Tandis que le générique de fin défilait à l’écran, Sarah se tourna vers Don.
— Alors, qu’est-ce que tu en as pensé ? fit-elle.
— C’est un peu daté, répondit-il. (Mais il leva les mains comme s’il s’attendait à une objection.) Ce n’est pas une critique, remarque bien, mais…
Mais il avait raison, pensa-t-elle. Chaque chose s’inscrit dans son époque, et ne peut pas simplement se transférer telle quelle dans une autre.
— Je me demande ce qu’est devenue Jodie Foster, dit-elle. Tu crois qu’elle vit toujours ?
— Peut-être bien. Elle a à peu près ton…
Il n’alla pas plus loin, mais il avait manifestement été sur le point de dire : « Elle a à peu près ton âge. » Pas « notre âge ». Il voyait encore Sarah comme une femme de quatre-vingt-sept ans, mais en ce qui le concernait, il semblait avoir totalement occulté son âge chronologique… et ça la rendait folle.
— Elle m’a toujours bien plu, dit Sarah.
Quand Contact était sorti sur les écrans, la presse américaine avait dit que le personnage d’Ellie Arroway, incarné par Jodie Foster, était basé sur Jill Tarter, et les journaux canadiens avaient essayé de lancer l’idée que c’était en fait Sarah Halifax qui l’avait inspiré. Et même s’il était vrai que Sarah avait connu Carl Sagan à cette époque, la comparaison était vraiment un peu tirée par les cheveux. Ce refus de la presse de croire que des personnages puissent être simplement inventés la dépassait complètement. Elle se souvenait de toutes les hypothèses émises sur qui pouvaient être les modèles des paléontologues de Jurassic Park. Toute femme ayant suivi ne fût-ce qu’un seul cours de paléontologie avait été considérée comme la source d’inspiration du personnage de Laura Dern.
— Tu veux que je te dise dans quel film Jodie Foster était vraiment bien ? demanda Sarah.
Don la regarda sans rien dire.
— C’était, hem… oh, tu sais bien, c’était un de mes préférés.
— J’ai besoin d’un autre indice, dit-il un peu sèchement.
— Ah, mais tu sais bien ! On l’a acheté en VHS, et ensuite en DVD, et puis on l’a téléchargé en HD. Mais enfin, comment ça se fait que je n’arrive plus à me souvenir du titre ? Je l’ai sur le bout de la langue…
— Oui ? Oui ?
Sarah fit la grimace. Don devenait de plus en plus impatient avec elle. Quand il avait été lui-même un peu lent, il n’avait pas semblé aussi agacé par sa lenteur à elle, mais voilà, ils étaient maintenant désynchronisés, comme les jumeaux dans ce film qu’elle montrait à ses élèves pour illustrer la théorie de la relativité. Elle pensa un instant rétorquer que ce n’était pas sa faute si elle était vieille, mais d’un autre côté, ce n’était pas non plus sa faute à lui s’il était jeune… N’empêche, cette impatience qu’il manifestait la rendait nerveuse, et ça ne lui facilitait pas les choses pour retrouver ce titre qu’elle cherchait.
— Hem, fit-elle, il y avait aussi ce type…
— Maverick ? dit Don d’un ton hargneux. Le Silence des agneaux ?
— Non, non. Tu sais, celui où il y a le… (mais pourquoi n’arrivait-elle pas à trouver le mot ?)… le, le… l’enfant prodige.
— Le Petit Homme, répondit Don aussitôt.
— Oui, c’est ça, dit Sarah très doucement en détournant les yeux.
16.
Une fois Sarah couchée, Don alla tristement s’installer dans le fauteuil relax. Il savait qu’il n’avait pas été gentil avec elle, quand elle avait essayé de se souvenir de ce titre de film, et il s’en voulait terriblement. Pourquoi avait-il été patient quand ses jours étaient comptés, et impatient maintenant qu’il avait tout ce temps devant lui ? Il avait vraiment essayé de ne pas lui parler sèchement, mais c’était plus fort que lui. Elle était tellement vieille, et…
Le téléphone se mit à sonner. Il jeta un coup d’œil à l’écran d’appel, et haussa les sourcils : « Trenholm, Randell ». C’était un nom auquel il n’avait plus pensé depuis au moins trente ans, un type qu’il avait connu à la CBC dans les années 2020. Depuis que le rollback de Sarah avait échoué, Don avait évité de rencontrer des gens qu’il connaissait – et maintenant, il était doublement content de ne pas avoir de vidéophone.
Randy avait un an ou deux de plus que lui, et quand il décrocha le combiné, il lui vint à l’idée que c’était peut-être sa femme qui l’appelait. C’était si souvent le cas ces derniers temps, des appels de vieux amis qui venaient en fait des conjoints pour vous informer que l’ami en question était mort.
— Allô ? fit Don.
— Don Halifax, espèce de vieille canaille !
— Randy Trenholm ? Ah, ça alors ! Comment vas-tu ?
— Comment crois-tu qu’on aille quand on a quatre-vingt-neuf ans ? demanda Randy. Je suis encore vivant, voilà tout.
— Tu m’en vois ravi, dit Don. (Il aurait bien voulu lui demander des nouvelles de sa femme, mais il ne se souvenait plus de son prénom.) Alors, quoi de neuf ?
— On parle beaucoup de toi aux infos, ces temps-ci.
— Tu veux dire de Sarah, rectifia Don.
— Non, non. Pas de Sarah. De toi, ou en tout cas dans les newsgroups que je lis.
— Ah, hem, et desquels s’agit-il ?
— Amélioration des Humains. Immortalité. Je Continue.
Il se doutait bien que les rumeurs sur son compte s’étendaient au-delà de son pâté de maisons. Mais « Ah, bon » fut tout ce qu’il trouva à dire.
— Alors, comme ça, Don Halifax côtoie les grands de ce monde, dit Randy. Cody McGavin… Drôlement impressionnant.
— Je ne l’ai rencontré qu’une fois.
— Il a dû te signer un sacré chèque, poursuivit Randy.
Don se sentait de plus en plus mal à l’aise.
— Non, non, fit-il. Je n’ai même pas vu la facture pour le traitement.
— Je ne savais pas que tu t’intéressais à la prolongation de la vie.
— En fait, je ne m’y intéresse pas du tout.
— Mais tu l’as obtenue.
— Écoute, Randy, il commence à être un peu tard. Il y a quelque chose que je peux faire pour toi ?
— Eh bien, comme je le disais, tu connais Cody McGavin…
— Pas vraiment.
— Et alors, j’ai pensé que tu pourrais lui glisser un mot, tu sais, pour moi…
— Randy, je ne…
— Parce que tu vois, Don, j’ai plein de choses à apporter, et encore des tas de choses à faire, mais…
— Randy, honnêtement, je ne…
— Allez, Don. Ça n’est pas comme si tu étais vraiment spécial. Mais il a payé pour ton rollback.
— C’est pour Sarah qu’il voulait un rollback, mais…
— Oh, je sais bien, mais ça n’a pas marché pour elle, hein, c’est ça ? En tout cas, c’est ce qu’on dit. Et là, Don, tu vois, je suis vraiment désolé. J’ai toujours bien aimé Sarah.