Une limousine blanche les attendait. Le chauffeur robot portait une de ces casquettes qu’on s’attend à voir sur la tête des chauffeurs de limousine, mais rien d’autre. C’est avec un grand professionnalisme qu’il les conduisit jusqu’à McGavin Robotics tout en leur commentant le paysage et les sites intéressants, d’une voix suffisamment forte pour qu’ils l’entendent.
Le campus de McGavin Robotics consistait en sept grands bâtiments dispersés au milieu d’un vaste parc couvert de neige. La société avait des liens étroits avec le laboratoire d’intelligence artificielle du MIT, son proche voisin. La limousine s’engouffra directement dans un parking souterrain de sorte que Don et Sarah n’eurent pas à braver de nouveau le froid. Le chauffeur robot les accompagna jusqu’à un ascenseur immaculé, qui les amena au niveau du grand hall d’entrée. Là, des êtres humains les accueillirent, prirent leurs manteaux et les emmenèrent par un autre ascenseur jusqu’au troisième étage du bâtiment principal.
Le bureau de Cody McGavin était long et étroit, et occupait tout un côté du bâtiment, avec des fenêtres donnant sur le reste du campus. Sa table de travail était en granit poli, ainsi qu’une table de conférence installée sur la gauche avec toute une batterie de fauteuils sophistiqués. De l’autre côté, un bar bien fourni venait compléter l’équipement de la pièce, avec un barman robotique derrière le comptoir.
— Sarah Halifax ! s’exclama McGavin en se levant de son grand fauteuil en cuir.
— Bonjour, monsieur, dit Sarah.
McGavin s’approcha rapidement d’elle.
— C’est un honneur pour moi, dit-il. Un véritable honneur.
Il portait ce qui devait être, songea Don, la mode du moment pour les grands dirigeants d’entreprise : une veste de sport vert foncé sans revers, et une chemise d’un vert plus clair sur laquelle une tache de couleur verticale faisait office de cravate. Plus personne ne portait de cravate.
— Et ce doit être votre mari, j’imagine, ajouta McGavin.
— Don Halifax, dit Don.
Il tendit la main – ce dont il avait horreur, ces temps-ci. Les gens plus jeunes la serraient souvent trop fort et lui faisaient vraiment mal. Mais la poignée de main de McGavin fut douce, délicate et très brève.
— C’est un plaisir de faire votre connaissance, Don. Mais asseyez-vous, je vous en prie.
Il fit un geste en direction de son bureau, et Don eut la surprise de voir deux magnifiques fauteuils en cuir sortir de trappes aménagées dans la moquette. McGavin offrit son bras à Sarah pour l’aider à traverser la pièce, et il la fit asseoir. Don s’avança en traînant des pieds sur le tapis et s’installa dans l’autre fauteuil, qui semblait maintenant bien ancré dans le sol.
— Un peu de café ? demanda McGavin. Ou un verre de quelque chose ?
— De l’eau, simplement, dit Sarah. S’il vous plaît.
— La même chose pour moi, dit Don.
Le milliardaire fit un signe de tête à l’intention du robot derrière le bar, et la machine entreprit de remplir les verres. McGavin posa les fesses sur le bord de son bureau en granit, face à Sarah et Don. L’homme n’était pas particulièrement beau, songea Don. Il avait des traits empâtés et un petit menton fuyant qui faisait paraître encore plus grand son large front. Mais il avait quand même dû recourir à des interventions esthétiques. Don savait qu’il devait être dans la soixantaine, mais on lui aurait donné à peine vingt-cinq ans.
Soudain, le robot fut à son côté et lui tendit un magnifique gobelet de cristal rempli d’eau, avec deux glaçons flottant à la surface. La machine procéda de même avec Sarah et McGavin, puis elle se retira sans un bruit derrière son comptoir.
— Et maintenant, dit McGavin, allons droit au but. Je vous ai dit au téléphone que j’avais une… (il s’arrêta un instant en repensant à l’échange de plaisanteries de la veille, et il prononça le mot avec une emphase particulière)… proposition à vous faire. (Don remarqua qu’il regardait uniquement Sarah en disant cela.) Eh bien, je vous le confirme.
Sarah sourit.
— Comme nous le disions en parlant du VLA, j’ouvre toutes grandes mes oreilles.
McGavin hocha la tête.
— Le premier message que nous avons reçu de Sig Drac était un mystère complet avant que vous, vous n’en deviniez la nature. Et celui que nous avons maintenant est une énigme encore plus impénétrable, semble-t-il. Un message codé ! Qui aurait imaginé une chose pareille ?
— Oui, fit-elle, il y a de quoi être perplexe.
— Vous pouvez le dire, acquiesça McGavin, vous pouvez vraiment le dire. Mais je suis sûr que vous allez nous aider à le déchiffrer.
— Je ne suis pas experte en cryptologie ni en codes chiffrés, dit-elle. Mon expertise, si on peut l’appeler ainsi, est diamétralement opposée : j’essaie de comprendre des choses destinées à être lues par tout le monde.
— Bon, je vous l’accorde, je vous l’accorde. Mais vous avez fait preuve d’une telle intuition pour comprendre ce que voulaient les Dracons la dernière fois… Et puis, nous savons comment décoder ce message. On me dit que les extraterrestres ont très clairement expliqué la méthode. Tout ce qu’il nous reste à faire, c’est de trouver quelle clef secrète a été utilisée, et je suis convaincu que vos talents vont nous être précieux pour y parvenir.
— Vous êtes très aimable, dit-elle, mais…
— Non, vraiment, insista McGavin. Vous avez joué un rôle vital la dernière fois, et je suis sûr que ce sera la même chose cette fois-ci, et que vous continuerez encore longtemps de le faire à l’avenir.
Elle cligna des yeux.
— À l’avenir ?
— Oui, oui, à l’avenir. Nous avons entamé un dialogue, et nous avons besoin d’en assurer la continuité. Je suis certain que nous allons déchiffrer ce message, et même si nous n’y arrivons pas, nous transmettrons quand même une réponse. Et je tiens à ce que vous soyez là quand nous recevrons la réponse à cette réponse.
Don fronça les sourcils, mais Sarah se contenta de rire.
— Voyons, ne soyez pas bête. Je serai morte bien avant.
— Pas forcément, répliqua McGavin.
— Il faudra au minimum trente-huit ans avant que nous ayons une réponse à ce qu’on pourrait leur transmettre aujourd’hui, dit-elle.
— C’est exact, répondit McGavin d’une voix très calme.
— Et j’aurais alors… hmm, voyons…
— Cent vingt-cinq ans, dit McGavin.
Don n’y tint plus.
— Mr McGavin, ce n’est vraiment pas charitable de votre part. Il ne nous reste plus à ma femme et moi que quelques années à vivre, tout au mieux. Nous en sommes parfaitement conscients.
Sarah avait terminé son verre. Le robot apparut silencieusement pour le remplacer par un verre plein.
McGavin se tourna vers Don.
— Vous savez, dès le départ, les journalistes se sont complètement trompés. La plus grande partie des gens du SETI n’ont pas compris non plus. Il ne s’agit pas ici de la Terre qui parlerait à la deuxième planète autour de Sigma Draconis. Les planètes ne se parlent pas. Ce sont les gens qui se parlent. Il y a une personne en particulier sur Sigma Draconis II qui a envoyé le message, et une autre personne sur cette planète – vous, Dr Sarah Halifax – qui a compris ce que cette personne voulait, et qui s’est occupée de notre réponse. Les autres – tous les humains de cette planète, et tous les habitants de Sigma Draconis qui s’intéressent à ce qui se dit – se contentent de lire par-dessus votre épaule à tous les deux. Vous avez un correspondant, Dr Halifax. Il se trouve que c’est moi qui paye les timbres, mais c’est votre correspondant à vous.