Выбрать главу

Don avait six ans quand le Canada avait célébré son premier centenaire en 1967. En ce temps-là, le gouvernement avait contacté tous les gens nés la même année que la nouvelle nation, et avait organisé des visites dans les écoles pour tous ceux qui étaient encore capables de se déplacer. Même après toutes ces années, Don se souvenait parfaitement du premier centenaire qu’il avait rencontré, un vieil homme qui semblait incroyablement antique cloué dans un fauteuil roulant.

Mais maintenant, un autre siècle s’était écoulé et Don lui-même était centenaire. En fait, il avait cent six ans, et en aurait très bientôt cent sept. Des gens plus jeunes que lui – des hommes et des femmes nés en 1967 – faisaient en ce moment même la tournée des écoles, et Pamela Anderson en faisait partie. Elle avait été le premier bébé né dans sa ville de Colombie-Britannique le jour même du centenaire du Canada, et son propre rollback, effectué il y avait quelques années seulement – quand le prix avait suffisamment baissé pour qu’une simple vedette de la télé puisse se l’offrir –, l’avait rendue aussi ravissante que lorsqu’elle avait figuré pour la première fois dans les pages de Playboy.

Don n’avait plus l’air aussi jeune. Physiquement, il avait maintenant à peu près quarante-quatre ans. Il avait de nouveau perdu la plus grande partie de ses cheveux, mais il s’en fichait complètement. Il se sentait mieux aujourd’hui que lorsqu’il avait eu quarante ans la première fois. Sa seule crise cardiaque remontait maintenant à plus de soixante ans.

Lenore avait à présent quarante-cinq ans – mais elle était loin de faire son âge. Le coût d’un rollback continuerait de baisser. Sept millions de personnes en avaient déjà bénéficié. Le jour où elle en aurait besoin, ils auraient les moyens de se l’offrir, et de plus – c’était une idée vertigineuse, mais néanmoins une certitude –, ils pourraient également financer un deuxième rollback pour Don.

Amphion et Gillian se chamaillaient à l’arrière tandis que Zéthos se contentait d’observer par la fenêtre les rues animées de Toronto. Bien qu’on leur eût donné les noms de deux jumeaux, les Draconnets ne se ressemblaient pas du tout. Amphion avait la peau d’un bleu très foncé et deux petites crêtes dentelées sur l’arrière de la tête, tandis que Zéthos avait le teint bleu argenté et trois crêtes. Leurs caractères étaient également différents. Amphion était aventureux et extraverti, et incapable de laisser passer la moindre ironie, alors que Zéthos était prudent et timide avec les étrangers, tout en aimant jouer avec les mots autant que son père.

Don jeta un coup d’œil dans son rétroviseur.

— Amphion, dit-il, arrête d’embêter ta sœur.

Amphion fit pivoter deux de ses quatre yeux vers Don.

— C’est elle qui a commencé !

Chaque œil dracon avait une fonction visuelle spécifique : deux percevaient à divers degrés dans l’ultraviolet, le troisième voyait dans l’infrarouge, et le quatrième distinguait les deux extrêmes, mais pas en couleurs. La combinaison d’yeux que les garçons choisissaient d’utiliser pour fixer un objet affectait non seulement la perception qu’ils en avaient, mais également le sentiment qu’ils éprouvaient à son égard. Ils possédaient également un sens sans équivalent chez les humains, qui leur permettait de détecter des objets massifs même lorsqu’ils étaient hors de portée de leur vision.

Amphion et Zéthos possédaient cinq membres : trois jambes et deux bras. Si leur développement embryonnaire était en rapport avec l’histoire de l’évolution de leur espèce, les deux jambes antérieures devaient correspondre à des nageoires pelviennes dans une forme aquatique ancienne, tandis que la jambe postérieure, plus épaisse, devait avoir été une nageoire caudale. Quant aux bras, ils ne s’étaient pas développés à partir de nageoires pectorales, comme c’est le cas pour les humains, mais plutôt d’un assemblage osseux complexe correspondant à des ouïes ancestrales.

Les Dracons n’avaient que trois doigts à chaque main, mais la base décimale utilisée dans leurs messages radio avait bien une justification physique. Autour de leur fente buccale, les garçons possédaient dix filaments leur permettant de se nourrir – deux paires au-dessus, et une rangée de six au-dessous. Zéthos était justement en train de s’en servir pour récupérer un morceau de barbe à papa que Gillian lui avait fait passer à travers un petit sas. Comme leurs quatre yeux étaient enfoncés dans des orbites osseuses, les Dracons ne pouvaient pas voir leurs filaments, de sorte que si ceux-ci leur servaient à calculer, ce devait être grâce à l’image mentale qu’ils s’en faisaient et non en comptant dessus comme un humain le fait avec ses doigts.

La première Expo 67 avait été intitulée – d’une façon qui avait semblé horriblement sexiste seulement quelques années plus tard – « L’Homme et sa planète ». Cette fois-ci, il n’y avait pas de titre particulier, du moins pas à la connaissance de Don, mais « L’Humanité et ses planètes » aurait été tout à fait approprié, puisque l’on était enfin retourné sur la Lune, et qu’une petite colonie internationale s’était établie sur Mars.

Et il y avait encore d’autres planètes, bien sûr, même si elles n’appartenaient pas à l’humanité. Il se trouvait que cela faisait exactement 18,8 ans que Sarah Halifax avait transmis son dernier message aux étoiles, confirmant la réception du génome dracon et expliquant que son successeur se chargerait d’aider à la création de Dracons sur la Terre. Cela voulait dire que le correspondant de Sarah sur Sigma Draconis était en train d’apprendre que ce qu’il avait demandé allait se faire. Tout le monde pensait qu’en ce moment même, on fêtait la nouvelle sur ce monde lointain. Il semblait donc approprié de tenir une cérémonie similaire ici, et c’était ce soir qu’elle aurait lieu. Depuis le Canada, on pouvait transmettre des signaux à Sigma Draconis à n’importe quelle heure du jour, mais il semblait plus significatif d’envoyer des messages dans l’espace quand les étoiles étaient visibles, même si les lumières de Toronto noieraient la faible lueur du soleil ancestral des deux Draconnets.

Au cours de la cérémonie, on dévoilerait une statue de Sarah la représentant telle qu’elle était en 2009, quand on avait reçu le premier message. Après la clôture de l’exposition, la statue serait transportée jusqu’à son emplacement définitif, devant les Laboratoires de physique McLennan. Après l’inauguration, des messages de salutation seraient transmis à Sigma Draconis non seulement par Amphion et Zéthos – qui envoyaient déjà des rapports hebdomadaires depuis dix ans, dont aucun, bien sûr, n’avait encore été reçu – mais également par des personnalités de dizaines de nations ayant exposé à la foire internationale.

La circulation était raisonnable, et au bout d’une heure, la Dracomobile approcha de sa destination. Au fil des années, Don avait souvent eu l’occasion de revenir à Toronto pour rendre visite à ses petits-enfants, et plus récemment – une grande tristesse pour lui – pour assister à l’enterrement de son fils Carl, qui était mort à l’âge indécent de soixante-douze ans. Il accomplissait le pèlerinage à chaque voyage, mais c’était la première fois que Gillian et les garçons se retrouvaient aussi loin au nord de la ville.

En descendant Park Home Avenue, Don fut navré de voir que la bibliothèque municipale qu’il avait tant aimée avait disparu. Comme la plupart des bibliothèques, bien sûr. Don, à sa façon, était une sorte de luddite, et il avait encore un datacom de poche, mais Lenore et Gillian étaient munies d’implants cérébraux permettant d’accéder directement au Web.