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McGavin réfléchit encore un instant.

— Très bien, dit-il enfin en les regardant l’un et l’autre. Je marche avec vous.

41.

Quelques jours plus tard, alors que Don était monté dans le bureau pour voir Sarah, il constata qu’elle n’y était pas. Il alla jeter un coup d’œil dans la chambre et vit qu’elle était allongée dans l’obscurité.

— Sarah… dit-il doucement.

C’était un choix délicat. Trop doucement, et elle ne l’entendrait pas, même si elle était réveillée ; trop fort, et il risquerait de la réveiller si elle dormait.

Mais quelquefois, on arrive à trouver juste le bon équilibre.

— Hello, mon chéri, dit-elle.

Mais sa voix était très faible.

Il alla aussitôt s’agenouiller près du lit.

— Comment te sens-tu ?

Il fallut quelques secondes à Sarah pour répondre, et Don sentit son pouls battre à chacune d’elles.

— Je… je ne sais pas très bien.

Don jeta un coup d’œil par-dessus son épaule.

— Gunter ! cria-t-il.

Il entendit le Mozo monter l’escalier avec une précision de métronome. Il se tourna de nouveau vers Sarah.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-il.

— Je… j’ai la tête qui tourne, dit-elle. Je me sens… faible.

Don se tourna vers le visage plein de sollicitude de Gunter, qui l’avait rejoint.

— Comment va-t-elle ?

— Sa température est de 38,1 degrés, dit Gunter, et son pouls est à 84. Je le trouve assez irrégulier.

Don prit la fine main de Sarah dans la sienne.

— Mon Dieu… dit-il. Il faut qu’on t’emmène à l’hôpital.

— Non, fit Sarah. Non, ce n’est pas nécessaire.

— Mais si, dit Don, il le faut.

La voix de Sarah se fit un peu plus ferme.

— Qu’en dites-vous, Gunter ?

— Vous n’êtes pas en danger dans l’immédiat, répondit le robot. Mais vous devriez consulter votre médecin dès demain.

Elle hocha la tête d’une façon presque imperceptible.

— Je peux faire quelque chose pour toi maintenant ? demanda Don.

— Non, fit Sarah. (Elle hésita un instant, et Don s’apprêtait à parler quand elle ajouta :) Mais…

— Oui ?

— Reste à côté de moi un moment, mon chéri.

— Bien sûr.

Avant même que Don ait pu faire un geste, Gunter était parti comme le vent. Un instant plus tard, il revint avec le fauteuil à roulettes dont Sarah se servait dans le bureau. Le Mozo le posa à côté du lit et Don put s’asseoir.

— Merci, dit Sarah au robot.

Le Mozo inclina la tête. Sa bouche évoquait un électroencéphalogramme plat.

Le lendemain matin, Sarah était installée sur le canapé du salon, occupée à rédiger sur son datacom un brouillon de réponse aux extraterrestres. Cody McGavin avait promis de s’occuper de la faire transmettre.

Pour que les Dracons sachent que son message venait bien du destinataire qu’ils avaient désigné, elle le coderait en utilisant la même clef que la leur. Pour l’instant, elle se servait du système de notation en anglais qu’elle avait mis au point. Plus tard, elle ferait tourner un programme afin de traduire le message en idéogrammes dracons.

!! [émetteur] [durée de vie] [récepteur] [durée de vie]

[récepteur] [durée de vie]

[émetteur] [durée de vie] = [fin]

Tout en griffonnant le pseudocode, une version plus courante lui venait à l’esprit : Je me suis rendu compte que ma vie est beaucoup plus courte que la vôtre. Votre existence dure indéfiniment, mais la mienne touche à sa fin.

Elle dirait dans son message aux Dracons que, bien qu’elle ne puisse faire personnellement ce qu’ils lui avaient demandé, elle trouverait quelqu’un digne de lui succéder, et qu’ils pouvaient s’attendre à recevoir plus tard des rapports de leurs représentants sur la Terre.

Elle regarda les mots et les symboles qu’elle avait écrits pour l’instant. Le datacom avait converti son écriture tremblante en caractères bien formés.

Mais la mienne touche à sa fin…

Elle avait vécu près de quatre-vingt-dix ans, dont soixante ans de mariage. Qui pouvait prétendre que ce n’était pas assez ? Et pourtant…

Et pourtant.

Une pensée la traversa, un souvenir de son premier rendez-vous avec Don, quand ils étaient allés voir ce film de Star Trek – celui avec les baleines, Don saurait dire le numéro. C’était drôle comme elle arrivait à se souvenir des choses anciennes, alors qu’elle oubliait ce qu’elle venait de faire à l’instant. Le générique de début lui revenait parfaitement en mémoire, avec cet écran qui disait :

Toute l’équipe de Star Trek dédie ce film aux hommes et aux femmes de la navette Challenger, dont l’esprit courageux survivra jusqu’au XXIIIe siècle et au-delà…

Sarah se souvenait aussi de l’autre catastrophe en 2003, quand la navette Columbia s’était désintégrée au moment de rentrer dans l’atmosphère.

Les deux fois, elle avait été effondrée, et bien que ce fût idiot d’essayer de comparer ces deux tragédies, elle se souvenait de ce qu’elle avait dit à Don après la seconde : elle aurait préféré faire partie de l’équipage de Columbia plutôt que d’être à bord de Challenger. Parce que les membres de Columbia étaient morts à la fin de leur mission, alors qu’ils rentraient chez eux. Ils avaient vécu suffisamment longtemps pour voir se réaliser le rêve de leur vie. Ils s’étaient placés en orbite, ils avaient flotté en microgravité, et ils avaient pu contempler la merveilleuse vue chaotique et hypnotique de notre planète bleue. Mais les astronautes de Challenger étaient morts quelques minutes après le décollage, sans même avoir rejoint l’espace.

S’il faut mourir un jour, mieux vaut que ce soit après avoir accompli ses rêves. Elle avait vécu suffisamment longtemps pour voir l’existence d’extraterrestres détectée, leur envoyer un message et recevoir leur réponse, et entamer ainsi un dialogue, même s’il avait été bref. Elle se trouvait donc maintenant après. Même s’il y avait beaucoup de choses qu’elle aurait aimé avoir encore devant elle, elle n’en était pas moins après. Et c’était après si longtemps…

Alors qu’elle levait son stylet pour continuer d’écrire, une larme tomba sur l’écran du datacom, formant comme une loupe sur le texte.

Comment meurt-on dans cet âge de miracles et de merveilles ? Les risques d’attaque cérébrale ou de crise cardiaque sont faciles à détecter et à prévenir. Les cancers sont simples à guérir, tout comme la pneumonie ou l’Alzheimer. Des accidents peuvent encore se produire, mais quand on a un Mozo pour s’occuper de vous, ils sont assez rares.

Mais il n’empêche qu’arrivé à un certain stade, le corps finit par s’user. Le cœur faiblit, le système nerveux balbutie, le catabolisme se met à l’emporter largement sur l’anabolisme. Ce n’est pas aussi spectaculaire qu’une rupture d’anévrisme, pas aussi douloureux qu’un infarctus, pas aussi prolongé qu’un cancer. C’est un simple glissement progressif vers les ténèbres.

Et c’est ce qui s’était passé pour Sarah Halifax, petit à petit, jusqu’à ce que…

— Je ne me sens pas très bien, dit-elle un matin d’une voix faible.

Don fut aussitôt à son côté. Elle s’était installée sur le canapé du salon, où Gunter l’avait transportée une heure auparavant. Le robot arriva presque aussi vite et examina ses paramètres vitaux à l’aide de ses capteurs intégrés.