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— Bon, dit-il, Fraser a peut-être raison. Parce que au fond, la seule chose que le SETI sache faire, c’est envoyer des informations d’une sorte ou d’une autre, non ?

— Oh, bien sûr qu’il a raison. Mais nous ne pouvons absolument rien faire contre ça. Les gens vont envoyer tout ce qui leur passe par la tête. Du coup, la vieille expression de Carl Sagan se trouve complètement inversée. Il demandait toujours : « Qui parle au nom de la Terre ? » La vraie question aujourd’hui, c’est plutôt : « Qui ne parle pas au nom de la Terre ? »

— C’est notre production numéro un aujourd’hui, hein ? fit Don. Les spams…

Il la vit acquiescer tristement. Comme il l’avait souvent entendue dire, le concept du SETI datait de la fin des années 50, né du fameux article publié par Morrison et Cocconi, et c’est à ce titre qu’il était encore entaché de notions désuètes. L’idée que les gouvernements – dont on pouvait espérer qu’ils collaboreraient au niveau international – soient en mesure de contrôler parfaitement l’émission et la réception de signaux radio était un vestige d’une époque lointaine, avant qu’on sache produire en masse et à faible coût des antennes paraboliques, permettant à tous, dans le monde entier, de regarder ESPN et la chaîne Playboy.

Non, aujourd’hui, le premier venu qui en avait envie pouvait se fabriquer son réseau de radiotélescopes personnel en s’achetant les composants dans n’importe quel magasin. Avec des logiciels d’astronomie tournant sur un simple ordinateur individuel, les antennes satellites pouvaient facilement suivre Sigma Draconis dans le ciel. Des paraboles séparées par de grandes distances pouvaient être mises en réseau grâce à l’Internet, et moyennant l’utilisation de quelques programmes de correction d’erreur et d’atténuation de bruit, on pouvait les transformer en radiotélescopes beaucoup plus puissants. L’expression « SETI@home » avait pris une dimension nouvelle.

Bien sûr, la FCC aux États-Unis ainsi que divers organismes dans d’autres pays avaient l’autorité pour limiter les émissions radio privées. À la demande insistante du SETI, la FCC essayait de poursuivre en justice les nombreux groupes et individus qui transmettaient des réponses officieuses à Sigma Draconis. Mais tous ces procès étaient pratiquement perdus d’avance, à cause du Premier Amendement. Quelle que soit leur puissance, ces transmissions hyperfocalisées vers un point minuscule dans le ciel n’avaient aucun impact sur l’utilisation normale des ondes, et toute tentative de les interdire serait par conséquent une violation du droit fondamental à la liberté d’expression.

Don savait que quelques organisations religieuses, dont certains cultes spécialement créés pour l’occasion, avaient déjà construit leurs propres antennes afin de transmettre des signaux à Sigma Draconis. Certaines émettaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre : Sigma Draconis ne se couchait jamais aux latitudes supérieures à vingt degrés Nord.

Et pour ceux qui ne voulaient envoyer qu’un message ou deux – des théories farfelues, de la poésie exécrable, des tracts politiques –, il y avait des entreprises du secteur privé qui avaient construit des paraboles et qui proposaient différentes formules de transmission. L’une des plus connues s’appelait Dracon Express, et son slogan était : « Quand il faut absolument et impérativement que ça arrive dans 18,8 ans. »

La petite Emily – qui avait dix ans – fit son apparition.

— Hello, ma chérie, lui dit Don. On dîne dans quelques minutes. Mets la table, tu veux bien ?

Emily n’eut pas l’air contente.

— Il faut vraiment que je le fasse ?

— Oui, ma chérie.

Elle poussa un long soupir théâtral.

— Il faut que je fasse tout, ici !

— Oui, fit Don, c’est exact. Après le dîner, il faudra que tu ailles labourer les champs pendant quelques heures. Quand tu auras fini, tu devras aller balayer tous les trottoirs jusqu’à Finch Avenue.

— Oh, papa !

Mais elle souriait en allant à la cuisine. Don se tourna vers sa femme, qui essayait manifestement de ne pas grincer des dents à chaque fois qu’Emily cognait les assiettes.

— Bon, alors, fit-il. Est-ce que ton groupe a réussi à déterminer pourquoi les aliens s’intéressent à nos principes moraux ?

Elle secoua la tête.

— Il y a quelques paranos qui pensent qu’il s’agit d’une sorte d’examen, et que si nous échouons, nous serons punis. Un Français est allé jusqu’à suggérer que nous subissons une évaluation par l’équivalent du PETA chez les Dracons, afin de déterminer si nous satisfaisons aux critères moraux et cognitifs d’une véritable intelligence, ou si nous sommes simplement du bétail.

— Je croyais que c’était un des articles de foi au sein du SETI que les extraterrestres se contentent de communiquer, et qu’ils ne se déplacent jamais.

— Apparemment, ils n’ont pas reçu ce document à Paris, dit Sarah. Bon, ensuite, quelqu’un a imaginé que nous ne sommes qu’un point de données au sein d’une enquête beaucoup plus vaste, le genre de sondage qui sera résumé par de beaux graphiques multicolores dans l’équivalent dracon de USA Today.

Un minuteur tinta dans la cuisine. Don donna une petite tape sur les jambes de Sarah pour qu’elle le laisse se lever. Il se rendit dans la cuisine où il se rinça les mains avant d’ouvrir le four. Une bouffée d’air chaud s’en échappa.

— Et cette histoire d’orchestrer les réponses ? lança-t-il. Qu’est-ce que vous avez décidé, là-dessus ?

— Attends, lui répondit Sarah, je vais me laver les mains.

Don prit ses maniques et sortit la cocotte qu’il posa sur le dessus de la cuisinière.

— Où sont les serviettes ? lui demanda Emily.

— Dans ce placard, répondit-il en le désignant du menton. Exactement comme hier. Et avant-hier aussi.

— Stacie dit qu’elle a vu maman à la télé, dit Emily.

— C’est plutôt cool, hein ? fit-il en ouvrant la cocotte pour remuer les légumes.

— Ouais…

Sarah passa le nez à la porte.

— Il y a quelque chose qui sent bon, ici.

— Merci, fit Don. Carl ! À table !

Il fallut encore quelques minutes avant que tout le monde soit installé et servi, et Don reprit :

— Alors, qu’est-ce que vous allez envoyer aux Dracons ?

— On va faire ce qu’ils nous demandent. Nous allons créer un site Internet, basé à l’université de Toronto, et les gens du monde entier pourront y répondre à leurs questions. Nous tirerons au hasard un millier de questionnaires, et nous les transmettrons.

Carl avait le bras tendu au-dessus de la table pour attraper le pain.

— Hé, fit Don, Carl ! On ne tend pas le bras comme ça. Demande à ta sœur de te passer le panier.

Carl poussa un soupir.

— Je peux avoir le pain ? demanda-t-il.

— On dit « S’il te plaît », répliqua Emily.

— Papa !

Don commençait à être un peu fatigué.

— Emily, passe le pain à ton frère.

Elle obéit de mauvaise grâce.

— À ton avis, poursuivit Don, pourquoi veulent-ils un millier de questionnaires ? Pourquoi ne pas leur envoyer simplement un résumé, du genre X pour cent ont choisi la réponse A, Y pour cent la réponse B et ainsi de suite ?

— On ne joue pas à Une famille en or, là, dit Sarah.

Don sourit.