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Don adorait discuter de politique, mais il évitait en général d’aborder ce sujet avec des gens qu’il venait juste de rencontrer. Mais il allait y avoir très prochainement une élection provinciale, et comme Lenore était originaire de la Colombie-Britannique, elle n’avait sans doute pas d’opinions trop marquées sur ce qui se passait dans l’Ontario. Le terrain n’était donc peut-être pas trop dangereux.

— Alors, qui aimerais-tu voir l’emporter vendredi ? demanda-t-il.

— Je vote toujours pour le NDP, répondit-elle.

Cela le fit sourire. Il se souvenait de sa période socialiste quand il était lui-même étudiant. N’empêche, il fut très impressionné de voir à quel point Lenore était au courant de l’actualité politique. Mais quand il fallut passer à l’Histoire…

— Mon Premier ministre favori ? Je pense que je dirais Mulroney.

Don était vraiment prodigieusement agacé par le révisionnisme actuel.

— Écoute, dit-il, je me souviens très bien quand Brian Mulroney était Premier ministre, et il… (Il s’interrompit quand il la vit ouvrir de grands yeux.) Ce que je veux dire, corrigea-t-il rapidement, c’est que je me souviens d’avoir lu ce qui s’est passé quand il était Premier ministre, et il était encore pire que Chrétien dans le genre magouilleur…

Cela étant, pourquoi continuait-il de garder secret son âge véritable ? Ce n’était pas comme s’il pouvait le cacher éternellement. Les gens finiraient par le découvrir – y compris parmi les membres du personnel du département d’astronomie : Sarah était encore en relation avec un certain nombre d’entre eux, et ils n’avaient pas juré de garder le silence. Et en plus, Lenore serait probablement fascinée de l’entendre parler de sa rencontre avec Cody McGavin, car après tout, c’était aujourd’hui le saint patron du SETI. Mais à chaque fois qu’il pensait au succès mitigé du traitement, son sentiment de culpabilité l’étouffait littéralement de l’intérieur, et…

— Bon, fit Lenore, voyons un peu ce que tu as dans le ventre.

Il la regarda fixement, complètement abasourdi, tandis qu’elle fouillait dans son sac. Elle finit par en sortir son datacom qu’elle posa sur la table. Elle appuya sur deux ou trois touches, et l’appareil projeta l’hologramme d’un plateau de Scrabble sur le bois verni.

— Wow ! fit Don.

Il avait beau posséder lui-même une belle collection de jeux de Scrabble portatifs – avec des plateaux pliants ou magnétiques, des lettres autocollantes en vinyle, des appareils électroniques spécifiques, et même une version miniature en porte-clefs –, il n’en avait jamais vu un aussi… aussi astrotop.

— Très bien, Mr Fiqh, dit Lenore. Maintenant, jouons.

22.

Un soir de printemps en 2009.

— Chéri ! C’est moi, je suis rentrée ! cria Sarah en ouvrant la porte.

Don sortit de la cuisine, traversa le salon et alla se poster en haut de l’escalier menant à l’entrée.

— Comment ça s’est passé ?

Ça, c’était la Première Session de Collaboration Internationale en vue de Répondre au Message de Sigma Draconis, un marathon de trois jours qui s’était déroulé dans les locaux de l’université de Toronto, sous la présidence de Sarah en personne, et auquel avaient été invités des experts du SETI venus du monde entier.

— C’était épuisant, dit Sarah en ouvrant la porte de la penderie pour y accrocher son imperméable (avril était le mois le plus pluvieux à Toronto). Houleux, aussi, mais finalement très fructueux.

— J’en suis bien content, dit-il. Au fait, j’ai un ragoût dans le four. Il devrait être prêt dans une vingtaine de minutes.

La porte de la maison s’ouvrit de nouveau, cette fois-ci sur Carl qui semblait trempé.

— Hé, maman ! dit-il. Comment s’est passée la conférence ?

— Très bien. J’en parlais justement à ton père.

— On dîne dans vingt minutes, Carl, lui dit Don.

— Super. Je vais aller me débarbouiller.

Carl réussit à se débarrasser de ses chaussures mouillées sans se baisser ni défaire les lacets. Sans même retirer son blouson, il grimpa l’escalier à toute vitesse en se faufilant à côté de Don.

— Alors, qu’est-ce qui s’est passé ? demanda Don.

Sarah monta à son tour et ils s’embrassèrent.

— On a commencé par recenser les messages non autorisés qui ont déjà été envoyés à Sigma Draconis.

— De quel genre ?

— Il y a un groupe qui affirme avoir réussi à traduire le début de la Genèse dans le langage fourni par les Dracons.

— Ah, doux Jésus… fit Don.

— Non, dit-elle, lui, il apparaît beaucoup plus tard dans l’histoire. Bon, un autre groupe a envoyé toute une collection d’art islamique numérisé. Quelqu’un dit avoir envoyé une liste des matricules de tous les soldats américains tués en Irak. Un autre a envoyé une version des tests d’admission à Mensa. Il a dit qu’au lieu de nous préoccuper de réussir les tests des aliens, c’est plutôt eux qui devraient se soumettre aux nôtres. Ils ne sont peut-être pas suffisamment à la hauteur pour devenir membres de notre club.

— Hem… fit Don.

— Et on a transmis des tas de morceaux de musique.

Sarah alla s’allonger sur le canapé. Il lui fit signe de soulever les jambes pour qu’il puisse s’asseoir au bout. Elle obéit et posa les pieds sur les genoux de Don, qui entreprit de les lui masser.

— Mmmmm, fit-elle. C’est drôlement agréable. Bon, Fraser Gunn était là – tu te souviens de lui ? Il a dit que c’était une erreur d’envoyer de la musique.

— Pourquoi ? Il a peur que les détenteurs des droits fassent un procès ?

— Non, non. Mais comme il a dit, la seule base d’échange que nous ayons avec les extraterrestres, c’est notre culture. C’est la seule chose qu’ils pourraient vouloir d’une autre civilisation. Et si nous donnons gratuitement ce que nous avons de mieux – Bach, Beethoven, les Beatles –, on n’aura plus rien à leur proposer quand ils nous diront : « Hé, qu’est-ce que vous avez à échanger contre nos chefs-d’œuvre à nous ? »

Don savait bien ce que c’était que de devoir gratter les fonds de tiroir culturels. Il était passionné de DVD – plutôt pour les collectionner que pour les regarder vraiment. Il avait été ravi quand toutes les grandes séries télé de son enfance et de son adolescence étaient sorties dans ce format, et il avait acheté tous les coffrets qu’il pouvait : Les Sentinelles de l’air, M.A.S.H., Racines, Dossiers brûlants, et, bien sûr, les Star Trek d’origine. Mais la dernière fois qu’il était allé fouiner dans un Future Shop, tout ce qu’il avait vu au rayon des nouveautés, c’étaient des navets heureusement oubliés tels que Sugar Time !, une sitcom des années 70 avec Barbi Benton, et The Ropers, un sous-produit de Three’s Company dont le seul mérite était de prouver que l’original n’était pas ce que la télé avait produit de pire. Les studios avaient épuisé tout ce qu’ils avaient de bien à une vitesse vertigineuse, et s’efforçaient maintenant de trouver n’importe quoi à mettre sur le marché.