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Un petit garçon, âgé de cinq ou six ans tout au plus, le regardait par la vitre arrière. Don se souvint qu’il aimait s’asseoir à l’avant du premier wagon, quand il était gamin, pour regarder défiler le tunnel devant lui. Mais la dernière voiture, c’était presque aussi bien. Il y eut un grand grincement quand la rame entama son virage pour repartir au nord, et puis elle disparut. Don regarda les rails, un mètre cinquante en contrebas, et le bout de ses chaussures qui dépassaient du quai. Il aperçut une petite souris grise qui se faufilait au milieu de la voie, puis il vit le troisième rail avec les panneaux maculés de crasse mettant en garde contre les risques d’électrocution.

Bientôt, une autre rame s’approcha sur la voie incurvée. Ses phares firent danser des ombres dans le tunnel avant qu’on puisse la voir. Don perçut la vibration du train à quelques centimètres de son visage quand il passa devant lui, et sentit ses cheveux voler encore une fois.

Le train s’arrêta. Don regarda par la vitre juste devant lui. La plupart des voyageurs descendaient à Union, mais il en restait quelques-uns à bord pour franchir le coude.

Franchir le coude

C’était la méthode traditionnelle pour en finir… Ici, à Toronto, c’était comme ça que les désespérés avaient toujours résolu leurs problèmes, déjà bien avant sa naissance. Les rames s’engouffraient dans la station à grande vitesse. En attendant juste au bout du quai, on pouvait sauter devant un train qui arrivait, et…

Et voilà, terminé.

Bien sûr, ça ne serait pas très sympa pour le conducteur. Don se souvenait d’un article dans le Star, autrefois, racontant le traumatisme que c’était pour les machinistes quand les gens se suicidaient comme ça. Les conducteurs avaient souvent besoin d’être mis en congé maladie, et certains avaient tellement peur que ça se reproduise qu’ils ne pouvaient jamais plus reprendre leur travail. Dans le centre-ville, les stations étaient séparées de quarante-cinq secondes. Les machinistes n’avaient même pas le temps de se détendre entre deux.

Mais tout ça, c’était du temps où les trains avaient des conducteurs humains. Aujourd’hui, ils étaient pilotés par de belles mécaniques, grâce à McGavin Robotics.

Il y aurait une certaine ironie là-dedans… C’était tentant, et…

Et il se mit à trembler de la tête aux pieds. Soudain, il banda tous ses muscles pour s’élancer aussi vite qu’il pouvait, et…

Et il eut juste le temps de se glisser entre les portes avant qu’elles ne se referment en grondant. Pendant tout le trajet du retour, Don garda le poing serré sur la barre métallique, comme un naufragé qui s’agrippe désespérément à un bout de bois flottant.

19.

En 2009, Sarah avait passé au moins autant de temps à discuter du questionnaire des Dracons qu’à enseigner l’astronomie, et le sujet débordait souvent sur ses conversations avec Don. Un soir, alors que Carl était au sous-sol à jouer aux Sims 4 et que la petite Emily était à une réunion d’éclaireuses, Sarah dit :

— Voici un dilemme moral soulevé aujourd’hui sur le newsgroup du SETI. Certains d’entre nous pensent avoir deviné ce que les extraterrestres cherchent à savoir avec leur questionnaire, ce qui veut dire que nous pourrions leur fournir les réponses qu’ils attendent, dans l’espoir qu’ils maintiennent leur contact avec nous. Et voici donc la question : devons-nous mentir pour obtenir ce que nous, nous voulons ? Autrement dit, à quel point est-il immoral de tricher dans un questionnaire portant sur la morale ?

— Les Dracons sont probablement au moins aussi malins que nous, tu ne crois pas ? dit Don.

— C’est exactement ce que j’ai dit ! répondit Sarah, qui semblait contente de voir ses vues confirmées. Les instructions qu’ils donnent indiquent clairement que les mille réponses que nous enverrons devront être formulées indépendamment et en privé. Ils disent qu’il pourrait y avoir des questions complémentaires ultérieurement, et que toute concertation entre les participants rendrait l’exercice complètement caduc. Et je les soupçonne d’avoir un moyen de déterminer si les réponses proviennent d’une seule personne au lieu du millier d’individus qu’ils ont demandé – ou même d’un groupe de gens qui auraient collaboré. Tu sais, avec une analyse statistique des réponses.

Ils étaient en train de procéder à un grand ménage. Comme ils travaillaient tous les deux pendant la journée, les tâches domestiques passaient au second plan. Don époussetait le dessus de cheminée.

— Tu sais ce que j’aimerais ? dit-il d’un air distrait en regardant la litho d’Emily Carr accrochée au mur au-dessus. Un de ces grands écrans plats de soixante pouces. Tu ne crois pas que ça ferait beaucoup d’effet, juste là ? Je sais qu’ils coûtent encore une fortune, mais je suis sûr que les prix vont baisser.

Sarah s’occupait de rassembler les journaux éparpillés.

— J’espère pour toi que tu seras encore là pour le voir.

— Bon, poursuivit-il, qu’est-ce que tu disais à propos du questionnaire ?

— Ah oui. Même si on voulait tricher en préparant toutes les réponses en comité, il y a certaines questions pour lesquelles, franchement, on ne sait pas quelle est la « bonne » réponse.

Il se baissa pour ramasser les mugs sales sur la table basse.

— Tu as un exemple ?

— Mettons la question trente et un. Tu es avec quelqu’un, et vous trouvez un objet qui n’a apparemment aucune valeur. Aucun de vous deux n’en a envie. Lequel de vous devrait le garder ?

Don s’arrêta pour réfléchir, deux mugs jaunes dans une main et un seul dans l’autre. À seize ans, Carl commençait à s’initier au café.

— Hmm… je ne sais pas. En fait, ça n’a pas d’importance, si ?

Sarah avait fini de rassembler les journaux, et elle alla les jeter dans la poubelle bleue de la cuisine.

— Qui sait ? lança-t-elle. Il y a forcément un aspect moral qui intéresse les Dracons, mais je ne connais personne qui ait réussi à voir ce que c’était.

Il la rejoignit dans la cuisine, rinça les mugs sous le robinet et les mit dans le lave-vaisselle.

— Peut-être qu’aucun des deux ne doit prendre l’objet. On se contente de le laisser là où il est, tu vois ?

— Oui, fit-elle, ce serait bien, mais ce n’est pas une des réponses prévues. Tu te souviens que ce sont essentiellement des questions à choix multiple.

Il était en train de ranger quelques assiettes dans le lave-vaisselle.

— Ah, honnêtement, je ne sais pas. Heu, l’autre type devrait le prendre parce que… parce que comme ça, je me montre généreux, tu comprends ?

— Mais il n’en veut pas, dit-elle.

— Mais ça pourrait prendre de la valeur un jour.

— Ou ça pourrait se révéler empoisonné, ou appartenir à quelqu’un qui sera furieux qu’on le lui ait pris, et qui va se venger sur celui qui l’a volé.

Il secoua la tête et mit une pastille détergente dans le compartiment.

— On n’a tout simplement pas assez d’informations.

— Les Dracons semblent considérer qu’il y a tout ce qu’il faut.

Il lança le programme et fit signe à Sarah de le suivre dehors. La machine était très bruyante.

— O.K., fit-il. Donc, même si on voulait truquer les réponses dans un sens qui nous soit favorable, c’est impossible parce qu’on ne sait pas comment faire dans tous les cas.

— C’est ça, dit Sarah. Et de toute façon, même quand on comprend bien la question, la réponse favorable pour nous n’est pas du tout évidente. Tu vois, certains de nos principes moraux sont rationnels, et d’autres sont basés sur les émotions – et il est difficile de dire ce que les extraterrestres préfèrent.