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Don essaya encore quatre fois d’appeler le bureau de McGavin, sans succès, mais son datacom finit par sonner. La sonnerie qu’il avait programmée était le code musical de cinq notes utilisé dans un film oublié depuis longtemps, Rencontres du troisième type. Ce genre d’histoire où des extraterrestres visitent la Terre était franchement désuet aujourd’hui. Il regarda l’identifiant de l’appelant : il y avait marqué « McGavin, Cody »… Pas « McGavin Robotics », mais bel et bien son nom.

— Allô ? fit Don précipitamment aussitôt après avoir ouvert son datacom.

— Don ? dit McGavin. (Il se trouvait dans un endroit bruyant, et il criait dans l’appareil.) Désolé d’avoir autant tardé à vous rappeler.

— Ce n’est pas grave, Mr McGavin. J’avais besoin de vous parler de Sarah.

— Oui, fit McGavin toujours en criant. Je suis désolé, Don. On m’a informé de tout ça. C’est vraiment terrible. Comment Sarah le prend-elle ?

— Physiquement, ça va. Mais psychologiquement, c’est très dur.

— Oui, je comprends, dit McGavin aussi doucement qu’il est possible quand on est forcé de crier.

— J’espérais que vous pourriez parler aux gens de Rejuvenex.

— C’est ce que j’ai fait, plusieurs fois et longuement. Ils me disent qu’il n’y a vraiment rien à faire.

— Mais on doit forcément pouvoir faire quelque chose. J’imagine bien qu’ils ont essayé toutes les méthodes standard, mais il doit bien y avoir un moyen de faire marcher le rollback sur Sarah si vous…

Il s’arrêta de parler, ce qui était probablement aussi bien. Il avait failli dire : « Si vous y remettez suffisamment d’argent. » Mais McGavin ne l’écoutait pas. Don l’entendait dire quelque chose à quelqu’un. Apparemment, il avait posé le doigt sur le micro de son datacom et parlait à un de ses larbins à côté de lui. Il revint enfin en ligne.

— Ils y travaillent, Don, et je leur ai dit de ne pas regarder à la dépense. Mais ils ne savent vraiment pas par quel bout le prendre.

— Ils avaient dans l’idée que ça pouvait venir d’un traitement anticancéreux expérimental.

— Oui, c’est ce qu’ils m’ont dit. Je les ai autorisés à dépenser tout ce qu’il fallait pour en obtenir un échantillon, ou pour carrément le synthétiser. Mais les chercheurs à qui j’ai parlé m’ont dit que les dégâts étaient irréversibles.

— Il faut qu’ils continuent d’essayer. Ils ne doivent pas baisser les bras.

— Ils ne les baisseront pas, Don. Croyez-moi, c’est un énorme problème pour eux. Ça risque d’affecter le cours en Bourse de leur société si jamais ça se sait, à moins qu’ils ne trouvent une parade.

— Si vous apprenez quoi que ce soit, dit Don, dites-le-moi tout de suite, je vous en supplie.

— Oui, bien sûr, fit McGavin, mais…

Mais ne vous faites pas trop d’illusions, c’était le message implicite. McGavin avait probablement lu un simple résumé du long rapport que Don avait fini par obtenir de Rejuvenex, mais la conclusion était la même : pas de solution envisageable dans un avenir proche.

— Bon, de toute façon, poursuivit McGavin, si Sarah a besoin d’aide pour son travail de décryptage, ou si vous avez tous les deux besoin de quoi que ce soit, dites-le-moi simplement.

— Elle a besoin d’un rollback.

— Je suis vraiment désolé, Don, dit McGavin. Écoutez, j’ai un avion à prendre, là, mais on reste en contact, d’accord ?

12.

En 2009, les membres du groupe d’études officiel mis en place par le SETI avaient créé un newsgroup pour partager les résultats de leurs travaux de déchiffrage des différentes parties de ce premier message radio extraterrestre. La rumeur circulait que les astronomes du Vatican travaillaient eux aussi à plein temps sur ce décryptage, de même, sans doute, qu’une équipe du Pentagone. Des centaines de milliers d’amateurs s’y étaient également attelés.

En plus des développements sur les symboles mathématiques, certaines parties du message se révélèrent être des diagrammes bitmap. C’est un chercheur de Calcutta qui fut le premier à s’en rendre compte. Un type de Tokyo entra peu de temps après dans la danse, en démontrant qu’un grand nombre de ces blocs graphiques étaient en fait des animations assez courtes. La dernière image de chaque film comportait un nouveau symbole, probablement le mot à utiliser désormais pour représenter le concept illustré par la séquence animée : « croissance », « attraction », etc.

Le message contenait aussi beaucoup d’informations sur l’ADN – et il n’y avait aucun doute que c’était bien d’ADN qu’il s’agissait, car on y trouvait sa formule chimique détaillée. C’était apparemment la même molécule héréditaire qu’on trouvait sur Sigma Draconis II – ce qui raviva aussitôt les vieux débats sur la panspermie, l’idée que la vie sur la Terre serait apparue quand des micro-organismes venus de l’espace s’y seraient retrouvés par hasard. Certains disaient que les Dracons pourraient bien être des cousins très éloignés.

Le message comportait également un exposé sur les chromosomes, même s’il fallut un biologiste – qui se trouvait à Pékin – pour reconnaître que c’était bien de cela qu’il s’agissait, car les chromosomes étaient représentés sous forme d’anneaux et non de longues chaînes. C’est ainsi que Sarah avait appris que les bactéries possédaient apparemment des chromosomes circulaires, ce qui les rendait pratiquement immortelles puisqu’elles étaient capables de se diviser indéfiniment. C’est l’innovation de briser ce cercle pour constituer des chromosomes en forme de lacets de chaussures qui avait conduit – sur la Terre, en tout cas – au développement des télomères, ces terminaisons de protection qui diminuent à chaque fois qu’une cellule se divise, ce qui aboutit à une mort programmée des cellules. Personne n’était capable de dire si les émetteurs du message avaient eux-mêmes des chromosomes circulaires, ou s’ils décrivaient simplement ce qu’ils pensaient être le modèle ancestral universel, ou le plus répandu. Sur Terre, en termes de biomasse et de nombre d’organismes vivants, les anneaux chromosomiques l’emportaient très largement sur le modèle en chaîne.

Une fois cette partie de l’énigme résolue, des tas de gens publièrent simultanément la signification de l’ensemble de symboles suivants. Ils décrivaient les différents stades de la vie : les gamètes séparés, la conception, la croissance intra-utérine, la naissance, la croissance postnatale, la maturité sexuelle, la fin des capacités de reproduction, la vieillesse et la mort.

Tout cela était passionnant, bien sûr, mais semblait n’être qu’une sorte de prologue, des cours de langue pour établir une liste de vocabulaire. Dans ces premières découvertes, à part cet exemple fascinant disant que « bon » était beaucoup plus grand que « mauvais », rien ne semblait vouloir dire quelque chose de significatif.

Mais il restait une grande partie du message à interpréter – le CDM, le cœur du message, tout un méli-mélo de symboles et de concepts établis précédemment, chacun accompagné d’une série de nombres. Personne ne parvenait à y comprendre quoi que ce soit.

C’est un samedi soir qu’eut lieu la grande percée. Chez les Halifax, le samedi soir était réservé au Scrabble. Don et Sarah s’installaient à la table de la salle à manger, face à face, avec entre eux le plateau de jeu pivotant que Sarah avait offert pour Noël à son mari il y avait tant d’années de cela.

Sarah était loin d’aimer ce jeu autant que Don, mais elle acceptait d’y jouer pour lui faire plaisir. Lui, de son côté, aimait moins le bridge qu’elle – ou plutôt, pour être tout à fait franc, il aimait moins Julie et Howie Fein qui habitaient un peu plus loin dans leur rue –, mais il se faisait un devoir d’accompagner Sarah une fois par semaine pour y jouer.