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Cela faisait quatre heures qu’ils avaient décollé quand son voisin entama la conversation.

— Bonjour, fit le vieil homme. Moi, c’est Roger.

À son accent australien, Don comprit qu’il devait rentrer chez lui. Après une escale à Auckland – où Don prendrait une correspondance pour se rendre à Christchurch –, ce vol continuait jusqu’à Melbourne.

— Et que faisiez-vous à Toronto ? demanda Don après qu’ils eurent fait un peu plus connaissance.

— En fait, j’étais à Huntsville, répondit Roger. Vous connaissez ?

— Oui, bien sûr, dit Don. Plein de chalets dans la région.

— Bingo. C’est là que ma fille habite. Elle tient un bed and breakfast. Et elle vient juste d’avoir une petite fille, alors il fallait que j’aille la voir.

Don sourit.

— Les petits-enfants, c’est un vrai bonheur.

Roger le regarda d’un air surpris, puis il hocha la tête.

— Ça, vous pouvez le dire.

— C’était votre premier voyage au Canada ? lui demanda Don.

— Non, c’était le quatrième, mais… (Son visage, qui s’était éclairé de joie en parlant de sa nouvelle petite-fille, devint soudain très triste, et Don crut qu’il allait dire que c’était sans doute le dernier. Mais en fait, Roger reprit :) C’était la première fois que j’y allais seul. Ma femme est décédée l’année dernière.

Don sentit son cœur se serrer.

— Je suis vraiment désolé.

— Merci. Ah, c’était une femme formidable, ma Kelly.

— J’en suis sûr. Vous avez été mariés longtemps ?

— Cinquante ans. En fait, cinquante ans et une semaine. Vous savez, c’est comme si elle s’était accrochée pour arriver jusqu’à cet anniversaire.

Don ne dit rien.

— Elle me manque tellement, dit Roger. Je pense à elle tous les jours.

Don se contenta d’écouter Roger lui parler de sa femme et des bons moments qu’ils avaient vécus ensemble, en luttant contre l’envie presque irrésistible de ponctuer par des « Je sais », « Oui, pareil pour moi », ou « C’était exactement comme ça avec Sarah ».

Enfin, au bout d’un moment, Roger le regarda d’un air un peu embarrassé.

— Excusez-moi, dit-il, je crois que je radote un peu. Il faut me pardonner, un vieux croûton comme moi…

— Mais pas du tout, fit Don.

Roger sourit. Il avait une tête ronde et très peu de cheveux, et la peau tannée d’un homme qui a aimé toute sa vie être au soleil.

— Vous êtes un jeune homme bien sympathique, de m’écouter comme ça.

Don réussit à ne pas sourire.

— Merci.

— Et alors, mon garçon, c’est quoi, votre histoire à vous ? Pourquoi allez-vous en Australie ?

— En fait, c’est en Nouvelle-Zélande que je vais.

— Nord ou Sud ?

— Sud.

— Bon, de toute façon, les deux îles sont magnifiques. Mais attention, il y a pas mal de moutons.

Cette fois-ci, Don ne put s’empêcher de sourire. Mais il ne pouvait quand même pas dire qu’il y était déjà allé il y avait soixante ans, et il ne connaissait pas suffisamment de détails contemporains pour pouvoir évoquer de façon convaincante une visite plus récente. Il se contenta donc de répondre :

— Oui, c’est ce que j’ai entendu dire.

— Et qu’est-ce qui vous amène chez les Kiwis ? Les affaires, ou le plaisir ?

— Vous voulez une réponse honnête ? Je cours après une fille.

À sa grande surprise, Roger lui donna une bonne tape sur le genou.

— Ah ça alors, bravo, fiston ! Vous avez bien raison !

— Peut-être, dit Don, mais peut-être pas. Ça fait plus d’un an qu’on a rompu. Elle est allée à Christchurch pour poursuivre ses études. Mais elle m’a manqué plus que je ne saurais dire.

— Mais elle sait que vous venez, au moins ?

Don fit signe que non et se prépara à s’entendre dire qu’il était complètement idiot.

Roger haussa les sourcils.

— Êtes-vous prêt à recevoir un conseil d’un vieil homme ?

— Je n’en connais pas de meilleurs, répondit Don.

Roger le regarda un instant, la tête penchée. comme s’il s’était attendu à ce que sa proposition soit repoussée. Satisfait, il hocha la tête d’un air entendu.

— Vous avez parfaitement raison, dit-il. Les seuls regrets que j’ai eus dans ma vie, c’était pour toutes les choses impétueuses et irrationnelles que je n’ai pas faites.

Don sourit.

— Vous êtes un homme plein de sagesse, dit-il.

Roger gloussa.

— Si vous vivez suffisamment longtemps, mon garçon, vous deviendrez aussi sage que moi.

44.

Après avoir changé d’avion à Auckland, Don atterrit enfin à l’aéroport de Christchurch vers cinq heures du matin, heure locale. Ça l’agaçait de devoir payer pour une nuit d’hôtel alors que l’aube était déjà presque levée, mais c’était ça ou être hirsute, les yeux rougis et mort de fatigue au moment de retrouver Lenore, et il avait déjà suffisamment l’impression d’être un fou furieux en se lançant dans cette aventure.

Il avait réservé en ligne l’hôtel le moins cher possible, et il prit un taxi pour s’y rendre. Sa chambre était petite selon les normes américaines, mais elle avait un petit balcon. Après s’être un peu rafraîchi, il alla y jeter un coup d’œil. C’était l’été, ici, mais il pouvait quand même voir la vapeur de sa respiration dans l’air frais du petit matin.

Il n’y avait presque aucune lumière dans les bâtiments environnants. Don retourna dans sa chambre pour éteindre les lampes, puis il regagna le balcon et laissa ses yeux fatigués s’adapter à l’obscurité.

On ne peut pas avoir été marié à une astronome pendant soixante ans sans avoir appris à reconnaître quelques constellations, mais Don ne voyait rien de familier dans ce ciel sans lune, bien qu’il pût distinguer deux étoiles plus brillantes que les autres. Alpha Centauri et Bêta Centauri – à peu près tout ce dont il pouvait se souvenir du court séjour qu’il avait fait ici autrefois, sauf…

Il scruta le ciel plus attentivement, et… oui, ils étaient bien là, incroyablement vastes : les Nuages de Magellan, deux taches claires sur le fond sombre. Il resta un long moment à les contempler en frissonnant.

Le soleil commença de se lever, l’horizon rosit progressivement, et…

Et soudain, ce fut une cacophonie de chants d’oiseaux : des pépiements et des trilles comme jamais il n’en avait entendu au Canada. Un ciel étrange, des bruits de fond bizarres : il aurait aussi bien pu se trouver sur une autre planète.

Il retourna à l’intérieur, mit son réveil à sonner dans cinq heures, puis il s’allongea et ferma les yeux en se demandant ce que cette nouvelle journée lui réservait.

Une fois levé, Don vérifia son courrier sur son datacom. Il y avait les rapports d’avancement habituels de Cody McGavin : la fabrication de la matrice progressait de façon satisfaisante. La synthèse des séquences d’ADN extraterrestre était à présent terminée. Elle avait été réalisée par morceaux dans quatre laboratoires privés différents, puis l’assemblage avait été effectué avec la même méthode globale utilisée un demi-siècle plus tôt pour le séquençage du génome humain. Bientôt, disait McGavin, tout serait prêt pour entreprendre le développement des embryons.