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— Je suis plus vieux que ça.

— Trente et un ? Trente-deux ? Écoute, Don, je me fiche bien qu’on ait six ou sept ans d’écart. J’ai un oncle qui a dix ans de plus que ma tante.

Dix ans, songea-t-il. Dix ans, ça me fait à peine mon petit déjeuner

— Continue, dit-il.

— Trente-trois ? (Elle commençait à avoir l’air un peu inquiète.) Trente-quatre ? Trente…

— Lenore, dit-il en fermant les yeux un instant. J’ai quatre-vingt-sept ans.

Elle grogna d’un air agacé.

— Ah, écoute, Don, tu…

— J’ai quatre-vingt-sept ans ! répéta-t-il comme si les mots explosaient de sa bouche. Je suis né en 1960. Tu dois avoir entendu parler de ce processus de rajeunissement qu’on pratique maintenant. J’ai subi un rollback il y a quelques mois. Et ça… (il indiqua son visage d’un geste de la main)… c’est le résultat.

Elle s’écarta précipitamment de lui à travers le lit, comme un crabe sur du sable brûlant.

— Ah, mon Dieu… fit-elle.

Elle se mit à le regarder fixement, à le dévisager comme si elle cherchait un élément lui permettant de voir s’il disait ou non la vérité.

— Mais ce traitement, ça coûte une fortune, ajouta-t-elle.

Il acquiesça.

— J’ai eu un, hem… un bienfaiteur.

— Je ne te crois pas, dit Lenore (mais elle avait l’air de mentir). Je… je veux dire, je ne peux pas…

— C’est pourtant vrai. Je pourrais te le prouver de trente-six façons. Tu veux voir une photo d’identité, comment j’étais avant ?

— Non !

Une expression de… de dégoût, peut-être, était brièvement apparue sur son visage. Bien sûr qu’elle ne voulait pas voir le vieil homme avec qui elle venait juste de faire l’amour.

— J’aurais dû te le dire plus tôt, mais…

— Tu parles que tu aurais dû ! Ah, merde, Don ! (Mais soudain, peut-être parce que l’idée lui était venue en prononçant son nom, une lueur d’espoir apparut dans ses yeux, comme si elle venait de comprendre que tout cela était une blague énorme.) Mais attends un peu, tu es le petit-fils de Sarah Halifax ! C’est ce que tu m’as dit.

— Non, je ne t’ai pas dit ça. C’est toi qui l’as pensé.

Elle s’écarta de lui encore plus, et elle réussit à se cacher les seins avec le drap – la première manifestation de pudeur qu’il ait jamais vue chez elle.

— Mais alors, bon sang, qui es-tu ? demanda-t-elle. Est-ce que tu es même seulement apparenté à Sarah Halifax ?

— Hmmm, oui…. fit-il en prenant son temps. Mais… (et là, il ravala péniblement sa salive)… je ne suis pas son petit-fils. (Il se sentit incapable de croiser son regard, et il baissa donc les yeux sur le drap chiffonné.) Je suis son mari.

— Putain, fit Lenore. Merde.

— Je suis désolé, dit-il, profondément désolé.

— Son mari ? répéta-t-elle comme si elle avait peut-être mal entendu la première fois.

Il se contenta de hocher la tête.

— Je crois que tu devrais partir.

Les mots le touchèrent au cœur comme des balles de fusil.

— Je t’en prie, je peux…

— Tu peux quoi ? répliqua-t-elle. Tu peux m’expliquer ? Mais putain, il n’y a pas d’explication possible !

— Non, dit-il, c’est vrai, je ne peux pas l’expliquer. Et je ne peux pas le justifier. Mais je te jure, Lenore, je n’avais aucune intention de te faire du mal. Je n’ai jamais voulu faire de mal à personne. (Il avait des crampes à l’estomac, et il se sentait complètement perdu.) Mais je veux que tu… que tu saches, que tu comprennes.

— Que je comprenne quoi ? Que tout ce qui s’est passé entre nous reposait sur un mensonge ?

— Non ! fit-il. Ah, non, pas du tout ! Je n’ai jamais rien vécu d’aussi réel et intense dans ma vie depuis…

— Depuis quoi ? dit-elle en ricanant. Depuis des années ? Des décennies ?

Il poussa un long soupir. Il ne pouvait même pas protester en lui disant qu’elle était injuste. Le simple fait qu’elle accepte encore de lui parler était plus que ce qu’il méritait. Il essaya pourtant de se défendre, tout en se rendant compte, à peine les mots eurent-ils franchi ses lèvres, à quel point il aurait mieux fait de se taire.

— Écoute, c’est toi qui en as fait une relation physique.

— Parce que je croyais que tu étais quelqu’un que tu n’es pas. Tu m’as menti.

Il pensa un instant rétorquer que, sur le principe, il n’avait pas menti, ou en tout cas, pas souvent…

— Et de toute façon, poursuivit-elle, la question de savoir qui a commencé est tellement en dehors du sujet qu’elle pourrait aussi bien être dans un autre système solaire. Tu es un octogénaire, nom d’un chien ! Tu pourrais être mon grand-père !

Il s’était attendu à ces mots, mais ils ne le blessèrent pas moins pour autant.

— Sarah a suivi le même traitement, dit-il en se décidant à tout avouer. Mais ça n’a pas marché pour elle. Elle a toujours physiquement quatre-vingt-sept ans, et moi… je suis comme tu me vois.

Lenore ne dit rien, mais elle pinça légèrement les lèvres en fronçant les sourcils.

— C’est Cody McGavin qui a payé pour tout, poursuivit Don. Il voulait que Sarah soit encore parmi nous quand la prochaine réponse arrivera de Sigma Draconis. Il s’agissait simplement que je l’accompagne, mais…

— Mais maintenant, tu es l’aide-soignant de Sarah.

— Je t’en prie, dit-il. Je n’ai rien demandé, moi.

— Non, non, bien sûr. C’est juste arrivé comme ça… un traitement médical de plusieurs milliards de dollars.

Il secoua la tête.

— J’aurais dû savoir que tu ne comprendrais pas.

— Si c’est ça que tu cherches, être compris, inscris-toi à un groupe de soutien. Il doit bien en exister un pour les gens comme toi.

— Oui, il y en a un, effectivement. Il se réunit en ce moment même à Vienne, en Autriche. Je n’ai pas les moyens d’y aller. J’ai fait le calcul, ma fortune est sans commune mesure avec celle du plus pauvre parmi ceux qui ont bénéficié de ce traitement. Pour chaque dollar que je possède, chacun d’eux en a au moins dix mille. Tu vois, Lenore, ça, c’est ce que j’appelle vraiment ne pas être dans le même système solaire.

— Tu n’as pas besoin de me parler comme ça. Je n’ai rien fait de mal, moi.

Il respira un grand coup pour se calmer.

— Tu as raison. Excuse-moi. C’est juste que je ne sais pas quoi faire, et… et que je ne veux pas te perdre. Je tiens vraiment à toi, je pense à toi sans arrêt. Et si je ne sais plus très bien où j’en suis, je sais au moins une chose : les seules fois où j’ai vraiment été heureux ces derniers temps, c’était quand j’étais avec toi.

— Il doit bien y avoir quelqu’un d’autre qui…

— Il n’y a personne. Mes amis, le peu qui soient encore de ce monde, ne peuvent pas comprendre. Quant à mes enfants…

— Ah, zut. Je n’y avais pas pensé. Tu as des enfants !

Bah, au point où j’en suis…

— J’ai aussi des petits-enfants. Mais mon fils a cinquante-cinq ans et ma fille va bientôt en avoir cinquante. Je ne peux pas attendre d’eux qu’ils comprennent un père qui a la moitié de leur âge.

— C’est de la folie, dit-elle.

— On peut trouver le moyen d’arranger ça.

— Mais tu es dingue ! Tu es marié. Tu as soixante ans de plus que moi. Tu as des enfants. Tu as des petits-enfants. Et… ah, mon Dieu, tu es à la retraite, c’est ça ? Tu n’as même pas de travail.