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À présent, tout le monde regardait Sarah, debout ou assis en demi-cercle autour d’elle. Même les enfants se rendaient compte qu’il se passait quelque chose d’important, sans avoir bien sûr aucune idée de ce que ça pouvait être.

— Non, était-elle en train de dire. Non, je n’ai aucun commentaire à faire. Non, impossible. C’est mon anniversaire de mariage, aujourd’hui. Je ne vais pas le laisser gâcher par des étrangers dans ma maison. Comment ? Non, non. Écoutez, il faut vraiment que je raccroche. Bon, d’accord. D’accord. Oui, oui. Au revoir.

Elle appuya sur le bouton pour mettre fin à la communication, puis elle leva les yeux vers Don en haussant légèrement ses frêles épaules.

— Je suis désolée pour tout ça, dit-elle. C’est…

Le téléphone se remit à sonner, un bip électronique que Don détestait déjà en temps normal. Carl prit le contrôle des opérations. Saisissant délicatement le combiné que sa mère tenait toujours à la main, il coupa la sonnerie.

— Ils peuvent laisser un message, si ça leur chante.

Sarah prit un air soucieux.

— Et si quelqu’un a besoin d’aide ?

Carl écarta les bras.

— Voyons, toute ta famille est ici. Qui d’autre pourrait avoir besoin d’aide ? Allez, Maman, détends-toi. Profitons de la fête.

Don jeta un coup d’œil autour de lui. Carl avait seize ans quand sa mère avait connu une célébrité éphémère, mais Emily avait tout juste dix ans, et n’avait pas vraiment compris ce qui se passait. En ce moment, elle regardait fixement sa mère d’un air sidéré.

Les téléphones continuaient de sonner dans les autres pièces, mais il n’était pas difficile de les ignorer.

— Bon, fit-il. Est-ce que… comment s’appelle-t-elle, déjà, Lenore ? Est-ce qu’elle t’a dit quelque chose sur le contenu du message ?

— Non. Seulement qu’il vient bien de Sigma Draconis, et qu’en tout cas, il semble commencer par le même jeu de symboles que la dernière fois.

Angela demanda :

— Vous ne mourez pas d’envie de savoir en quoi consiste la réponse ?

Sarah tendit les bras de cette façon qui signifiait : « Aidez-moi à me relever. » Carl s’avança et s’exécuta avec des gestes pleins de prévenance.

— Si, naturellement, dit-elle. J’aimerais bien le savoir, mais la transmission n’est pas terminée. (Elle regarda sa belle-fille.) Alors, allons nous occuper de préparer le dîner.

Les enfants et petits-enfants partirent vers neuf heures. Carl, Angela et Emily s’étaient chargés de tout débarrasser et de faire la vaisselle, tandis que Don et Sarah étaient simplement installés sur le canapé du salon à profiter du calme revenu. Un peu plus tôt dans la soirée, Emily avait fait le tour des téléphones pour désactiver les sonneries, mais l’affichage numérique des répondeurs continuait de changer toutes les cinq minutes. Don repensa à une autre vieille blague qui remontait à l’époque de son adolescence, celle du type qui suivait Elizabeth Taylor dans les McDo rien que pour voir le compteur changer. Pendant des dizaines d’années, les panneaux étaient restés bloqués sur « Plus de 99 milliards de hamburgers servis », mais il se souvenait de l’émoi que ça avait provoqué quand on avait fini par les remplacer par « Plus de mille milliards de hamburgers servis ».

Il était parfois préférable d’arrêter de compter, songea-t-il – surtout quand c’est un compte à rebours… Ils avaient réussi à atteindre l’âge de quatre-vingt-sept ans, dont soixante ans de vie commune. Mais ils ne seraient certainement plus là pour un soixante-dixième anniversaire de mariage. Non, ça ne se présentait pas trop bien pour ça. En fait…

En fait, il était étonné qu’ils aient réussi à vivre aussi longtemps. Mais, quelque part, ils avaient peut-être fait un effort pour atteindre les noces de diamant…

Toute sa vie, il avait lu des histoires de gens qui mouraient quelques jours seulement après leur quatre-vingtième anniversaire, ou le quatre-vingt-dixième, ou le centième. Des gens qui s’étaient accrochés à la vie, par la seule force de leur volonté, jusqu’à ce que le grand jour arrive… et là, ils avaient tout lâché.

Cela faisait tout juste trois mois que Don avait eu ses quatre-vingt-sept ans, et Sarah l’avait précédé de quatre mois. Ce n’était pas pour ça qu’ils s’étaient accrochés. Mais un soixantième anniversaire de mariage ! Ça, c’était vraiment rare !

Il aurait bien aimé passer son bras autour des épaules de Sarah, assis côte à côte sur le canapé, mais ça lui faisait tellement mal de le soulever, et…

Et c’est alors qu’une idée lui vint soudain à l’esprit. Ce n’était peut-être pas pour leur anniversaire de mariage qu’elle avait tenu le coup. En fait, ce qui l’avait soutenue pendant toutes ces années, c’était de savoir ce que les Dracons allaient répondre. Il aurait préféré que le contact ait été établi avec une étoile située à trente ou quarante années-lumière de la Terre au lieu de dix-neuf. Il voulait qu’elle continue de s’accrocher à la vie. Il ne savait pas ce qu’il ferait si jamais elle lâchait, et…

Il avait aussi lu des articles là-dessus, des dizaines de fois au fil du temps : le mari qui meurt quelques jours seulement après sa femme ; la femme qui semble tout à coup se laisser aller peu de temps après le décès de son mari.

Don avait conscience qu’une occasion comme celle d’aujourd’hui exigeait de fortes paroles, mais quand il ouvrit la bouche, seuls deux mots en sortirent, des mots qui, après tout, résumaient bien la situation :

— Soixante ans.

Elle hocha doucement la tête.

— Un sacré bail.

Il resta silencieux un moment, et finit par dire :

— Merci.

Elle tourna la tête vers lui.

— Merci pour quoi ?

— Pour… (Il haussa les sourcils, puis les épaules en cherchant ce qu’il pourrait dire. Et finalement, d’une voix très douce, il répondit :) Pour tout.

À côté d’eux, sur une petite table près du canapé, le compteur du répondeur enregistra un nouveau message.

— Je me demande ce que contient la réponse des extraterrestres, dit Don. J’espère que ce n’est pas un de ces répondeurs automatiques : « Désolé, mais nous serons absents de la planète pour le million d’années qui vient. » (Sarah éclata de rire, et Don poursuivit :) « En cas d’urgence, merci de contacter mon assistant Zagdorf au… »

— Tu es le plus grand idiot que je connaisse, lui dit-elle en lui tapotant la main.

Même si Sarah et Don n’avaient que des téléphones vocaux, leurs répondeurs étaient quand même très modernes.

— Vous avez reçu quarante-huit appels depuis votre dernière consultation de messages, leur dit la voix masculine et suave de leur appareil le lendemain matin, alors qu’ils prenaient leur petit déjeuner. Sur ce total, il y a trente-neuf messages. Ils sont tous pour Sarah. Trente et un proviennent des médias. Plutôt que de vous les présenter dans l’ordre chronologique, je vous propose de vous les décliner par ordre décroissant d’audience. En commençant par les chaînes de télévision, CNN…

— Parlez-nous plutôt de ceux qui ne viennent pas des médias, dit Sarah.

— Le premier vient de votre coiffeur. Le deuxième de l’Institut SETI. Le troisième provient du département d’astronomie et d’astrophysique de l’université de Toronto. Le quatrième…

— Passez-nous celui de Toronto.

Une voix féminine aiguë se fit entendre.

— Bonjour, professeur Halifax. C’est encore moi, Lenore… vous vous souvenez ? Lenore Darby. Vraiment désolée de vous appeler si tôt, mais j’ai pensé qu’il fallait que quelqu’un le fasse. Tout le monde essaie d’interpréter le message à mesure qu’il arrive – aussi bien ici qu’à Mountain View ou à Allen, partout –, mais… bon, vous n’allez peut-être pas me croire, professeur Halifax, mais nous pensons que ce message est… (là, le ton baissa comme si la personne qui parlait était embarrassée)… codé. Pas simplement codé pour la transmission, mais vraiment codé – vous savez, encrypté pour qu’on ne puisse pas le lire sans une clef de déchiffrage.