Don n’avait pas encore fini de s’habituer à ces merveilleuses améliorations. Son audition était redevenue parfaite, tout comme sa vue. Mais il avait dû renouveler entièrement sa garde-robe. Grâce aux traitements de recalcification et à la thérapie génique, il avait regagné les cinq centimètres perdus avec l’âge. Quant à ses bras et ses jambes, qui s’étaient réduits à un peu de peau sur les os, ils s’étaient agréablement remusclés. Bon, d’un autre côté, sa collection de gilets et de chemises à col boutonné aurait vraiment paru bizarre sur un gaillard de vingt-cinq ans…
Il avait également dû renoncer à porter son alliance. Une dizaine d’années plus tôt, il l’avait fait rétrécir car ses doigts étaient devenus plus fins avec l’âge. Mais à présent, elle le serrait trop. Il avait décidé d’attendre que son rollback soit terminé pour la faire remettre à la bonne taille, et c’était ce qu’il ferait dès qu’il aurait trouvé un bon joaillier. Il n’avait pas l’intention de confier ce travail à n’importe qui.
Les lois de l’Ontario imposaient un examen de renouvellement du permis de conduire tous les deux ans pour les personnes âgées de plus de quatre-vingts ans. Don l’avait raté l’année précédente. Ça ne lui avait pas du tout manqué, et puis Sarah était encore capable de conduire s’ils avaient vraiment besoin d’aller quelque part. Mais maintenant, il devrait probablement le repasser. Il n’y avait aucun doute dans son esprit que cette fois-ci, il l’aurait.
Il lui faudrait sans doute bientôt se faire refaire un passeport et de nouvelles cartes de crédit, avec son nouveau visage. En principe, il aurait encore droit aux réductions accordées aux seniors dans les restaurants et les cinémas, mais il lui serait sans doute difficile de les exiger sans devoir affronter l’incrédulité du personnel. Vraiment dommage… Contrairement à tous ceux qui avaient bénéficié jusqu’ici d’un rollback, il ne pouvait pas se permettre de cracher sur ce genre de petites économies.
Malgré tous ses aspects formidables, il y avait quand même quelques inconvénients à cette jeunesse retrouvée. Sarah et Don dépensaient le double en nourriture. Et Don dormait beaucoup plus. Ces dix dernières années, Sarah et lui s’étaient contentés de six heures de sommeil par nuit, mais il constatait qu’il avait à présent besoin de huit. C’était un bien modeste prix à payer : perdre deux heures par jour en échange de soixante années supplémentaires. De toute façon, maintenant qu’il recommençait à vieillir, ses besoins en sommeil et en nourriture diminueraient sans doute de nouveau.
Il était onze heures du soir, et Don se préparait à se coucher. D’habitude, il passait peu de temps dans la salle de bains, mais il était sorti aujourd’hui, et le temps avait été chaud et lourd. Toronto en août avait été désagréable lorsqu’il était enfant, mais la chaleur et l’humidité étaient devenues carrément insupportables au fil du temps. Il savait qu’il n’arriverait pas à bien dormir s’il ne se douchait pas d’abord. Carl leur avait installé autrefois une de ces barres en diagonale pour qu’ils puissent s’agripper. Sarah en avait encore besoin, mais Don trouvait ça maintenant plutôt gênant.
Il se fit un shampoing et trouva la sensation très agréable. Il avait maintenant une tignasse de cheveux châtain clair de cinq centimètres de long, et il adorait passer la main dedans. Les poils sur sa poitrine n’étaient plus blancs, et ses autres pilosités avaient cessé d’être grisâtres.
La douche était sensuelle, et il y prenait un grand plaisir. En procédant à sa toilette intime, il sentit son sexe se durcir. Tandis que l’eau continuait de ruisseler sur son corps, il commença à se caresser distraitement. Il pensait finir le travail lui-même – ce qui semblait être la meilleure solution – quand Sarah entra dans la salle de bains. Il l’apercevait à travers le rideau translucide de la douche. Elle était penchée au-dessus du lavabo. Il se rinça, ce qui mit fin à son érection. Il ferma le robinet, tira le rideau et sortit de la baignoire. Il avait maintenant repris l’habitude de passer une jambe après l’autre par-dessus le rebord sans aucune difficulté, et sans être obligé – comme c’était devenu le cas ces dernières années – de s’asseoir pour y arriver.
Sarah lui tournait le dos. Elle était déjà prête à se coucher et portait sa tenue habituelle en été, un long tee-shirt rouge un peu trop grand pour elle. Il attrapa une serviette sur le séchoir et entreprit de s’essuyer énergiquement, puis il s’engagea dans le petit couloir menant à leur chambre. Il avait toujours préféré porter un pyjama, mais cette fois-ci il se contenta de s’allonger nu sur le drap vert, en contemplant le plafond. Mais au bout d’un moment, il commença à avoir froid – leur maison était équipée d’une climatisation centralisée, et il y avait une grille de ventilation juste au-dessus du lit – et il se glissa sous les couvertures.
Un instant plus tard, Sarah entra dans la chambre en éteignant aussitôt la lumière, mais il en venait assez de l’extérieur pour qu’il puisse la voir s’avancer lentement vers le lit. Il sentit le matelas s’enfoncer légèrement quand elle se coucha.
— Bonne nuit, mon chéri, dit-elle.
Il se tourna vers elle et lui toucha l’épaule. Sarah sembla surprise de ce contact – ces dix dernières années, ils avaient dû planifier soigneusement leurs rapports sexuels, car Don avait besoin de prendre une pilule pour se mettre en condition –, mais il sentit bientôt sa main lui caresser la hanche. Il se rapprocha encore et l’embrassa. Elle finit par réagir et ils s’embrassèrent ainsi une dizaine de secondes. Quand il s’écarta, elle était allongée sur le dos et il la regarda, légèrement penché au-dessus d’elle.
— Hé, fit-elle d’une petite voix douce.
— Hé toi-même, dit-il en souriant.
Il aurait voulu grimper aux murs, faire l’amour sauvagement… mais elle en était incapable, et il la toucha avec la plus grande douceur, et…
— Aïe ! fit-elle.
Il ne savait pas très bien ce qu’il lui avait fait, mais il dit : « Excuse-moi. » Il essaya d’être encore plus doux, comme une plume. Il l’entendit pousser un très léger gémissement, sans pouvoir dire si c’était de plaisir ou de douleur. Il ajusta sa position, elle bougea légèrement et il crut entendre ses os craquer.
Tout cela était si lent, et la main qu’elle posait sur lui était si faible, qu’il se sentit débander. Tout en la regardant dans les yeux, il se caressa lui-même pour rétablir son érection. Elle avait l’air tellement vulnérable… Il ne voulait pas qu’elle se sente rejetée.
— Préviens-moi si ça te fait mal, dit-il en grimpant sur elle.
Il plaça ses bras et ses jambes de façon à supporter pratiquement tout le poids de son corps. Il n’était pas gras du tout, mais il pesait nettement plus lourd qu’avant le rollback. Il manœuvra doucement et prudemment, cherchant un compromis entre ce que son corps était capable de faire et ce que celui de Sarah pouvait supporter. Mais juste après l’avoir pénétrée, avec ce qui lui semblait une douceur infinie, il put voir son visage se crisper de douleur. Il se retira aussitôt et roula sur le dos à côté d’elle.
— Je suis vraiment désolée, dit-elle doucement.
— Mais non, fit-il, ce n’est rien.
Il se tourna de côté, face à elle, et il la prit tendrement dans ses bras.