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— Pas de raison particulière.

Sarah songea un instant à en rester là, mais…

Mais, bon sang, Don avait bien sa confidente, après tout…

— Vous croyez que je ne sais pas, c’est ça ?

— Que vous ne savez pas quoi ? demanda Gunter.

— Allons, fit Sarah, je vous en prie… Je suis capable de traduire des messages venus des étoiles, et je n’ai donc pas trop de mal à capter des signaux beaucoup plus proches.

On ne pouvait jamais savoir si un robot croisait votre regard.

— Ah, fit Gunter.

— Vous savez qui c’est ?

Le Mozo secoua sa tête bleue, puis il demanda à son tour :

— Et vous ?

— Non, et je ne veux surtout pas le savoir.

— Si je peux me permettre, quels sont vos sentiments à ce sujet ?

Sarah regarda par la fenêtre – par laquelle on voyait un peu de ciel et les briques rouges de la maison d’à côté.

— Ce n’est pas ce que j’aurais préféré, mais…

Le Mozo ne dit rien, infiniment patient. Sarah finit par ajouter :

— Je sais qu’il a des… (elle hésita entre « désirs » et « besoins », et choisit le second). Et je ne peux pas me transformer en… en gymnaste. Je ne peux pas faire reculer la pendule.

Elle se rendit compte qu’en parlant de cette pendule, elle évoquait une impossibilité du genre « Je ne peux pas arrêter le soleil dans sa course », mais pour Don, les aiguilles – ah, quand avait-elle vu pour la dernière fois des aiguilles sur un cadran d’horloge ? – avaient bien été ramenées longtemps en arrière. Elle secoua la tête.

— Non, je ne peux plus rester au diapason avec lui. (Elle se tut un moment, puis elle leva les yeux vers le robot.) Et vous, dit-elle, quels sont vos sentiments là-dessus ?

— Les émotions ne sont pas mon point fort.

— Non, sans doute.

— Cependant, je préfère que les choses soient… simples.

Sarah hocha la tête.

— Encore un de vos admirables traits de caractère.

— Pendant que nous parlions, j’ai exploré le Web pour trouver des informations sur ce genre de situation. J’avoue volontiers que je ne comprends pas tout, mais… n’êtes-vous pas en colère ?

— Oh, si. Mais pas vraiment – en tout cas, pas beaucoup – contre Don.

— Je ne comprends pas.

— Je suis furieuse contre… contre les circonstances.

— Vous voulez dire le fait que le rollback n’ait pas marché pour vous ?

Sarah détourna de nouveau les yeux. Au bout d’un moment, d’une voix très douce mais très distincte, elle répondit :

— Non, ce n’est pas ça. Ce qui m’a mise en colère, c’est que ça ait marché pour Don. (Elle se tourna de nouveau vers le robot.) Je sais, c’est affreux, n’est-ce pas ? Affreux de ne pas supporter que la personne que j’aime le plus au monde va pouvoir vivre soixante-dix ans de plus. (Elle secoua la tête tant elle était étonnée de ce dont elle était capable.) Mais en fait, c’était parce que je savais ce qui allait arriver. Je savais qu’il me quitterait.

Gunter inclina sa tête sphérique.

— Mais il ne l’a pas fait.

— Non. Et je ne crois pas qu’il le fasse.

Le robot réfléchit un instant avant de dire :

— Je vous rejoins sur ce point.

Sarah haussa légèrement les épaules.

— Et c’est pourquoi il faut bien que je lui pardonne, dit-elle d’une voix douce et distante. Parce que, vous comprenez, je sais au plus profond de moi-même que si la situation avait été inversée, je l’aurais quitté.

— Comment vous sentez-vous ? demanda Petra Jones, le médecin de Rejuvenex, qui était de passage pour faire le check-up de Don.

Sarah n’assistait jamais à ces séances, car c’était plus qu’elle n’en pouvait supporter.

Don savait qu’il souffrait d’une forme d’orgueil assez déplacé. Quand sa mère avait agonisé lentement, il y avait si longtemps de cela, il avait serré les dents. Quand Sarah avait lutté contre le cancer, il avait sauvegardé les apparences en cachant du mieux qu’il pouvait sa douleur et ses craintes à sa femme et à ses enfants. Il était bien le fils de son père, convaincu que demander de l’aide était un signe de faiblesse. Mais là, il en avait vraiment besoin.

— Je… je ne sais pas, dit-il à voix basse.

Il était assis à un bout du canapé, tandis que Petra, vêtue d’un tailleur orange très chic, était installée à l’autre bout.

— Quelque chose qui ne va pas ? demanda-t-elle en se penchant vers lui, ce qui fit cliqueter les perles de ses dreadlocks.

Don leva la tête. Il arrivait juste à voir Sarah et Gunter qui discutaient dans le bureau à l’étage.

— Je, hem… je ne me sens pas tout à fait moi-même ces derniers temps.

— De quelle façon ? demanda Petra, avec son léger accent chantant de Géorgie.

Il respira un grand coup avant de dire :

— J’ai fait… des choses inhabituelles… Le genre de choses que je n’aurais jamais imaginé faire.

— Quoi, par exemple ?

Il détourna les yeux.

Petra hocha la tête d’un air entendu.

— Votre libido est forte ?

Don la regarda sans rien dire.

Elle hocha de nouveau la tête.

— C’est très classique. Le niveau de testostérone baisse avec l’âge, mais un rollback le relève fortement. Cela peut avoir un effet sur le comportement.

Ça, vous pouvez le dire… songea Don.

— Mais je ne me souviens pas d’avoir été comme ça la première fois que j’ai eu vingt-cinq ans. Bien sûr, à l’époque…

Il s’interrompit.

— Oui, quoi ? fit-elle.

— J’étais plus gros. Je pesais vingt kilos de plus que maintenant.

— Ah, oui, ce pourrait être un autre facteur de déséquilibre hormonal. Mais nous pouvons procéder à quelques ajustements. Y a-t-il autre chose que vous ayez remarqué ?

— Eh bien, ce n’est pas seulement que je me sens, hem… (il chercha un mot approprié)… excité, dit-il. Je me sens aussi romantique.

— Encore une fois, c’est une question d’hormones. Le corps doit s’adapter au rollback. D’autres problèmes ?

— Non, répondit-il.

Il avait déjà eu assez de mal à parler de ce qui lui arrivait avec Lenore. Évoquer cet autre aspect serait…

— Pas de dépression ? demanda Petra. Pas d’idées de suicide ?

Il ne put croiser son regard.

— Eh bien, je…

— Les niveaux de sérotonine, dit-elle. Eux aussi peuvent se dérégler complètement, avec tous les changements apportés à votre métabolisme par le processus.

— Ce n’est pas seulement chimique, dit Don. J’ai eu quelques pépins. Je… j’ai essayé de trouver du travail, par exemple, mais personne ne veut de moi.

Petra écarta l’objection d’un petit geste de la main.

— Le fait que votre dépression puisse être liée à des événements factuels ne veut pas dire qu’il ne faut pas la soigner. Vous a-t-on déjà prescrit des antidépresseurs, autrefois ?

Don fit signe que non.

Elle se leva et ouvrit sa sacoche en cuir.

— Très bien. Nous allons faire une prise de sang, et nous verrons où en sont exactement vos niveaux d’hormones. Je suis sûre que nous allons pouvoir régler tout ça.

34.

Don était chez lui, allongé dans le lit à côté de Sarah, quand il se réveilla au milieu d’un rêve. Sarah et lui se tenaient de chaque côté d’un immense précipice, et le gouffre ne cessait de s’élargir, comme si des forces géologiques opéraient en temps réel, et…