Arecibo est à une heure et quart à peu près de San Juan, à l’ouest, et l’Observatoire d’Arecibo est à quinze kilomètres au sud de la ville, même si Don avait eu l’impression que c’était beaucoup plus loin quand on les y avait conduits par des petites routes sinueuses de montagne. Le chauffeur leur avait dit que la région était entièrement constituée de karst, une sorte de roche calcaire dont l’érosion avait formé des crevasses, des rivières souterraines, des grottes et des dolines. Le réseau de grottes du Rio Camuy, l’un des plus spectaculaires au monde, se trouvait au sud-ouest de l’observatoire. Et l’immense antenne parabolique du radiotélescope avait été construite ici parce que la nature avait obligeamment fourni une doline de trois cents mètres de diamètre dont la forme était parfaitement adaptée à la recevoir.
Don avait été surpris de constater que la parabole n’était pas faite d’un seul tenant. En réalité, elle était composée de lattes d’aluminium perforé séparées par des interstices, le tout étant maintenu en place par des câbles en acier. Et sous l’antenne, dans l’ombre relative, poussait toute une végétation luxuriante de fougères, d’orchidées sauvages et de bégonias. Autour de l’enceinte de l’observatoire, Don fut enchanté d’apercevoir des mangoustes, des lézards, des crapauds gros comme le poing, des escargots géants et des libellules.
Sarah et lui furent hébergés dans l’un des logements réservés aux scientifiques de passage. C’était un bungalow posé sur dix pilotis en béton au-dessus du terrain irrégulier d’une colline. La maison avait une petite véranda (un endroit parfait, comme ils le découvrirent plus tard, pour admirer les orages d’après-midi), une cuisine microscopique, une petite chambre avec salle de bains, et un téléphone à cadran rotatif. Un gros caisson de climatisation avait été installé juste au-dessous de l’une des fenêtres, qui étaient toutes fermées par des volets en bois.
Indépendamment du fait que c’était un excellent choix technique pour envoyer le message, Arecibo avait également une grande valeur symbolique. Frank Drake, qui avait maintenant soixante-dix-neuf ans, était installé dans la salle de contrôle dominant l’immense parabole quand Sarah sortit un câble USB pour relier son ordinateur portable – qui contenait le fichier maître de la réponse aux Dracons – à l’émetteur. C’était d’ici que, trente-six ans plus tôt, Drake avait envoyé le message à M13, ce qui constituait jusqu’à aujourd’hui la transmission la plus célèbre du SETI.
Comme prévu, la réponse contenait mille questionnaires remplis, tirés au hasard parmi les 1 206 343 réponses téléchargées sur le site Internet que Sarah avait fait créer. En fait, pour être tout à fait honnête, 999 seulement avaient été choisis au hasard. Le millième était celui de Sarah, qu’on avait glissé au milieu. Ce n’était pas elle qui avait insisté, mais après que Don et Carl lui eurent mis cette idée en tête, elle en avait parlé au cours d’une réunion, et le responsable des relations publiques du SETI avait été absolument enthousiaste. Il avait dit que cela apporterait un aspect humain très positif à toute l’opération.
Lors de la cérémonie de transmission, on distribua à tous les chercheurs impliqués des CD-ROM de commémoration contenant des copies du message, mais les réponses fournies n’avaient pas été rendues publiques. Conformément à la demande des Dracons, elles devaient rester secrètes afin que les participants ne soient pas influencés au cas où, plus tard, des questions complémentaires seraient posées.
Le sol de la salle de contrôle était constitué de grandes dalles disposées en diagonale, dans une alternance de marron et de beige. Don avait le vertige rien qu’à les voir, encore plus qu’en regardant par la fenêtre l’immense parabole et la plate-forme d’instrumentation de six cents tonnes installée au-dessus.
Des scientifiques, des journalistes et quelques conjoints étaient massés dans la salle de contrôle. Il y avait des ventilateurs électriques installés sur tous les appareils, mais bien qu’il fût encore très tôt, la chaleur était oppressante. Don regarda Sarah s’asseoir au pupitre central en forme de L et ouvrir le fichier du message. Il lui avait suggéré de trouver une phrase mémorable – ce qui aurait constitué son « petit pas pour un homme » à elle –, mais elle s’y était refusée. Le message important, c’était celui qu’elle allait transmettre et non ce qu’elle pourrait dire. Et c’est ainsi que, sans rien d’autre qu’un : « Bon, allons-y ! », Sarah cliqua sur le bouton et les mots « Transmission en cours » s’affichèrent à l’écran.
Les spectateurs se mirent à pousser des cris et le champagne apparut. Don était resté dans un coin de la salle et se réjouissait de voir Sarah aussi heureuse. Au bout d’un moment, le représentant de l’Union astronomique internationale, un homme corpulent aux cheveux argentés, se mit à taper le bord de sa coupe de champagne avec un gros stylo Mont Blanc jusqu’à ce que tout le monde se taise et se tourne vers lui.
— Sarah, déclara-t-il, nous avons un petit quelque chose pour vous.
Il ouvrit l’une des armoires métalliques fixées au mur. Sur une étagère était posé un trophée constitué d’un socle en marbre et d’une colonne incrustée de soie bleue, surmontée d’une statue de la déesse Athéna tendant les bras vers le ciel. Le représentant se baissa pour la prendre et la tint devant lui, légèrement inclinée, comme s’il examinait l’étiquette d’une bouteille de bon vin. Et puis, d’une belle voix claire et sonore, il lut l’inscription gravée sur la plaque :
— « À Sarah Halifax », dit-il, « qui a su trouver l’astuce… »
Don quitta l’appartement de Lenore et remonta le petit escalier. Il était onze heures du soir, et comme l’avait dit Lenore, c’était un quartier un peu glauque. Mais ce n’était pas pour cette raison qu’il avait le cœur battant…
Qu’est-ce que j’ai fait là…
Tout s’était passé si vite, même s’il avait été sans doute un peu naïf de ne pas voir la façon dont Lenore s’attendait à terminer la soirée. Mais cela faisait soixante ans qu’il n’en avait plus eu vingt, et même à cette époque, il avait raté de dix ans la révolution sexuelle. L’amour libre des années 60 avait été un peu trop tôt pour lui. Comme la guerre du Vietnam et le Watergate, il n’en avait que de vagues souvenirs d’enfant, et absolument aucune expérience personnelle directe.
Quand, à quinze ans, il avait entrepris ses premières explorations maladroites de la sexualité – en tout cas, avec une partenaire –, les gens avaient très peur des maladies vénériennes. Et il y avait déjà une fille dans sa classe, à Humberside, qui s’était retrouvée enceinte, ce qui avait jeté un froid sur l’idée de rapports intimes. Et c’est ainsi que, bien qu’il n’y eût aucun problème moral lié à l’affaire – tous les jeunes de la génération de Don en avaient envie, et très peu d’entre eux, du moins parmi la classe moyenne de la banlieue de Toronto où il habitait, considéraient que c’était très mal de faire l’amour avant le mariage –, l’acte lui-même continuait d’être pris très au sérieux, même si avec le recul, étant donné ce qui devait se produire dix ans plus tard, cette crainte d’attraper une blennorragie ou des morpions faisait presque sourire…
Mais quelle était l’expression ? La vie est un éternel recommencement ? Le sida avait été vaincu, Dieu merci – pratiquement tous les gens de l’âge de Don connaissaient quelqu’un qui était mort de cette affreuse maladie. La plupart des autres formes de maladies sexuellement transmissibles avaient été éradiquées, ou pouvaient être guéries par des traitements banals. Et l’on pouvait trouver partout au Canada, en vente libre, toutes sortes de contraceptifs sans danger et pratiquement infaillibles, tant pour les hommes que pour les femmes. Associé à un assouplissement général des comportements, tout cela avait conduit à une nouvelle ère de liberté sexuelle comme on n’en avait plus vu depuis la grande époque de Haight-Ashbury, Rochdale College et, oui, des Beatles.