Выбрать главу

Don avait d’abord pensé à aborder Lenore au moment où elle sortirait de son appartement, ou lorsqu’elle y rentrerait. Il n’avait pas été difficile de savoir où elle habitait. Mais d’aucuns auraient pu y voir une forme de harcèlement personnel, et Lenore pourrait bien être totalement décontenancée de le trouver là sans qu’il ait prévenu. Sans compter qu’elle vivait peut-être avec quelqu’un, et il ne voulait pas se retrouver nez à nez avec un petit ami jaloux.

Il avait donc décidé d’aller la voir à l’université. Il ne lui fallut que quelques questions à son datacom pour connaître l’emploi du temps des doctorants en astronomie. Avant de quitter l’hôtel, il prit un peu d’argent liquide au distributeur dans le hall. Don se souvint de toutes les prédictions concernant une société où l’argent serait devenu strictement virtuel, mais rien de tel ne s’était concrétisé, essentiellement parce que les gens tenaient à protéger leur vie privée.

Les billets étaient parfaitement neufs, mais le roi William qui y figurait était beaucoup plus juvénile que celui que Don avait l’habitude de voir au Canada. C’était comme si Sa Majesté avait eu ici son petit rollback personnel.

Le taxi, conduit par un robot, le déposa à l’entrée du campus près d’un grand panneau qui indiquait :

NAU MAI, HAERE MAI KI TE

WHARE WANANGA O WAITAHA

Des mots étranges, un texte d’une autre planète. Mais une pierre de Rosette était fournie sous la forme d’un panneau similaire de l’autre côté de la route :

BIENVENUE À L’UNIVERSITÉ DE CANTERBURY

Une rivière traversait le campus, et il longea l’une des berges pour se diriger vers le bâtiment qui abritait, selon les indications d’un passant, le département d’astronomie. C’était une construction en brique rouge à l’aspect très récent, à moitié enfoncée dans le flanc d’une colline. Une fois à l’intérieur, il se mit à la recherche de la bonne salle, avec une certaine difficulté car il avait du mal à comprendre le système de numérotation.

Il finit par trouver le secrétariat du département et passa la tête par la porte. Un Maori d’une trentaine d’années était assis derrière un bureau, le visage recouvert de tatouages compliqués.

— Bonjour, fit Don. Pourriez-vous me dire où se trouve la salle 42-214B ?

— C’est Lenore Darby que vous cherchez ? lui demanda l’autre.

Don sentit des palpitations au creux de son estomac.

— Hem, oui.

L’homme sourit.

— Je m’en doutais. Vous avez l’accent canadien. Bon, continuez encore un peu, prenez le couloir suivant à votre droite, et ce sera la porte sur votre gauche.

Don avait vingt minutes devant lui avant la fin du cours. Il remercia son interlocuteur et fit une petite halte aux toilettes pour s’assurer qu’il n’avait rien de coincé entre les dents, se donner un coup de peigne et rectifier sa tenue. Puis il se dirigea vers la salle de classe. La porte était fermée, mais une petite fenêtre permettait de voir à l’intérieur et il se risqua à y jeter un coup d’œil.

Son cœur fit un bond. Lenore était là, debout sur l’estrade. C’était apparemment son tour d’intervenir et de faire sa présentation. Comme pour souligner le temps passé, et à quel point les choses pouvaient avoir changé, il remarqua que ses cheveux roux étaient coupés beaucoup plus court que dans son souvenir. Et elle semblait un peu plus âgée, même si elle était encore dans cette période où cela signifie être plus adulte, et non pas plus décrépit.

La salle était un petit amphithéâtre avec des sièges en gradins face à une estrade. Il y avait un pupitre, mais Lenore ne se cachait pas derrière. Au contraire, elle s’était avancée avec une parfaite assurance au milieu de la scène. Il y avait une douzaine de personnes dans l’assistance, dont on ne pouvait voir que la nuque. Certaines avaient des cheveux gris et faisaient sans doute partie du corps enseignant. Lenore se servait d’un pointeur laser pour désigner certains éléments d’un graphique complexe affiché sur le grand écran de la salle. Don ne pouvait distinguer ce qu’elle disait, mais sa petite voix aiguë était bien reconnaissable.

Il s’assit par terre devant la porte et attendit que la séance se termine. Il sentit une poussée d’adrénaline quand la porte s’ouvrit – mais ce n’était qu’un type vêtu d’un tee-shirt des All Blacks qui sortait pour aller aux toilettes.

Au bout d’un moment, d’autres portes de salles de classe commencèrent à s’ouvrir dans le couloir, mais celle de Lenore resta désespérément close. Don se releva et s’épousseta. Il s’apprêtait à jeter un autre coup d’œil par la petite lucarne quand la porte s’ouvrit de nouveau. Il fit un pas de côté pour laisser le passage, comme le faisaient autrefois les voyageurs dans le métro de Toronto.

Quand le flot se tarit, il jeta un coup d’œil dans la salle. Lenore était toujours sur l’estrade et lui tournait le dos. Elle bavardait avec le dernier participant, un jeune homme mince. Don les observa jusqu’à ce que l’homme finisse par hocher la tête et remonte les marches. Pendant ce temps, Lenore s’affairait à quelque chose derrière le pupitre.

Don inspira profondément, en espérant que ça le calmerait, puis il franchit la porte. Il n’avait descendu que quatre marches quand Lenore leva les yeux et…

Et elle les ouvrit tout grands, et sa bouche s’ouvrit pour former un autre cercle, et Don continua de descendre en se sentant encore plus faible qu’avant son rollback.

Manifestement, elle n’en croyait pas ses yeux, et elle semblait avoir du mal à se convaincre que c’était seulement quelqu’un qui ressemblait beaucoup à Don. Après tout, ça faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas vu et…

— Don ? dit-elle enfin.

Il lui sourit, mais il sentit les coins de ses lèvres trembler.

— Hello, Lenore.

— Don !

Elle cria pratiquement son nom, et un immense sourire éclaira son visage.

C’est en courant qu’il descendit les dernières marches, tandis qu’elle-même les montait quatre à quatre, et ils se retrouvèrent soudain dans les bras l’un de l’autre. Il mourait d’envie de l’embrasser – mais ce n’était pas parce qu’elle l’accueillait comme un vieil ami qu’elle accepterait pour autant ce genre d’effusion…

Cela ne dura qu’un trop court instant, et elle recula pour le dévisager.

— Mais qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle.

— Je… j’espère que ça ne t’ennuie pas.

— M’ennuyer ?

— Je ne savais pas si tu serais contente de me voir.

— Bien sûr que je suis contente ! Tu es en vacances ici ?

Il secoua la tête.

— Non, je suis simplement venu te voir.

Elle sembla stupéfaite.

— Ah, mon Dieu… Mais tu aurais dû me prévenir !

— Oui, je sais. Je suis désolé.

— Non, non, ne sois pas désolé pour ça, mais… (Elle hésita un instant.) Tu as fait tout ce voyage rien que pour me voir ?

Il hocha la tête.

— Ah, mon Dieu, répéta-t-elle. (Puis elle baissa légèrement les yeux.) J’ai été tellement triste quand j’ai appris la nouvelle, pour Sarah. C’était quand ? Il y a quatre ou cinq mois ?

— Ça fait plus d’un an, dit simplement Don.

— Je suis terriblement navrée, dit-elle. Vraiment désolée.

— Moi aussi.

— Et maintenant, dit-elle sur un ton montrant qu’elle prenait enfin conscience de l’énormité de la situation, te voilà.

— Oui. (Il ne savait pas comment poser poliment la question suivante, ni comment l’amener avec élégance, et il lui demanda donc tout à trac :) Tu sors avec quelqu’un ?

Elle le regarda encore un moment, et il était clair qu’elle comprenait parfaitement l’importance de la question, et qu’il lui offrait la possibilité de s’en sortir en répondant simplement par l’affirmative, ce qui lui permettrait de ne plus rien avoir à faire avec lui.

— Non, dit-elle d’une voix ferme quoique un peu aiguë. Personne.

Il relâcha son souffle et l’attira contre lui.

— Ah, Dieu soit loué, dit-il.

Il hésita une seconde, puis il lui souleva doucement le menton et l’embrassa – un baiser qu’elle lui rendit, pour son plus grand bonheur.

Il entendit soudain un bruit, puis un autre, et un autre encore. Il tourna la tête et leva les yeux, et…

Et là, en haut des marches, il y avait un petit groupe d’étudiants qui attendaient de pouvoir entrer dans la salle, et l’un d’eux avait commencé à applaudir, en arborant un large sourire. Les autres s’étaient joints à lui, et Don se mit à sourire à son tour. Il regarda Lenore, qui était rouge comme une pivoine.

— Si vous voulez bien nous excuser, dit Don.

Il prit Lenore par la main et ils gravirent les marches tandis que les étudiants descendaient. Ils se croisèrent, et l’un d’eux donna une tape amicale sur l’épaule de Don au passage.