Don se frotta les yeux en bâillant.
— Peut-être… mais il y a des gens qui vont dire qu’il est de ton devoir de diffuser toute l’information. Ils diront que ta principale obligation est envers ta propre espèce.
Mais Sarah secoua la tête.
— Non, fit-elle. Pas du tout. C’est bien là tout le fond de l’affaire.
38.
— C’est très important, lui dit Sarah quelques heures plus tard, que tu retiennes par cœur la clef de décodage – pas la clef en entier, bien sûr, mais la façon de la récupérer.
Don fit signe qu’il comprenait. Ils étaient en train de prendre un petit déjeuner tardif dans la cuisine. Il avait enfilé un tee-shirt et un jean. Sarah était en robe de chambre et en pantoufles.
— Mon questionnaire avait le numéro 312 sur les mille envoyés, dit-elle, et j’ai modifié au tout dernier moment ma réponse à l’une des questions. C’était la question 46, et la réponse que j’ai réellement envoyée était « non ». Tu as enregistré tout ça ?
— Trois cent douze, quarante-six, et non. Est-ce que je peux le noter quelque part ?
— Oui, bien sûr, du moment que tu ne mets aucune explication avec.
— Alors, la quarante-six était la question magique, c’est ça ? Celle qui comptait le plus pour les Dracons ?
— Comment ? Ah, non, non. C’est simplement celle pour laquelle j’ai modifié ma réponse. La clé est formée de mes quatre-vingt-quatre réponses telles qu’elles ont été transmises. Si tu as en as besoin, tu pourras la reconstituer en récupérant la copie d’archives de ce qui est censé avoir été envoyé à Sigma Draconis, et en appliquant ce simple petit changement.
— J’ai tout compris.
— Et maintenant, fais bien attention de garder le secret !
Il regarda sa femme assise à table en face de lui. Elle semblait nettement plus âgée, et ce n’était pas seulement parce qu’elle n’avait pas beaucoup dormi. Ces quelques dernières semaines, elle avait beaucoup vieilli.
— Je, hem… Je ne crois pas que nous puissions le cacher à tout le monde, dit-il. Je crois vraiment que tu devrais le dire à Cody McGavin.
Sarah tenait son mug de café serré dans ses mains.
— Pourquoi ?
— Parce que c’est l’un des hommes les plus riches de la planète. Et un projet comme celui-là va exiger d’avoir des poches bien garnies. Synthétiser l’ADN, construire la matrice et la couveuse, synthétiser les aliments, et plein d’autres choses encore, j’en suis sûr. Tu vas avoir besoin de quelqu’un comme lui à bord.
Sarah ne disait rien.
— Il faut que tu le dises à quelqu’un, insista Don. Tu vas…
Il s’interrompit, mais elle hocha la tête.
— Je vais bientôt mourir. Je sais. (Elle se mit à réfléchir, et Don se garda bien de l’interrompre. Au bout d’un moment, elle dit :) Oui, tu as raison. Appelons-le.
Don se leva pour aller chercher le combiné, et lui dit à qui il voulait parler. Au bout de quelques sonneries, une voix claire et décidée répondit :
— McGavin Robotics. Bureau du président.
— Bonjour, Miss Hashimoto, dit Don. C’est Donald Halifax à l’appareil.
La voix se fit un peu plus froide. Après tout, ils s’étaient affrontés plusieurs fois lors de ses nombreuses tentatives pour joindre McGavin au printemps dernier.
— Oui, Mr Halifax ?
— Ne vous inquiétez pas. Je ne vous appelle pas au sujet du rollback. Et en fait, ce n’est pas du tout moi qui vous appelle. J’ai simplement composé le numéro pour ma femme Sarah. Elle aimerait parler à Mr McGavin à propos du message des Dracons.
— Ah, fit Miss Hashimoto. Très bien. Ne quittez pas, je vous prie. Je transfère votre appel.
Don couvrit le combiné avec la main et dit à Sarah.
— Elle va te le passer.
Sarah lui fit signe de lui donner le téléphone, mais Don leva la main pour lui demander de patienter. Au bout d’un moment, l’accent familier de Boston se fit entendre.
— Cody McGavin à l’appareil.
— Mr McGavin, dit Don en se régalant d’avance. Merci de patienter, je vais vous passer le professeur Halifax.
Il se mit à compter silencieusement jusqu’à dix avant de tendre l’appareil à Sarah, qui souriait jusqu’aux oreilles.
— Bonjour, Mr McGavin, dit-elle.
Don se rapprocha suffisamment pour entendre les deux côtés de la conversation. Ce n’était pas difficile, car le combiné était passé automatiquement au volume maximum quand Sarah l’avait pris.
— Sarah, fit McGavin, comment allez-vous ?
— Je vais bien. Et j’ai une grande nouvelle à vous annoncer : j’ai décodé le message des Dracons.
Don crut entendre McGavin sauter littéralement en l’air.
— Formidable ! Qu’est-ce que dit le message ?
— Je… je ne peux pas vous le dire au téléphone.
— Oh, voyons, Sarah…
— Non, non. On ne sait jamais qui peut écouter.
— Ah, bon sang… Bon, d’accord, je vous fais envoyer un avion et…
— Hem, ne pourriez-vous pas plutôt venir ici ? Je ne me sens pas trop la force de voyager, ces temps-ci.
Don entendit distinctement McGavin relâcher son souffle.
— Notre assemblée générale d’actionnaires a lieu dans deux jours. Je ne peux absolument pas venir avant.
— Très bien, fit Sarah. Que diriez-vous de vendredi, alors ?
— Oui, je pourrais… mais pourquoi ne pas m’envoyer simplement la clef de transcription par e-mail, pour que je puisse regarder le message ici ?
— Non. Je ne suis pas prête à la divulguer.
— Quoi ?
— Le message était destiné à moi seule, dit Sarah.
Il y eut un long silence. Don ne pouvait qu’imaginer l’expression d’incrédulité sur le visage de McGavin.
— Sarah, heu… Don est-il toujours à côté de vous ? Je, hem, j’aimerais lui parler un instant…
— Non, je ne suis pas sénile, Mr McGavin. Ce que je vous dis est la pure vérité. Si vous voulez savoir ce que le message contient, vous allez devoir venir ici.
— Bon, très bien, mais…
— Et ne dites à personne que j’ai trouvé la clef de décodage. Vous devez me promettre de garder le secret, au moins jusqu’à ce que vous m’ayez vue.
— D’accord. Donnez-moi votre adresse…
Après que Sarah eut raccroché, Don jeta un coup d’œil circulaire.
— Gunter fait tellement bien le ménage que je ne pense pas qu’on ait grand-chose à faire en prévision de la visite de McGavin.
— Si, dit Sarah, il y a quand même une chose. Je voudrais que tu répondes au questionnaire des Dracons.
Don fut surpris.
— Pour quoi faire ?
Elle n’osa pas tout à fait croiser son regard.
— Nous allons beaucoup en parler avec McGavin. Ce serait bien que tu te familiarises avec.
— Je vais le parcourir.
— Non, pas seulement le lire, insista-t-elle. J’aimerais que tu le remplisses.
Il haussa les sourcils.
— Bon, si tu veux.
— Oui, j’y tiens beaucoup. Va chercher ton datacom. Tu peux télécharger une copie depuis le site officiel.
— Entendu, dit-il.
Ce n’était pas comme s’il avait grand-chose d’autre à faire.
Une fois le questionnaire chargé, il alla s’allonger sur le canapé et commença à répondre aux questions. Cela lui prit presque deux heures, mais il put enfin crier à Sarah :