Выбрать главу

— Peut-être. C’est certainement une interprétation possible. Mais souviens-toi, ils ont apprécié mes réponses, et bien que je sois prête à concéder des droits au parent qui ne porte pas l’enfant, le reste de mes réponses démontrait clairement que j’étais favorable à ce qu’on ait le choix d’avorter.

— En quoi cela peut-il leur plaire ?

— Ils voulaient peut-être voir si nous avions transcendé Darwin.

— Hein ?

— Tu sais, s’assurer que nous ne sommes plus motivés par des gènes égoïstes ? D’une certaine façon, être en faveur de l’avortement est une position antidarwinienne, car elle tend à réduire ton succès dans la reproduction, dans la mesure où tu élimines des fœtus normaux que tu aurais pu élever jusqu’à l’âge adulte moyennant un coût raisonnable. Cette attitude pourrait être un marqueur psychologique indiquant que tu n’es plus l’esclave des concepts darwiniens, que tu t’es libéré de la programmation génétique aveugle, que tu as cessé d’être une forme de vie dominée par des gènes qui ne pensent qu’à une chose : se reproduire eux-mêmes.

— Je comprends, fit Don en regardant maintenant la fenêtre qui s’autopolarisait pour les protéger de la lumière du soleil naissant. Si tout ce qui compte pour toi, ce sont tes propres gènes, alors, par définition, tu te moques bien des extraterrestres.

— C’est ça, dit Sarah. Tu remarqueras qu’ils ont demandé qu’on remplisse un millier de questionnaires. Cela indique qu’ils savaient bien que nous n’aurions pas un point de vue unique. Tu te souviens quand tu me disais que les espèces extraterrestres deviendraient des consciences de ruche ou des civilisations totalitaires, parce qu’une fois un certain niveau technologique atteint, elles ne pourraient pas survivre si elles laissaient se développer le genre de mécontentement qui conduit au terrorisme. Mais il doit exister une troisième solution – meilleure que d’être un Borg ou de vivre sous le joug d’une police des pensées. Les extraterrestres de Sigma Draconis savaient apparemment qu’ils auraient affaire à des individus complexes et contradictoires. Après avoir regardé le millier de réponses, ils ont décidé que les humains en général ne les intéressaient pas… Ils n’ont voulu communiquer qu’avec un seul individu un peu bizarre. (Elle s’arrêta un instant.) Je ne peux pas vraiment dire que je sois surprise, parce que la plupart des jeux de réponses reflétaient effectivement un certain ethnocentrisme, une préoccupation exclusive pour son propre matériau génétique, et ainsi de suite.

— Mais te connaissant, je sais bien que le tien ne reflétait rien de tout cela. Et c’est pour cette raison qu’ils veulent que tu sois la mère adoptive, c’est bien ça ?

— Ce qui m’étonne à un point que tu ne saurais imaginer, dit Sarah.

Mais Don secoua la tête.

— Tu ne devrais pas être étonnée, tu sais. Je t’ai dit il y a bien longtemps que tu étais spéciale. Tu l’es vraiment. Et le SETI, par sa nature même, transcende toutes les frontières des espèces. Tu te souviens de cette conférence à laquelle tu avais assisté à Paris, autrefois ? Comment ça s’appelait, déjà ?

— Je ne…

Gunter vint à leur secours.

— « Coder l’altruisme : art et science de la rédaction d’un message interstellaire. » (Don regarda le Mozo qui haussa ses épaules mécaniques.) J’ai lu le CV de Sarah, naturellement.

— « Coder l’altruisme », répéta Don. Exactement. C’est le principe fondamental du SETI. Et toi, eh bien, tu es la seule scientifique du SETI dont on ait envoyé les réponses à Sigma Draconis. Dans ces conditions, est-ce étonnant si les destinataires, qui sont par définition des gens qui pratiquent aussi le SETI, ont trouvé que c’étaient tes réponses qui se rapprochaient le plus de ce qu’ils souhaitaient ?

— Non, sans doute, mais…

— Oui ?

— J’ai largement passé l’âge d’élever des enfants. Ce n’est pas que ce soit anormal, d’ailleurs, dans un sens cosmique.

Don fronça les sourcils.

— Hein ?

— Je veux dire que Cody McGavin avait probablement raison. Les Dracons, et pratiquement toutes les espèces qui survivent à l’adolescence technologique, vivent sans doute très longtemps, ou sont peut-être même carrément immortels. Et à moins d’être indéfiniment expansionniste et de se déployer sans cesse pour conquérir de nouvelles planètes, on doit rapidement manquer d’espace vital si on n’arrête pas de se reproduire tout en vivant éternellement. Les Dracons ont peut-être pratiquement cessé de se reproduire.

— Oui, ça paraît logique.

Sarah haussa tout à coup les sourcils.

— En fait, c’est peut-être bien ça, la troisième solution !

— Quoi ?

— L’évolution est un processus aveugle. Elle n’a aucun but, mais cela ne veut pas dire qu’elle n’a pas de conséquence logique. Elle sélectionne en favorisant l’agressivité, la force physique, l’instinct de protection de sa progéniture et de sa famille – toutes choses qui contribuent au bout du compte à ce que les espèces technologiques finissent par s’autodétruire. Alors, le paradoxe de Fermi n’en est peut-être pas vraiment un. C’est peut-être simplement le résultat naturel de l’évolution, qui finit par conduire à la maîtrise technologique, ce qui procure un avantage pour la survie jusqu’à un certain point –, mais une fois que les technologies de destruction massive deviennent accessibles, le profil psychologique que le moteur darwinien impose aux formes de vie mène inexorablement à leur anéantissement.

— Mais si tu cesses de te reproduire…

— Exactement ! Si tu décides de sortir du processus de l’évolution, si tu arrêtes de te battre pour produire toujours plus de copies de ton ADN, alors tu te débarrasses d’une grande partie de l’agressivité ambiante.

— Ça me semble nettement préférable à la conscience de ruche ou au totalitarisme, dit Don. Mais… attends un peu ! D’une certaine façon, ils sont en train de se reproduire, en nous envoyant leur ADN.

— Mais deux individus seulement.

— Oui, mais qui sait, ils sont peut-être capables de se multiplier comme des lapins. Ça pourrait être une méthode d’invasion.

— Il n’y a aucun souci à se faire sur ce point, dit Gunter. Les deux individus en question sont du même sexe.

— Mais vous avez dit que les Dracons donneurs étaient intimement liés… (Don s’arrêta.) Ah, oui, bien sûr. J’ai l’esprit un peu étroit. Tiens, tiens, tiens… (Il se tourna vers Sarah.) Alors, qu’est-ce que tu comptes faire ?

— Je… je n’en sais rien. Ce n’est pas comme si la matrice artificielle et la couveuse étaient le genre de trucs qu’on peut bricoler tous les deux dans le garage.

— Mais si tu l’annonces au monde entier, les gouvernements vont vouloir prendre le contrôle du processus, et, excuse-moi, mais ils vont sans doute essayer de te squeezer.

— Précisément, dit Sarah. Les Dracons comprennent sûrement que l’éducation d’un enfant est une combinaison de nature et de nourriture. Ils voulaient un genre particulier de personne pour prendre la responsabilité des… des Draconnets. Et puis, si jamais le génome venait à être diffusé, qui sait si d’autres personnes ne créeraient pas des Dracons rien que pour pouvoir les disséquer, ou les mettre dans des zoos ?

— Mais une fois qu’ils seront nés, n’importe qui pourrait voler leur ADN, tu ne crois pas ? En récupérant simplement quelques-unes de leur cellules.

— Ils pourraient sans doute se les procurer, mais pas les plans de la couveuse ni toutes les autres informations nécessaires. Sans accès à l’intégralité du message, ce serait très difficile de créer un Dracon. (Elle réfléchit un instant.) Non, il faut que nous gardions tout ça secret. C’est à moi qu’ils ont confié ces informations, et je suis dans l’obligation de les protéger.