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Le téléphone de Don sonna deux heures plus tard.

— Hello, Don. Miss Hashimoto me dit que vous avez appelé…

— Si jamais vous essayez encore un truc pareil, je vous jure que je vous laisse complètement tomber, dit Don. Ah, bon Dieu, et dire que nous vous faisions confiance !

— Je ne vois absolument pas de quoi vous parlez !

— Ne jouez pas à ces petits jeux avec moi. Je sais ce que vous avez essayé de faire avec Gunter.

— Je ne…

— Inutile de nier.

— Vous devriez respirer un bon coup pour vous calmer, Don. Je sais que ç’a été très dur pour vous ces derniers…

— Ah ça, oui, c’est bien vrai. On dit que les gens ne sont pas vraiment tout à fait partis tant qu’on se souvient encore d’eux. Mais maintenant, une personne qui se souvenait parfaitement bien de Sarah nous a quittés.

Silence.

— Bon sang, Cody ! Nous ne pouvons rien faire si je ne peux pas vous faire confiance.

— Ce robot est à moi, dit McGavin. Ma société vous l’a prêté – et tout ce qu’il y a dans sa mémoire m’appartient.

— Il n’y a plus rien dans sa mémoire, maintenant, rétorqua Don.

— Je… je sais, dit McGavin. Je suis désolé. Si j’avais pu imaginer une seconde qu’il… (Encore un silence, puis :) Aucun robot n’avait jamais fait une chose pareille jusqu’ici.

— Vous pourriez retenir une bonne leçon de lui, dit sèchement Don. Une leçon de loyauté.

McGavin sembla se raidir. Nul doute qu’on lui parlait rarement sur ce ton.

— Eh bien, puisque ce Mozo avait été prêté à Sarah pour l’aider, je ferais peut-être mieux maintenant…

Don sentit son cœur battre plus fort.

— Non, je vous en prie… Ne le reprenez pas. Je…

McGavin semblait encore en colère.

— Quoi ?

Don haussa les épaules d’un air gêné, bien qu’il fût impossible à McGavin de voir son geste.

— Il fait partie de la famille.

Un long silence, puis Don entendit McGavin relâcher son souffle.

— Très bien, dit celui-ci. Si cela peut nous permettre de nous réconcilier, vous pouvez le garder.

Silence.

— Alors, Don, nous sommes d’accord ?

Don était encore furieux. S’il avait eu réellement vingt-six ans, il aurait sans doute continué de se battre. Mais il ne les avait pas vraiment. Il savait qu’il valait mieux en rester là.

— Bon, d’accord.

— Tant mieux, fit McGavin sur un ton un peu plus chaleureux. Parce que nous faisons de bons progrès sur la matrice artificielle, mais bon sang, c’est un sacré boulot. Chaque pièce doit être fabriquée spécialement, et il y a certaines techniques dont mes ingénieurs n’avaient jamais entendu parler jusqu’ici…

Don était dans le salon et regardait distraitement autour de lui. Le manteau de cheminée était à présent couvert de dizaines de messages de condoléances, chacun soigneusement imprimé et plié par Gunter. Don regrettait la disparition du courrier papier, mais l’idée d’envoyer des flots d’information que le destinataire pouvait reconstituer convenait sans doute assez bien aux circonstances.

L’un de ces messages était posé contre le trophée que l’UAI avait offert autrefois à Sarah. Un autre cachait en partie leur photo de mariage, où l’on ne voyait plus que Sarah. Don s’approcha pour déplacer la carte et regarda un instant Sarah telle qu’elle avait été, et lui-même tel qu’il était quand il avait eu vingt-six ans la première fois.

Il y avait aussi beaucoup de fleurs, des vraies et des virtuelles. Un vase garni de roses était posé sur la petite table entre le canapé et le fauteuil relax. Une projection d’œillets incarnats flottait au-dessus de la table basse. Don se souvint comme Sarah aimait planter des fleurs quand elle était jeune, et qu’elle jardinait encore alors qu’elle avait déjà soixante-dix ans bien sonnés. Elle avait une fois comparé le VLA à un parterre de fleurs planté par Dieu.

Alors qu’il contemplait toutes ces cartes, Don eut conscience d’un mouvement à la périphérie de son champ de vision. Il se retourna et vit le visage rond et bleu de Gunter.

— Je suis désolé que votre épouse ne soit plus, dit le robot.

Le trait de sa bouche s’abaissa aux extrémités d’une façon qui aurait pu paraître comique en d’autres circonstances, mais qui reflétait ici une émotion sincère.

Don dit doucement à la machine :

— Moi aussi.

— J’espère que ce n’était pas présomptueux de ma part, poursuivit le robot, mais je me suis permis de lire ce que contiennent ces cartes. (Il inclina la tête vers le dessus de cheminée.) Elle semble avoir été une femme remarquable.

— Oui, c’est un fait, acquiesça Don.

Il ne les énuméra pas à voix haute, mais toutes les catégories défilèrent dans sa tête : épouse, mère, amie, professeur, scientifique, et avant cela, fille et sœur. Tant de rôles, et elle les avait tous parfaitement remplis.

— Si je peux me permettre, qu’est-ce que les gens ont dit d’elle à l’enterrement ?

— Je vous montrerai la bande plus tard.

La bande. Plus personne n’utilisait ce terme, qui faisait référence à une technologie complètement dépassée.

— Merci, dit Gunter. J’aurais bien aimé la connaître.

Don regarda un instant ces yeux de verre au regard fixe.

— J’ai l’intention d’aller au cimetière demain, dit-il. Est-ce que… est-ce que ça vous dirait de m’accompagner ?

Le Mozo inclina la tête.

— Oui. J’en serais très heureux.

La limite nord du cimetière de York était bordée par les clôtures des jardins derrière les maisons de Park Home Avenue, qui n’était qu’à une centaine de mètres au sud de Betty Ann Drive, de sorte que Don et Gunter purent s’y rendre simplement à pied. Don se demanda si des voisins n’étaient pas en train de les observer à travers les rideaux de leurs fenêtres, ou de zoomer sur eux avec leurs caméras de surveillance : le robot et le rollback, deux miracles de la science moderne marchant côte à côte.

Quelques minutes plus tard, ils atteignirent la grille d’entrée. Quand Sarah et lui avaient acheté leur maison, la proximité d’un cimetière en avait fait baisser la valeur. Mais aujourd’hui, c’était considéré comme un avantage, car les espaces verts, quelle qu’en fût la nature, étaient devenus bien rares. Et fort heureusement, ils avaient acheté leur concession assez tôt. Aujourd’hui, ils n’auraient jamais pu se payer le luxe d’être enterrés.

Don et Gunter durent parcourir encore plusieurs centaines de mètres avant d’arriver à la tombe de Sarah. Gunter regardait autour de lui avec ce que Don aurait juré être de grands yeux ronds. Testé en usine, et utilisé ensuite – depuis l’effacement de sa mémoire – exclusivement à l’intérieur d’une maison, le robot n’avait jamais vu autant d’arbres ni d’aussi vastes pelouses soigneusement entretenues.

Ils atteignirent enfin l’emplacement. Le trou avait été rebouché et une couche de terre fraîche recouvrait la tombe.

Don observa le robot qui examinait la pierre tombale.

— L’inscription n’est pas correctement centrée, dit Gunter.

Don la regarda à son tour. Le nom de Sarah et les détails la concernant étaient inscrits dans la partie droite du bloc de granit ovale.

— C’est là que je serai enterré un jour, moi aussi, dit Don. On ajoutera mon inscription dans l’autre moitié.

La partie réservée à Sarah indiquait :

SARAH DONNA ENRIGHT HALIFAX

ÉPOUSE ET MÈRE ADORÉE