’instant. Puis-je savoir qui le demande ?
— Oui, Donald Halifax.
— Et puis-je connaître la raison de votre appel ?
— Je suis le mari de Sarah Halifax.
— Ah, oui. L’astronome du SETI, c’est bien cela ?
— Oui, c’est cela.
— Que puis-je pour vous, Mr Halifax ?
— J’ai besoin de parler à Mr McGavin.
— Comme vous l’imaginez sans doute, l’agenda de Mr McGavin est très chargé. Peut-être pourrais-je vous aider ?
Don soupira. Il commençait à comprendre.
— Je suis à quelle profondeur, là ? demanda-t-il.
— Je vous demande pardon ?
— Combien y a-t-il de niveaux entre McGavin et vous ? Si je vous confie un message, et si vous décidez qu’il mérite d’être transmis, il ne va pas directement à McGavin, n’est-ce pas ?
— Normalement, non. Je suis la réceptionniste du bureau du président.
— Et vous vous appelez ?
— Miss Hashimoto.