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— Pompiers, police ou ambulance ? demanda l’opératrice.

— Ambulance, répondit Don. Je vous en supplie, dépêchez-vous !

— Vous appelez depuis un appareil mobile, dit l’opératrice, mais nous avons les coordonnées GPS. Vous êtes au… (Elle lui lut l’adresse.) C’est exact ?

— Oui, oui.

— Que s’est-il passé ?

Il essaya d’aspirer un peu d’air.

— Ma femme… Elle a quatre-vingt-sept ans, et elle est tombée dans l’escalier.

— J’ai dépêché une ambulance, dit l’opératrice. Le datacom d’où vous appelez est enregistré au nom de Donald R. Halifax. C’est bien vous ?

— Oui.

— Votre épouse est-elle consciente, Mr Halifax ?

— Oui. Mais elle a une jambe cassée. J’en suis certain.

— Alors, ne la déplacez pas. Surtout, n’essayez pas de la déplacer.

— Non, je sais. Je ne l’ai pas bougée.

— La porte de votre domicile est-elle déverrouillée ?

Il releva les yeux. La porte était restée grande ouverte.

— Oui.

— Très bien. Restez auprès d’elle.

Don prit la main de Sarah.

— Je ne la quitte pas.

Ah, mon Dieu, pourquoi n’avait-il pas été là quand c’était arrivé ? Il la regarda dans les yeux, ses yeux bleu pâle qui étaient injectés de sang et à moitié fermés.

— Non, je ne la quitterai pas. Je vous le jure, je ne la quitterai jamais.

En ayant fini avec l’opératrice, il reposa son datacom par terre.

— Je suis désolé, dit-il à Sarah. Affreusement désolé.

— Pas de problème, dit-elle d’une voix faible. Je savais que tu rentrerais bientôt, même si…

Elle ne termina pas sa phrase, mais il était évident qu’elle s’était attendue à ce qu’il revienne beaucoup plus tôt.

— Je suis désolé, répéta Don le cœur serré. Désolé, tellement désolé…

— Ne t’inquiète pas, insista Sarah qui réussit à esquisser un pauvre sourire. Je suis sûre que je n’ai rien de vraiment grave. Après tout, nous sommes dans l’âge des miracles et des merveilles. (Une vieille chanson du temps de leur jeunesse. Don la reconnut, mais il continua de secouer la tête d’un air perplexe. Elle lui fit un signe du menton, et il finit par comprendre : elle faisait allusion à son nouveau corps rajeuni. C’était maintenant elle qui lui tenait la main, elle qui le réconfortait.) Tout ira bien, dit-elle, tout ira bien.

Ils se sentait incapable de croiser son regard tandis qu’ils attendaient ainsi interminablement, jusqu’à ce que, enfin, la sirène de l’ambulance vienne noyer les pensées qui le torturaient, et que tout se trouve baigné dans une lumière rouge clignotant par la porte ouverte.

28.

Heureusement, il s’agissait d’une fracture nette et simple. L’orthopédie avait fait de grands progrès depuis que Don s’était lui-même cassé la jambe en 1977 en jouant au football au lycée. On aligna les deux parties du fémur de Sarah, on évacua l’excédent de fluide, on injecta le calcium que Sarah aurait de toute façon reçu si son processus de rajeunissement avait réussi, et on installa un petit support externe autour de sa jambe – il n’y avait plus guère que des os de dinosaure qui aient besoin d’être plâtrés. Le médecin dit qu’elle serait rétablie dans deux mois, mais qu’en attendant, grâce au support équipé de petits moteurs, elle n’aurait pas besoin de béquilles. Une canne était cependant recommandée.

Tout aussi heureusement, leur assurance-maladie couvrait tous les frais. Les grandes crises du système de santé canadien n’étaient plus qu’un mauvais souvenir. Bien sûr, il y avait eu une période où, la biotechnologie étant encore jeune, l’escalade des coûts avait échappé à tout contrôle, mais le prix des technologies finit toujours par baisser, même dans le domaine médical. Des traitements qui coûtaient des centaines de milliers de dollars quand Don était jeune étaient descendus à une petite fraction de ces montants. Même les médicaments complexes coûtaient si peu à mettre au point et à produire que les gouvernements pouvaient les distribuer gratuitement dans le tiers-monde. Qui sait, un jour prochain, même la magie du rajeunissement serait accessible à tous ceux qui en voudraient.

Quand ils rentrèrent de l’hôpital, Don aida Sarah à se mettre au lit. Elle s’endormit au bout de quelques minutes seulement, probablement aidée à rejoindre les bras de Morphée par les analgésiques que le médecin lui avait prescrits.

Mais Don, lui, était incapable de trouver le sommeil. Allongé sur le dos, il regardait l’obscurité du plafond, parfois traversée d’un rayon de lumière quand une voiture passait dans la rue.

Il aimait Sarah. Il l’avait aimée pendant presque toute son existence. Et jamais il ne lui ferait de mal. Mais quand elle avait eu besoin de lui, il n’avait pas été là.

Il entendit une sirène au loin. Quelqu’un d’autre devait faire face à une crise, tout comme celle qu’ils affrontaient aujourd’hui.

Non. Ils n’avaient pas fait face à cette crise… C’était Sarah qui avait dû le faire toute seule – le visage contre les lames de parquet, attendant heure après heure qu’il rentre après avoir baisé une femme qui n’avait même pas la moitié – ah, bon sang, moins du tiers ! – de son âge.

Il roula sur le côté en tournant le dos à Sarah, toujours endormie. Il se recroquevilla en chien de fusil. Son regard se fixa sur l’affichage bleuâtre du réveil posé sur sa table de nuit, et il regarda les minutes s’écouler lentement.

Pour la première fois depuis des années, Sarah était installée dans le fauteuil relax en position inclinée. Comme ça, disait-elle, il lui était plus facile et moins douloureux d’allonger sa jambe.

Bien qu’il n’eût presque pas dormi la nuit précédente, Don était incapable de se reposer. Il arpentait inlassablement la pièce. Sarah avait dit une fois qu’ils avaient eu le coup de foudre pour cette maison quand elle avait vu la cheminée, et lui quand il avait vu ce long salon étroit qui n’attendait plus que quelqu’un pour y faire les cent pas.

— Quels sont tes projets pour aujourd’hui ? demanda Sarah.

Les grands chiffres sur l’écran mural indiquaient 09:22. Les fenêtres de part et d’autre avaient été polarisées pour réduire la lumière du mois d’août à un niveau supportable.

Il s’arrêta un instant et regarda sa femme.

— Des projets ? fit-il. Je vais rester ici, pour m’occuper de toi.

Mais elle secoua la tête.

— Tu ne peux pas passer le restant de ta vie – le restant de ma vie – cloîtré dans cette maison. Je vois bien que tu débordes d’énergie. Regarde-toi ! Tu ne tiens pas en place.

— Oui, mais…

— Mais quoi ? Je serai très bien comme ça.

— Tu n’étais pas très bien hier, répliqua-t-il en recommençant à arpenter la pièce. Et puis…

— Et puis ? demanda Sarah.

Le dos tourné, il ne répondit pas. Mais quand on a été marié si longtemps, on peut terminer les phrases de l’autre, même quand celui-ci ne le souhaite pas.

— Et puis ça ne peut qu’aller en empirant, c’est ça ? dit-elle.

Don inclina la tête pour signifier qu’elle avait bien deviné. Il jeta un coup d’œil par la fenêtre teintée de brun. Ils avaient acheté cette maison en 1988, juste après leur mariage. Ses parents et ceux de Sarah les avaient aidés pour l’apport initial. À cette époque, il y avait quelques arbres squelettiques dans Betty Ann Drive, et deux ou trois grands épicéas bleus. Et maintenant, ces arbustes plantés gratuitement par la ville de North York, une municipalité qui n’existait plus, étaient devenus des érables et des chênes magnifiques.