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Trudeau avait à l’époque vingt-quatre ans de moins que Don aujourd’hui, mais c’était un homme épuisé et usé. Don, lui, était plein d’énergie et avait plus d’années devant lui qu’il ne pouvait réellement concevoir. Ces années futures étaient également abstraites, comme les extraterrestres autour de Sigma Draconis. Elles deviendraient plus concrètes à mesure qu’elles défileraient, bien sûr, mais pour l’instant, elles lui paraissaient irréelles.

Don sortit du terrain de sport en longeant l’arrière du vaste bâtiment sombre du collège, et il poursuivit sa promenade. Un passant se dirigeait vers lui, et Don ressentit une légère poussée d’adrénaline – la peur du vieil homme à l’idée de ce qu’une rencontre nocturne pourrait entraîner. Mais quand le passant fut plus près, Don vit que c’était un homme d’une cinquantaine d’années au crâne chauve, et qui avait l’air très inquiet. Pour lui, c’était la vue de ce jeune homme d’une vingtaine d’années qui était effrayante. Sarah avait raison… Tout était relatif.

Il savait bien qu’elle n’hésiterait pas un instant à s’occuper de créer et d’élever les petits Dracons, si elle en était capable. Et il savait lui-même qu’il n’aurait pas toutes ces années supplémentaires devant lui s’il n’y avait pas eu Sarah. Il devait donc peut-être bien ça à sa femme, et également à McGavin, puisque c’était le milliardaire, après tout, qui avait rendu tout cela possible.

Il continua de marcher et aperçut bientôt la petite supérette. C’était un 7-à-Onze, un de ces innombrables petits magasins qui faisaient partie d’une grande chaîne. Don était assez vieux pour se souvenir du temps où ils étaient effectivement ouverts strictement de sept heures du matin à onze heures du soir, et non pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre comme aujourd’hui. Sans doute, si c’était à refaire, les directeurs de la chaîne choisiraient un nom un peu moins restrictif. Mais si un tel géant de la distribution n’avait pas réussi à prévoir ce que l’avenir lui réservait, ni qu’il aurait tellement plus de temps à gérer, comment lui, Don, en serait-il capable ? Et pourtant, ils avaient changé, ils s’étaient adaptés. Et tout en franchissant la porte vitrée, sortant de l’ombre pour pénétrer dans la lumière, Don Halifax se dit qu’après tout, il pourrait peut-être y parvenir, lui aussi.

40.

Quand Don fut de retour chez lui, Sarah était dans le cabinet de toilette et se préparait à se coucher. Il l’y rejoignit, s’approchant d’elle par-derrière tandis qu’elle se penchait au-dessus du lavabo, et il la prit dans ses bras avec une douceur infinie.

— Hello, dit-elle.

— D’accord, répondit-il. Je vais le faire.

— Tu vas faire quoi ?

— M’occuper des enfants Dracons.

Avec précaution, Sarah pivota entre ses bras pour lui faire face.

— Vraiment ? fit-elle.

— Oui, pourquoi pas ?

— Il ne faut pas que tu le fasses simplement parce que tu te crois obligé, tu sais. Tu es bien sûr que tu veux le faire ?

— Comment pourrais-je être sûr de quoi que ce soit ? Je vais vivre peut-être jusqu’à cent soixante ans. C’est un terrain parfaitement inconnu pour l’espèce humaine. J’en sais à peu près autant sur ce qui m’attend que… que sur l’effet que ça fait d’être une chauve-souris. Mais il faut que je fasse quelque chose, et comme ton petit-fils me le disait ce soir, il faut que ce soit quelque chose d’important.

— Percy t’a dit ça ?

Don hocha la tête, et Sarah parut impressionnée.

— N’empêche, dit-elle, il faut vraiment que tu le veuilles. Tout enfant qui naît a le droit d’être désiré.

— Je sais. Et c’est ce que je désire vraiment faire.

— Oui ?

Il sourit.

— Absolument. Et puis comme ça, au moins, je n’aurai pas à m’inquiéter que ces gamins héritent de mon gros nez.

Don était convaincu que ses voisins ne pouvaient plus guère être surpris par ce qui se passait dans sa maison, mais il se demanda s’ils avaient remarqué la luxueuse limousine qui venait de se garer dans l’allée. Et dans ce cas, ils avaient peut-être fait un zoom sur Cody McGavin qui en descendait, et lancé un programme pour l’identifier. Sans aucun doute l’homme le plus riche qui ait jamais posé le pied dans Betty Ann Drive.

Don ouvrit la porte d’entrée et regarda s’approcher McGavin à travers l’écran grillagé. Les mailles métalliques le divisaient en pixels.

— Bonjour, Don, fit McGavin avec son accent de Boston. Ça me fait très plaisir de vous voir.

— Bonjour, répondit Don en ouvrant toute grande la porte. Si vous voulez bien vous donner la peine d’entrer ?

Il débarrassa McGavin de son lourd manteau d’hiver et le regarda retirer ses chaussures de luxe, puis il le conduisit en haut des marches.

Sarah était installée sur le canapé du salon. Don vit une expression fugitive passer sur le visage de McGavin, comme si celui-ci était étonné de constater à quel point elle avait vieilli depuis la dernière fois qu’il l’avait vue.

— Bonjour, Sarah, dit-il.

— Hello, Mr McGavin.

Gunter fit son apparition en sortant de la cuisine.

— Ah, fit McGavin. Je vois que vous avez reçu le Mozo que je vous ai fait envoyer.

— Nous l’appelons Gunter, dit Sarah.

McGavin haussa les sourcils.

— Comme le robot de Perdus dans l’espace ?

Don en fut ébahi.

— Oui, c’est bien ça.

— Gunter, dit Sarah de sa voix chevrotante, j’aimerais vous présenter Cody McGavin. Il dirige l’entreprise qui vous a fabriqué.

Don s’assit à côté de Sarah et observa la scène avec intérêt : la créature qui rencontre son créateur.

— Bonjour, Mr McGavin, dit Gunter en tendant une main mécanique bleue. C’est un très grand plaisir de vous rencontrer.

— Pour moi aussi, dit McGavin en lui serrant la main. J’espère que vous vous occupez bien du Dr Halifax.

— C’est un cadeau du Ciel, dit Sarah. N’est-ce pas, Gunter ?

— Je fais de mon mieux, dit le Mozo à McGavin. Vous savez, j’étais avec elle quand elle a eu sa révélation. J’en suis très fier.

— Bravo, mon garçon ! dit McGavin, qui ajouta en se tournant vers les Halifax : Ce sont des machines merveilleuses, vous ne trouvez pas ?

— Oh, si, fit Sarah. Tenez, asseyez-vous, je vous en prie.

McGavin s’approcha du fauteuil relax.

— C’est bien, chez vous, dit-il en s’installant.

Don réfléchit un instant à cette remarque. McGavin était connu pour être un grand philanthrope. Don avait vu des photos de lui visitant des taudis dans des pays du tiers-monde, et il se rendit compte, avec un certain sentiment d’humilité, que sa propre maison s’en rapprochait beaucoup plus que de la luxueuse propriété de McGavin à Cambridge. Ici, les murs portaient des éraflures, les plâtres étaient ébréchés, la moquette élimée et tachée. Le canapé, avec sa forme imposante, avait peut-être été à la mode au siècle dernier, mais il semblait terriblement vieillot aujourd’hui, et son tissu lie-de-vin était usé par endroits.

— Très bien, dit enfin Sarah, allons droit au but, comme vous disiez la première fois que nous nous sommes vus. Ainsi que je vous l’ai indiqué au téléphone, j’ai réussi à décrypter le message des Dracons. Une fois que je vous aurai expliqué ce qu’il contient, j’espère que vous serez d’accord avec moi qu’il ne faut pas rendre cette réponse publique.