Выбрать главу

Le fait que ce fût son anniversaire aujourd’hui était une coïncidence malheureuse, il s’en rendait bien compte, car désormais, chacun des anniversaires qui l’attendaient lui rappellerait le jour où il avait rompu avec Lenore.

Il arriva au Duke of York vers midi, et tomba sur Gabby.

— Salut, Don, lui dit-elle en souriant. Merci d’être venu nous aider à la banque le week-end dernier.

— De rien, fit-il. Ça m’a fait plaisir.

— Lennie est déjà là. Elle est dans le coin douillet.

Don se dirigea vers la petite salle. Lenore était en train de consulter son datacom, mais elle leva les yeux à son approche. Elle se leva aussitôt et se dressa sur la pointe des pieds pour l’embrasser.

— Joyeux anniversaire, mon chéri ! déclara-t-elle.

— Comment… comment l’as-tu su ?

Elle eut un petit sourire malicieux – mais, bien sûr, on pouvait trouver pratiquement toutes les informations en ligne, de nos jours. Dès qu’ils furent assis, Lenore lui tendit un gros paquet enveloppé de papier bleu métallisé.

— Joyeux anniversaire, répéta-t-elle.

Don regarda le paquet.

— Tu n’aurais vraiment pas dû !

— Quel genre de petite amie oublie l’anniversaire de son chéri ? Allez, vas-y, ouvre-le.

Il obéit. Le paquet contenait un tee-shirt beige. Sur le devant était imprimé le symbole classique d’interdiction, un cercle rouge barré, avec à l’intérieur le mot AZERTY écrit sous forme de lettres de Scrabble.

Don en resta bouche bée. La première fois qu’ils avaient joué ensemble au Scrabble, il avait dit à Lenore qu’il désapprouvait la présence du mot azerty dans l’Officiel du Scrabble. Il ne l’avait jamais vu écrit autrement qu’en majuscules, et les mots en majuscules n’étaient pas autorisés au Scrabble. Tous les dictionnaires qu’il avait consultés étaient d’accord avec lui, sauf la troisième édition du Webster’s international non abrégé qui indiquait dans une note : « souvent écrit en minuscules ». Mais le Webster’s était notoirement laxiste, et l’ODS ne le suivait pas sur bien des points, Dieu merci… Toujours est-il que tant de parties de tournoi avaient été gagnées grâce à azerty que personne ne voulait en reconnaître le caractère illicite. Comme pour sa campagne en faveur de « Gunter », Don n’avait pas réussi à convertir grand monde.

— Merci ! dit-il. C’est absolument fabuleux.

Lenore avait un grand sourire.

— Contente qu’il te plaise.

— Oh, oui, il me plaît. Je l’aime beaucoup !

— Et moi, je t’aime, dit-elle.

C’était la première fois qu’elle prononçait ces mots. Elle tendit le bras pour lui prendre la main.

Les feuilles des arbres d’Euclid Avenue avaient changé de couleur, passant à un mélange d’orange, de jaune et de brun. L’hiver serait bientôt là. Don et Lenore marchaient tranquillement en se tenant par la main. Comme d’habitude, Lenore parlait de tout et de rien, mais Don était trop préoccupé pour dire grand-chose, car il savait que c’était la dernière fois qu’il allait chez elle.

Le vent balayait les feuilles mortes mêlées aux détritus sur le trottoir craquelé. Ils passèrent devant des maisons aux fenêtres barrées de planches, et un poivrot s’était installé près d’une grille d’égout. Ils arrivèrent enfin devant chez Lenore et passèrent sur le côté de la maison décrépite pour descendre dans son appartement. Ils retirèrent leurs blousons et elle s’occupa de faire du café tandis que Don jetait un coup d’œil dans la pièce. Lenore n’avait pas beaucoup d’objets personnels. Il savait que le mobilier miteux faisait partie de la location. Les quelques rares biens qu’elle possédait auraient probablement pu tenir dans une ou deux valises. Il hocha la tête avec étonnement en se souvenant du temps où, lui aussi, avait eu une vie aussi simple et sans entraves.

— Tiens, dit Lenore en lui tendant une tasse fumante. Ça devrait te réchauffer un peu.

— Merci.

Elle se percha sur l’accoudoir du canapé.

— Et je connais encore autre chose qui devrait te réchauffer, monsieur Joyeux Anniversaire, dit-elle avec des yeux qui pétillaient.

Mais il secoua la tête.

— Heu, si on jouait plutôt au Scrabble ?

— Sérieusement ?

Il hocha la tête.

Elle le regarda comme s’il venait d’une autre planète, mais elle finit par sourire en haussant les épaules.

— Bon, d’accord, si tu préfères.

Ils s’installèrent sur le tapis élimé et elle se servit de son datacom pour projeter un plateau de Scrabble holographique. Elle tira un E tandis que Don avait un J, et c’est donc elle qui commença.

Alors que la partie était bien avancée, Don vit une occasion irrésistible. Elle ne lui rapporterait pas grand-chose, et l’idée de gâcher un S lui était désagréable, mais la tentation était trop forte. Lenore avait placé TROT, et Don posa un « AS » devant et un « OP » derrière.

En plissant le nez, elle dit :

— Hem, je ne crois pas que ce soit vraiment dans le dictionnaire…

— Non, je sais bien. C’est juste que je voulais… (Il essaya de formuler ça correctement.) Pendant le restant de ma vie, à chaque fois que j’entendrai ce mot, je penserai à toi. Plus que tout ce que les médecins de Rejuvenex ont pu me faire, plus que n’importe quelle phase de mon rollback, c’est toi qui m’as fait me sentir vraiment jeune, c’est toi qui m’as fait revivre.

Elle eut ce sourire radieux qui n’appartenait qu’à elle.

— Je t’aime, dit-elle, de tout mon cœur.

Il répondit en essayant d’être à la hauteur du sentiment qu’elle éprouvait :

— Et moi aussi, je t’aime, Lenore. (Il regarda son beau visage, ses taches de rousseur, ses yeux verts, ses cheveux roux orangés, en essayant de les graver dans sa mémoire.) Et, ajouta-t-il avec une conviction absolue, je t’aimerai toujours.

Elle sourit de nouveau.

— Mais, poursuivit-il, je… Je suis désolé, ma chérie, mais… (Il déglutit et s’obligea à croiser son regard.) Mais c’est la dernière fois que nous pouvons nous voir.

Lenore ouvrit de grands yeux.

— Quoi ?

— Je suis navré.

— Mais pourquoi ?

Don contempla le tapis usé.

— Je suis aussi adulte qu’un être humain puisse l’être, et il est temps que je me comporte comme tel.

— Mais, Don…

— J’ai une obligation envers Sarah. Elle a besoin de moi.

Lenore se mit à pleurer doucement.

— Moi aussi, j’ai besoin de toi.

— Je sais, dit Don à voix basse. Mais je ne peux pas faire autrement.

La voix de Lenore se brisa.

— Oh, Don, je t’en supplie, ne fais pas ça.

— Je ne peux pas t’apporter ce dont tu as besoin, t’offrir ce que tu mérites. J’ai… Je suis déjà engagé.

— Mais on est si bien ensemble…