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— Je touche une pension.

— Une pension ! Doux Seigneur !

— Il n’y a pas de raison que ça change quoi que ce soit entre nous, dit-il.

— Mais putain, tu es complètement maboul !

— Lenore, je t’en supplie…

— Ramasse tes fringues, dit-elle sèchement.

— Pardon ?

— Prends tes fringues et fous-moi le camp d’ici !

31.

Cela faisait des mois que Don n’avait pas revu ses petits-enfants. Ils lui manquaient, mais il avait évité tout contact, ne sachant absolument pas comment leur expliquer ce qui lui était arrivé. Mais vint le moment où il n’eut plus le choix. Aujourd’hui, jeudi 10 septembre, c’était le cinquantième anniversaire d’Emily, et de même que la participation de tout le monde avait été obligatoire à leur anniversaire de mariage, sa présence ne prêtait même pas à discussion alors que sa fille allait franchir l’étape du demi-siècle.

La petite fête avait lieu dans la maison d’Emily, à Scarborough, à une heure de route à peu près, mais un trajet facile par l’autoroute 407. Ils avaient demandé à Gunter d’être leur chauffeur, ce qui satisfaisait tout à fait Don. Il se serait senti vraiment ridicule d’être voituré par une femme qui avait l’air d’être sa grand-mère. Il n’avait pas encore récupéré son permis de conduire. Il devait suivre des cours obligatoires de sécurité routière avec un groupe de gens qui étaient tous octogénaires, et bien que l’examinateur ait le droit de le dispenser du test de conduite, il lui faudrait quand même continuer de supporter les regards ébahis du personnel et – ce qui était encore pire – de tous ces vieillards qui avaient vraiment l’air vieux, parmi lesquels un certain nombre devaient lui en vouloir d’avoir réussi à repousser l’échéance fatale qui les guettait dans quelques années seulement.

Quand ils se garèrent dans l’allée du garage de la maison – une grande maison qui recouvrait presque entièrement sa parcelle de terrain – Don descendit lestement de la voiture et en fit rapidement le tour pour aider Sarah à sortir. Il la tint par le coude pour la guider dans l’allée, en laissant Gunter au volant à contempler paisiblement un carré de gazon. Carl était déjà là avec sa bande, mais il avait garé sa voiture dans la rue pour laisser la meilleure place à ses parents.

Bien que les biométriques des enfants aient été programmés dans la maison de Don et Sarah, l’inverse n’était pas vrai et Don pressa donc le bouton de sonnette. Emily apparut aussitôt en les regardant avec une certaine inquiétude, puis elle les fit entrer rapidement en jetant un coup d’œil furtif dans la rue, comme si elle craignait que ses voisins n’aient vu le spectacle de sa vieille mère au bras d’un beau jeune homme inconnu.

Don essaya de ne plus y penser, et réussit à dire d’une voix aussi chaleureuse que possible :

— Bon anniversaire, Emily !

Sarah serra sa fille dans ses bras, comme elle le faisait chaque année, puis elle lui dit en souriant :

— Je me rappelle exactement où j’étais quand tu es née.

— Hello, fit Emily.

Don s’attendait à ce qu’elle ajoute « Maman et Papa » à son salut. Le ton un peu plus haut sur la seconde syllabe le laissait espérer. Mais elle ne pouvait pas dire le premier mot sans être obligée de dire l’autre – et il n’avait entendu aucun de ses deux enfants l’appeler « Papa » depuis le rollback.

Cette maison, comme celle de Sarah et Don, avait un escalier qui partait de l’entrée. Emily prit la canne de sa mère et l’aida à gravir les marches. Don les suivit.

— Mamy ! s’écria Cassie qui portait une robe rose à fleurs, et dont les cheveux blonds étaient nattés avec des rubans assortis.

Elle se précipita vers sa grand-mère, et Sarah se baissa autant qu’elle le pouvait pour l’embrasser. Quand elle relâcha Cassie, la fillette regarda Don sans donner du tout l’impression de le reconnaître.

Carl se pencha et souleva sa fille qu’il logea dans le creux de ses bras, la tenant comme on le fait avec un enfant dans un musée pour lui montrer un tableau.

— Cassie, dit Carl, c’est ton grand-père.

Don vit la petite fille froncer les sourcils. Un bras passé autour du cou de son père, elle se pencha vers Don.

— Papy Marcynuk ? dit-elle d’un air très hésitant.

Don eut un serrement de cœur. Gus Marcynuk était le grand-père maternel de Cassie. Il habitait Winnipeg, et cela faisait des années qu’il n’était pas venu à Toronto.

— Non, ma chérie, dit Carl. C’est Papy Halifax.

Cassie fronça encore plus les sourcils et se tourna vers son papa comme pour lire sur son visage s’il n’était pas en train de lui faire une blague. Mais Carl avait l’air très sérieux.

— Non, c’est pas vrai, dit-elle en secouant la tête et faisant voler ses nattes. Papy Halifax est vieux.

Don s’efforça de sourire.

— Si, ma poupée, c’est vrai, c’est bien moi.

Elle pencha la tête. Bien que la voix de Don eût un peu changé, elle devait quand même la reconnaître.

— Qu’est-ce qui est arrivé à tes rides ?

— Elles sont parties.

Cassie leva au ciel ses yeux bleus pour lui faire comprendre qu’il énonçait une évidence. Il poursuivit :

— Il existe un processus… (Il s’arrêta aussitôt. « Processus », « procédé », « technique », « traitement », tous ces mots qu’il aurait utilisés pour en parler à un adulte passaient largement au-dessus de la tête d’une petite fille de quatre ans.) Je suis allé voir un docteur, dit-il, et il m’a fait redevenir jeune.

Cassie ouvrit de grands yeux.

— Ils savent faire ça ?

Il haussa légèrement les épaules.

— Ouaip.

Cassie regarda Sarah, puis se tourna de nouveau vers Don.

— Et Mamy ? dit-elle. Elle va redevenir jeune, elle aussi ?

Don ouvrit la bouche pour répondre, mais Sarah le devança.

— Non, ma chérie.

— Pourquoi pas ? Tu aimes bien avoir toutes ces rides ?

— Cassie ! fit Carl.

Mais Sarah ne se vexa pas.

— J’ai largement mérité chacune d’elles, dit-elle. (Voyant l’expression étonnée de Cassie, elle reprit :) Non, ma chérie, je n’aime pas toutes ces rides. Mais le procédé qui a marché pour ton grand-père n’a pas eu d’effet sur moi.

Don vit Cassie hocher la tête. Il avait peut-être sous-estimé les capacités de compréhension d’un petit enfant.

— C’est triste, dit-elle.

Sarah acquiesça d’un hochement de tête.

Cassie reporta son attention sur son père.

— Papy a l’air plus jeune que toi, dit-elle. (Carl fit la grimace.) Quand je serai vieille, est-ce qu’ils pourront me faire redevenir jeune ?

À son expression, Don vit que son fils s’apprêtait à répondre par la négative, mais ce n’était pas la bonne réponse.

— Oui, dit-il à Cassie. Ils sauront le faire.

D’ici à ce que sa petite-fille en ait besoin, le processus serait devenu banal et bon marché, et Don était heureux rien qu’à cette idée.

Carl semblait avoir atteint la limite de ses forces pour tenir Cassie. Il se baissa et la reposa sur le plancher. Mais Don s’accroupit, le dos tourné vers elle. Il lui lança par-dessus son épaule :

— Ça te plairait de jouer au cheval ?

Cassie grimpa sur son dos et il se redressa. Il se mit à galoper à travers la pièce tandis que Cassie s’agrippait à son cou, et les éclats de rire de sa petite-fille étaient doux à ses oreilles. Là, au moins, pendant quelques minutes, il fut réellement heureux d’avoir accepté ce rollback.