Sarah regarda Don. Elle avait l’air sidérée. Lenore poursuivit.
— Je sais bien que c’est absurde que les Dracons nous aient envoyé un message chiffré, mais c’est pourtant bien ce qu’ils ont fait. Le début du message comporte tout un fatras mathématique utilisant les mêmes symboles que la dernière fois, et les informaticiens disent que c’est la description détaillée d’un algorithme de décryptage. Et ensuite, c’est un charabia parfaitement incompréhensible, sans doute parce qu’il a effectivement été codé. Vous voyez le truc ? Ils nous ont dit comment le message a été codé, ils nous ont fourni l’algorithme pour le décoder, mais ils ne nous ont pas donné la clef pour faire tourner l’algorithme… Je n’ai vraiment jamais rien vu d’aussi…
— Pause, dit Sarah. Ça dure encore combien de temps comme ça ?
— Il reste deux minutes seize secondes, répondit la machine, qui ajouta : Elle est assez bavarde.
Sarah se tourna vers Don en secouant la tête.
— Un message codé ! C’est complètement idiot. Pourquoi des extraterrestres nous enverraient-ils un message que nous ne pouvons pas lire ?
3.
Sarah se souvenait avec plaisir de Seinfeld, même si, malheureusement, la série avait assez mal vieilli. Pourtant, l’un des sketches de Jerry restait aussi vrai aujourd’hui que cinquante ans plus tôt. Devant la télé, la plupart des hommes étaient des chasseurs, zappant d’une chaîne à l’autre toujours à la recherche de quelque chose de mieux, tandis que les femmes faisaient leur nid et se contentaient d’un seul programme. Mais en ce moment, Sarah était elle-même devenue chasseur. L’énigme du message codé provenant de Sigma Draconis était sur toutes les chaînes et sur le Web. Elle avait vu des bookmakers verser leurs gains aux joueurs qui avaient correctement deviné le jour où on recevrait une réponse, des fondamentalistes mettre en garde contre ce signal qui n’était autre qu’une tentation de Satan, et des farfelus qui prétendaient avoir déjà décrypté la transmission.
Elle était ravie qu’il y ait eu une réponse, bien sûr, mais en continuant de faire défiler les chaînes sur l’écran géant au-dessus de la cheminée, elle se fit la réflexion qu’elle était également déçue que, pendant toutes ces années, on n’ait jamais réussi à détecter d’autre signal radio extraterrestre. Comme elle l’avait dit un jour dans une interview très semblable à celles qu’elle voyait en ce moment, il était certainement vrai que nous n’étions pas seuls… mais nous n’avions quand même pas beaucoup de voisins.
Son exploration était interrompue chaque fois que quelqu’un sonnait à la porte, car une image du visiteur s’affichait automatiquement à l’écran. Dans l’ensemble, c’étaient apparemment des journalistes. Il y en avait encore quelques-uns qui faisaient plus que simplement envoyer des e-mails, passer des coups de fil et se balader sur le Web.
Les voisins que Sarah avait eus autrefois dans Betty Ann Drive, il y avait quarante ans, savaient qu’elle était célèbre, mais la plupart des maisons avaient changé plusieurs fois de propriétaire depuis tout ce temps. Elle se demanda ce que ses voisins d’aujourd’hui pensaient de ce ballet de camionnettes de reportage autour de chez elle. Bah, après tout, il n’y avait pas de quoi avoir honte. Ce n’était pas comme les voitures de police qui s’arrêtaient régulièrement devant chez les Kuchma, de l’autre côté de la rue. Et jusqu’ici, Sarah avait simplement ignoré tous ceux qui venaient sonner chez elle, mais…
Ah, mon Dieu…
Mais ça, elle ne pouvait pas l’ignorer.
Le visage qui était soudain apparu à l’écran n’était pas humain.
— Don ! cria-t-elle la gorge un peu sèche. Don, viens voir !
Il était allé dans la cuisine pour faire le café – du déca, bien sûr, c’était tout ce que le Dr Bonhoff les autorisait à prendre, maintenant. Don arriva de sa démarche traînante, vêtu de son cardigan bleu foncé sur une chemise rouge qui dépassait de son pantalon.
— Oui, qu’est-ce qu’il y a ?
Elle fit un geste vers l’écran.
— Ah, bon sang… dit-il doucement. Comment a-t-il fait pour venir ici ?
Elle pointa le doigt vers une partie du moniteur. Derrière la tête étrange, on pouvait distinguer l’allée que Carl avait déneigée la veille avant de partir. Une voiture verte à l’aspect luxueux y était garée.
— Il a dû se servir de ça, j’imagine.
On sonna de nouveau à la porte. Elle doutait que ce fût une manifestation d’impatience de la part de la créature qui appuyait sur le bouton. Ce devait plutôt être une minuterie interne, totalement dépourvue d’émotions, qui lui disait de réessayer.
— Tu veux que je le fasse entrer ? demanda Don tout en continuant de regarder l’image de ce visage rond et bleu dont les yeux ne clignaient pas.
— Euh, oui, fit Sarah, je pense qu’on ferait aussi bien.
Elle regarda son mari se diriger vers le petit escalier de l’entrée et entreprendre le long pèlerinage, une marche après l’autre, chacune aussi pénible que la précédente. Elle se leva pour aller attendre en haut des marches – et elle remarqua qu’un de ses petits-enfants avait oublié une écharpe de couleur sur la rampe. Le temps que Don ait atteint la porte, la sonnette avait retenti une troisième fois, ce qui était le maximum autorisé par sa programmation. Il dégagea le verrou et la chaîne de sécurité, tira vers lui la lourde porte en chêne, révélant sur le seuil…
Cela faisait des semaines que Sarah n’en avait pas vu un en chair et en os – l’expression « en chair et en os » étant d’ailleurs assez peu appropriée.
Devant eux, étincelant au soleil, se tenait un robot. Sans doute l’un des tout derniers modèles, car il avait l’air plus élaboré et plus fluide que tout ce qu’elle avait pu voir jusqu’ici.
— Bonjour, dit le robot en s’adressant à Don. (Il avait une voix masculine tout à fait normale. Il devait faire dans les un mètre soixante-dix : juste ce qu’il fallait pour fonctionner correctement sans paraître menaçant.) Pourrais-je voir le Dr Halifax ?
— Je suis Sarah Halifax, dit-elle.
La tête du robot pivota pour lever les yeux vers elle. Sarah se dit qu’il devait être en train d’analyser son visage et sa voix afin de vérifier son identité.
— Bonjour, Dr Halifax, fit le robot. Vous n’avez pas décroché votre téléphone domestique, et je vous ai donc apporté un appareil de rechange. Quelqu’un souhaiterait vous parler.
Le robot leva la main droite, et Sarah réussit à y distinguer un datacom.
— Et qui cela peut-il bien être ? demanda-t-elle.
Le robot inclina très légèrement la tête, comme s’il écoutait quelqu’un situé ailleurs.
— Cody McGavin, répondit-il.
Sarah sentit son cœur s’arrêter de battre un instant. Elle aurait préféré être dans l’escalier, où elle aurait au moins pu se tenir à la rampe pour ne pas tomber.
— Acceptez-vous de lui parler ? reprit le robot.