— Bon, dit-il, c’était très sympa, merci, mais…
Lenore semblait surprise qu’il fasse si noir, elle aussi.
— Tu me raccompagnes jusque chez moi ? demanda-t-elle. Ce n’est pas très loin, mais mon quartier est un peu glauque.
Don jeta un coup d’œil à sa montre.
— Ah, bien sûr. O.K.
Elle lui prit un de ses sacs et ils se mirent en route, Lenore bavardant avec sa vivacité habituelle. L’atmosphère était encore chaude et poisseuse quand ils arrivèrent sur Euclid Avenue, une rue du centre-ville bordée d’arbres et de vieilles maisons décrépites. Ils croisèrent deux gars baraqués. L’un avait un crâne rasé qui brillait dans la lumière des réverbères, et son biceps droit était orné d’un tatouage représentant la Mort avec sa grande faux. L’autre avait le visage et les bras couverts de cicatrices de laser. Il aurait facilement pu les faire effacer, mais il les arborait probablement comme des preuves de bravoure. Lenore baissa les yeux pour contempler les dalles disjointes du trottoir, et Don suivit son exemple.
— Bon, fit-elle une centaine de mètres plus loin, nous voilà rendus.
Ils étaient devant une maison à l’aspect délabré, avec des lucarnes sur le toit.
— Chouette, comme endroit, dit-il.
Elle éclata de rire.
— C’est hyperglauque, mais je ne paye pas cher de loyer. (Elle l’examina soudain d’un air soucieux.) Ah, mais regarde-moi ça ! Tu dois mourir de soif, avec cette chaleur, et le métro est assez loin d’ici. Entre un instant. Je vais te donner une bouteille de Coca que tu pourras boire en route.
Ils s’avancèrent sur le côté de la maison, et un petit animal – peut-être un raton laveur – s’écarta prestement de leur chemin. Lenore ouvrit une petite porte et ils descendirent quelques marches.
Il s’était attendu à voir un appartement en désordre – il se souvenait du temps où il était lui-même étudiant –, mais tout était bien rangé, même si le mobilier était de bric et de broc, probablement acheté dans des vide-greniers.
— C’est très bien, chez toi, dit Don. Je…
Elle avait déjà posé sa bouche sur la sienne. Il sentit sa langue contre ses lèvres. Il ouvrit la bouche, et il se mit aussitôt à bander. Tout à coup, la main de Lenore fut sur sa braguette, et – ah, bon sang ! – voilà qu’elle se mit à genoux pour le prendre dans sa bouche… mais quelques secondes seulement, des secondes spectaculaires… Elle se releva, le prit par les mains et, en marchant à reculons avec un sourire enjôleur, elle commença à l’entraîner vers la chambre.
Il la suivit.
Don était terrorisé à l’idée d’éjaculer trop vite. Après tout, ça lui faisait plus d’excitation et de stimulation qu’il n’en avait eu depuis bien des années. Mais le bon vieux soldat sut rester au garde-à-vous, et Lenore et lui roulèrent au milieu des draps, tantôt lui au-dessus, tantôt elle, jusqu’à ce qu’il ne puisse plus tenir. Il se remit aussitôt au travail jusqu’à ce qu’elle aussi parvienne à l’orgasme.
— Merci, dit-elle en lui souriant.
Ils étaient maintenant allongés côte à côte, tournés l’un vers l’autre. Il passa doucement son doigt sur sa pommette.
— Merci pour quoi ?
— Merci d’avoir fait ce qu’il fallait pour, hem…
Il haussa les sourcils.
— Mais bien sûr.
— Tu sais, tous les garçons ne sont pas aussi, heu, attentionnés…
Elle était complètement nue, et la chambre était éclairée. Il était ravi de voir qu’elle avait des taches de rousseur sur tout le corps, et que ses poils de pubis étaient du même roux que ses cheveux. Elle semblait parfaitement à l’aise dans sa nudité. Maintenant qu’ils avaient fini, il aurait bien voulu se nicher sous le drap, mais Lenore était allongée dessus de telle sorte qu’il ne pouvait pas s’y glisser sans devoir faire toute une gymnastique. Mais tandis qu’elle lui caressait du bout du doigt les poils de sa poitrine, il se rendit compte avec embarras qu’elle l’examinait attentivement.
— Pas une seule cicatrice, dit-elle distraitement.
La régénération dermique les avait toutes effacées.
— J’ai sans doute eu de la chance.
— En tout cas, dit Lenore en lui donnant une petite tape sur le bras, on peut dire que tu as eu de la chance ce soir !
Il lui sourit. Faire l’amour avec elle avait été fantastique. Tendre et pourtant plein d’ardeur, doux et énergique à la fois. Pas tout à fait comme coucher avec un top model… mais ça n’en était pas loin ! Ah ça, non, pas loin du tout !
Il posa la main sur le bout d’un sein et le pressa légèrement entre le pouce et l’index.
— Le buste pallide de Pallas, dit-il d’une voix douce en lui souriant.
Elle ouvrit de grands yeux.
— Tu es le premier type que je rencontre qui connaisse autre chose du poème que le « jamais plus ». Tu ne peux pas savoir comme j’en ai marre des gens qui me déclament : « Jamais plus, jamais plus ! »
Il lui caressa doucement le sein et dit :
— Wow, fit Lenore d’une toute petite voix. Je n’ai jamais eu de type qui me récite des poèmes.
— Je n’ai jamais eu de fille qui ose me défier au Scrabble.
— Et je veux ma revanche !
Il haussa les sourcils.
— Maintenant ?
— Non, pas maintenant, espèce d’idiot… (Elle se serra contre lui.) Demain matin.
— Heu, fit-il, je… je ne peux pas. (Il la sentit se raidir.) J’ai, hem, j’ai un chien, il faut que je m’en occupe.
Elle se détendit.
— Ah. D’accord, O.K.
— Je suis vraiment désolé.
Il voulait dire : « de te mentir », mais il la laissa croire que c’était : « de ne pas pouvoir rester ». Il chercha une horloge des yeux, en trouva une, et son cœur fit un bond dans sa poitrine.
— Écoute, dit-il, il faut vraiment que j’y aille.
— Bon, très bien, dit Lenore qui n’avait pas vraiment l’air contente. Mais appelle-moi sans faute ! Je vais te donner mon numéro…
24.
Don conservait un merveilleux souvenir du périple que Sarah et lui avaient fait en Nouvelle-Zélande, en 1992. Mais Carl avait été conçu pendant ce séjour, et sa naissance avait mis fin à ce genre de voyage ensemble pendant les vingt années qui avaient suivi. Sarah avait continué de se rendre dans toutes sortes d’endroits pour participer à des conférences, mais Don était resté à la maison. Il avait vraiment regretté de ne pas pouvoir aller à Paris avec elle en 2003, à l’occasion d’un symposium au titre alléchant : « Coder l’altruisme : art et science de la rédaction d’un message interstellaire ». Mais il avait quand même pu l’accompagner à Puerto Rico en 2010, lors de la transmission de la réponse officielle à Sigma Draconis. Son frère Bill s’était occupé de Carl et d’Emily pendant leur absence.