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— Je comprends, dit Don. Si tu te places un cran en arrière, ça veut dire que nous pourrions vivre dans un univers créé par un scientifique à l’aide d’un accélérateur de particules situé dans un autre univers.

— Exactement ! fit Sarah. Et tu sais comme j’adore suivre les débats aux États-Unis sur la question d’enseigner aussi bien le concept de dessein intelligent que la théorie de l’évolution. Bon, je suis une évolutionniste – ça, tu le sais –, mais je ne suis pas d’accord avec ce que plaident toujours les partisans de l’évolution. Ils disent que la science ne peut prendre en compte des causes surnaturelles, ce qui implique dans leur esprit que toute explication scientifique doit, par définition, se limiter à des causes intrinsèques à notre univers.

— Et ça pose un problème ?

— Bien sûr que ça pose un problème ! Cette définition de la science nous empêche totalement de pouvoir éventuellement conclure que nous sommes le résultat du travail d’autres scientifiques situés dans un niveau de réalité au-dessus du nôtre. Ça nous laisse avec une vision scientifique du monde complètement bancale, dans laquelle on reconnaît d’un côté que nous pourrons un jour simuler parfaitement la réalité, ou même créer des univers, mais où on se refuse la possibilité d’admettre que nous pourrions nous-mêmes exister dans un univers de ce genre.

— Si ça se trouve, dit Don, la science ne s’intéresse pas à cette question tout simplement parce qu’elle n’a pas vraiment réponse à tout. Je suis sûr que quelqu’un comme Richard Dawkins dirait : « Bon, et alors ? Admettons que nous soyons la création d’autres êtres intelligents. Ça ne répond pas à la question de savoir d’où ils viennent, eux. »

— Mais la science – et en particulier la science de l’évolution, qui est la spécialité de Dawkins – s’attache en grande partie à reconstituer les filiations et à combler les trous. Si tu adoptais ce point de vue pour l’évolution, tu serais amené à dire que la question de savoir si les oiseaux ont vraiment évolué à partir des dinosaures est idiote et ne mérite pas qu’on s’y intéresse, tout comme de savoir si Lucy est un de nos ancêtres, puisque la seule question vraiment intéressante, c’est de savoir comment est apparu l’ancêtre commun à toutes les créatures vivantes. C’est faux. Ça n’est qu’une question intéressante parmi d’autres, ça n’est pas la seule qui mérite d’être posée. Savoir si nous vivons dans un univers créé par d’autres est une question fondamentalement intéressante, et qui mérite d’être étudiée scientifiquement. Et s’il existe un créateur, ou si une espèce devient elle-même un tel créateur, ça soulève aussitôt la question morale de savoir si les créations ont des obligations vis-à-vis de ce créateur ou des comptes à lui rendre. Et bien sûr, il y a le problème de la réciproque, auquel je trouve qu’on ne réfléchit pas assez : quelles obligations ce créateur a-t-il envers nous ?

Don fit un grand pas de côté pour s’écarter d’elle en levant les yeux vers le ciel assombri.

— Hé, Dieu ! fit-il. Fais attention où tu vises…

— Non, fit Sarah, sérieusement… La technologie donne à une espèce le pouvoir d’empêcher la vie, de créer la vie et d’ôter la vie à différentes échelles. Au bout du compte, la technologie nous donne le pouvoir de devenir ce que nous appellerions des dieux, et même si notre définition de la science y est aveugle, cela soulève la possibilité que nous soyons le résultat du travail d’une autre créature qui, du fait qu’elle nous a créés, mérite également ce terme de dieu. Ça ne signifie pas nécessairement que nous devons l’adorer – mais ça veut dire que, comme toute autre espèce technologiquement avancée, nous devons traiter de questions morales liées à la fois au fait d’être nous-mêmes des dieux en puissance, et peut-être les enfants de dieux.

Ils traversèrent rapidement la rue pour éviter une voiture qui s’approchait.

— Et alors, comme ça, dit Don, les habitants de Sigma Draconis nous ont écrit pour nous demander notre avis ? (Il secoua la tête.) Que le Ciel leur vienne en aide…

26.

Sarah avait dit que l’un des attraits d’une jeunesse retrouvée serait d’avoir de nouveau le temps de lire tous les bons livres. Don n’aurait su dire si le livre qu’il lisait en ce moment était bon – c’était un policier du genre de ceux qu’on vendait dans les drugstores quand il était jeune –, mais c’était en tout cas un vrai plaisir de pouvoir lire pendant des heures sans se fatiguer les yeux, et sans avoir à porter de lunettes. Mais le roman finit par l’ennuyer, et il demanda à son datacom d’explorer les programmes pour lui trouver quelque chose d’intéressant, et…

— Hé ! fit-il en relevant les yeux de la liste, Discovery est en train de repasser ce vieux documentaire sur le premier message.

Sarah, assise sur le canapé, le regarda se balancer sur sa chaise.

— Quel vieux documentaire ?

— Tu sais bien, dit-il un peu agacé, ce truc d’une heure qu’ils ont fait quand tu as envoyé notre réponse à Sigma Draconis.

— Ah, fit Sarah. Oui, je vois.

— Tu n’as pas envie de le regarder ?

— Non. Je suis sûre qu’on en a un enregistrement quelque part.

— À tous les coups, il est dans un format qu’on ne peut plus lire. Je vais le passer.

— J’aimerais mieux ne pas le voir, dit-elle.

— Allez ! fit Don. Ça va être amusant.

Il se tourna vers le grand écran au-dessus de la cheminée. « Allume la télé ; Discovery Channel. »

L’image était d’une précision fantastique, avec des couleurs vibrantes. Cela faisait longtemps que Don avait oublié qu’ils avaient la télé haute définition. Maintenant, il ne supportait plus de regarder d’anciennes émissions parce qu’elles avaient été enregistrées en basse résolution.

Le documentaire avait déjà commencé. On voyait des vues aériennes du radiotélescope d’Arecibo, et c’était un acteur canadien – Maury Chaykin, peut-être ? – qui faisait le commentaire. Cette séquence fut bientôt suivie d’un résumé de l’histoire du SETI : l’équation de Drake, le projet OZMA, la plaque du Pioneer 10, le disque de Voyager – pour ce dernier, dans la mesure où il s’agissait de la version canadienne de Discovery Channel, le commentaire n’omettait pas de préciser qu’il avait été conçu par Jon Lomberg, le célèbre artiste de Toronto. Don avait oublié qu’une si grande partie du documentaire ne parlait absolument pas de Sarah ni de son travail. Il pourrait en profiter pour aller se chercher quelque chose à boire dans la cuisine et…

Et soudain, elle apparut à l’écran, et…

Et il jeta un coup d’œil vers sa femme, assise sur le canapé, puis de nouveau à l’écran, plusieurs fois de suite de l’un à l’autre. Sarah regardait fixement la cheminée, semblait-il, et pas du tout le moniteur. Elle avait le teint rouge, comme si elle était embarrassée, parce que…

Parce qu’elle avait l’air tellement plus jeune, tellement moins frêle à l’écran. Après tout, cet enregistrement datait de trente-huit ans, du temps où elle en avait quarante-neuf. C’était une sorte de rollback, un retour en arrière à un stade plus jeune. Ah, bien sûr, pas aussi loin que lui-même était allé, mais cela donnait quand même une idée de ce que ça aurait pu être pour elle.

— Je suis désolé, ma chérie, dit-il doucement.

Puis d’une voix plus forte, il lança au moniteur : « Éteins la télé ! »

L’air totalement inexpressif, elle le regarda et lui dit :