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Don se tourna vers Sarah, l’air complètement ébahi.

— Oui, répondit-elle.

Elle avait prononcé le mot d’une voix très douce, mais le robot n’eut apparemment aucun mal à l’entendre.

— Si vous me permettez ? dit-il.

Don s’écarta pour le laisser passer. Le robot entra et, au grand étonnement de Sarah, il se baissa et retira de simples bottes en caoutchouc, révélant des pieds métalliques bleus. La machine traversa le vestibule en cliquetant des talons sur le parquet déjà bien éraflé, puis il gravit les deux premières marches sans aucune difficulté. Il n’eut pas besoin de monter plus haut pour tendre le datacom à Sarah. Elle le prit.

— Ouvrez-le, dit le robot plein de sollicitude.

Elle s’exécuta et entendit une sonnerie dans le minuscule écouteur. Elle l’appliqua aussitôt contre son oreille.

— Bonjour, Dr Halifax. (C’était une voix féminine au ton décidé. Sarah avait un peu de mal à la comprendre. Elle aurait bien aimé savoir comment augmenter le volume.) Merci de patienter, je vais vous passer Mr McGavin.

Sarah regarda son mari. Elle lui avait souvent dit à quel point elle avait horreur des gens qui la faisaient attendre comme ça. C’était presque toujours des imbéciles pleins de suffisance qui considéraient que leur temps était plus précieux que celui des autres. Mais dans la circonstance présente, se dit-elle, c’était effectivement le cas. Oh, bien sûr, il y avait sans doute quelques personnes dans le monde qui gagnaient plus d’argent que Cody McGavin, mais elle aurait eu du mal à fournir un nom comme ça.

Comme elle le disait souvent, le SETI était la Blanche Dubois des projets scientifiques : il avait toujours dû compter sur la générosité des autres. Que ce fût le cofondateur de Microsoft, Paul Allen, qui avait donné 13,5 millions de dollars en 2004 pour financer une batterie de radiotélescopes, ou les centaines de milliers d’utilisateurs de PC qui avaient partagé leur temps de calcul dans le cadre du projet SETI@home, cet institut dédié à la recherche de signes d’intelligence extraterrestre avait réussi à survivre de décennie en décennie grâce aux largesses de ceux qui croyaient que, premièrement, nous n’étions peut-être pas seuls dans l’univers, et que, deuxièmement, il était important de savoir que nous n’étions pas seuls.

Avant même d’avoir atteint la quarantaine, Cody McGavin avait déjà gagné des milliards en développant la technologie robotique. Ses réseaux sensoriels proprioceptifs constituaient la base de tous les robots complexes de la planète. Né en 1985, il avait toujours été fasciné par l’astronomie, la science-fiction et les voyages dans l’espace. Sa collection d’objets de la mission Apollo – une aventure scientifique déjà ancienne alors qu’il n’était même pas encore né –, était la plus riche au monde. Et après la disparition de Paul Allen, il était devenu de loin le plus important contributeur du SETI.

Dès que Sarah avait été placée en attente, une petite musique avait démarré. Elle reconnut un morceau de Bach… et comprit aussitôt le clin d’œil. Elle était probablement l’une des rares personnes encore vivantes à pouvoir le comprendre. Bien des années auparavant, longtemps avant d’avoir reçu le premier message de Draconis, au cours d’une discussion sur ce qu’on pourrait transmettre aux étoiles, Carl Sagan avait mis son veto à ce qu’on envoie du Bach, en disant : « Ce serait vraiment trop prétentieux de notre part. »

La voix célèbre interrompit le concerto. McGavin s’exprimait avec un de ces accents de Boston qui arrivent à prononcer « Harvard » comme s’il n’y avait pas un seul « r » dans le mot.

— Bonjour, Dr Halifax. Désolé de vous avoir fait attendre.

— Ce n’est rien, dit-elle en se rendant compte que sa voix tremblait d’une façon qui n’avait rien à voir avec l’âge.

— Bon, alors, ça y est, hein ? fit-il d’une voix enthousiaste. Ils ont répondu !

— C’est ce qu’il semblerait, monsieur.

Il n’y a pas beaucoup de gens à qui une dame de quatre-vingt-sept ans dit « monsieur », mais là, ça lui était venu tout naturellement.

— Je savais qu’ils le feraient, dit McGavin. J’en étais tout simplement convaincu. Je crois qu’on entame un dialogue, là.

Elle sourit.

— Et c’est maintenant à nous de répondre… une fois que nous aurons réussi à décrypter le message.

Don était en train de gravir les six marches. Une fois qu’il fut en haut, elle tourna légèrement le datacom pour qu’il puisse entendre McGavin, lui aussi. Pendant ce temps, le robot avait pris position juste devant la porte d’entrée.

— Exactement, fit McGavin, exactement. Nous devons absolument entretenir la conversation. Et c’est pour ça que je vous ai contactée, Sarah – vous permettez que je vous appelle Sarah, n’est-ce pas ?

En fait, elle aimait beaucoup que des gens plus jeunes qu’elle l’appellent par son prénom. Ça lui donnait l’impression d’être encore un peu dans le coup.

— Oui, bien sûr, fit-elle.

— Eh bien, Sarah, j’ai une… disons, une proposition à vous faire.

Sarah ne put résister.

— Je vous préviens, mon mari est juste à côté de moi…

McGavin eut un petit rire.

— Une proposition tout à fait honnête.

— Je suis toujours là, dit Don.

— Ha ! Ha ! fit McGavin. Bon, appelons ça une offre. Une offre qu’à mon avis, vous ne pourrez pas refuser.

Don faisait une assez bonne imitation de Brando quand il était jeune. Il gonfla ses joues, plissa le front et agita des bajoues imaginaires, mais sans rien dire. Sarah rit silencieusement et lui donna une petite tape affectueuse sur le bras.

— Oui ? dit-elle dans le datacom.

— J’aimerais en parler avec vous face à face. Vous êtes à Toronto, c’est ça ?

— Oui.

— Est-ce que ça vous ennuierait de venir ici, à Cambridge ? Je vous enverrais un de mes avions pour vous transporter.

— Je… je n’aimerais pas beaucoup voyager sans mon mari.

— Non, bien sûr que non. Cette affaire le concerne aussi, d’une certaine façon. Pouvez-vous venir tous les deux ?

— Eh bien, heu… Donnez-nous un petit instant pour en discuter.

— Mais oui, naturellement, dit McGavin.

Elle posa sa main sur le micro et regarda Don en haussant les sourcils d’un air interrogateur.

— Quand j’étais au lycée, dit-il, on nous avait demandé de dresser la liste des vingt choses qu’on aimerait faire avant de mourir. J’ai retrouvé la mienne il n’y a pas longtemps. Parmi les trucs que je n’avais pas encore cochés, il y avait : « Voyager dans un jet privé ».

— Très bien, fit-elle dans le datacom. D’accord, pourquoi pas ?

— Ah, formidable, dit McGavin, vraiment super. Une limousine viendra vous prendre demain matin pour vous emmener à Trudeau, si ça vous va comme ça ?

Trudeau était à Montréal, alors que l’aéroport de Toronto était Pearson, mais Sarah voyait ce qu’il voulait dire.

— Oui, c’est très bien.

— Parfait. Je vais vous passer mon secrétaire, il s’occupera des détails. Nous nous verrons au déjeuner demain.

Et le concerto de Bach reprit.

4.

En y repensant, Don trouvait assez drôle que Sarah et lui aient si souvent discuté de l’échec du SETI avant son grand succès. Un soir, en rentrant à la maison – voyons, ils avaient une bonne quarantaine d’années, ça devait donc être en quelque chose comme 2005 –, il l’avait trouvée installée dans le fauteuil relax qu’ils venaient juste d’acheter, en train d’écouter son iPod. Don voyait bien que ce n’était pas de la musique qu’elle écoutait, sinon elle aurait tapoté des doigts ou tapé du pied en mesure, elle ne pouvait pas s’en empêcher…