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Roméo. – Salut à tous deux!… que voulez-vous dire?

Mercutio. – Eh! vous ne comprenez pas? vous avez fait une fugue, une si belle fugue!

Roméo. – Pardon, mon cher Mercutio, j'avais une affaire urgente; et, dans un cas comme le mien, il est permis à un homme de brusquer la politesse.

Mercutio. – Autant dire que, dans un cas comme le vôtre, un homme est forcé de fléchir le jarret pour…

Roméo. – Pour tirer sa révérence.

Mercutio. – Merci. Tu as touché juste.

Roméo. – C'est l'explication la plus bienséante.

Mercutio. – Sache que je suis la rose de la bienséance.

Roméo. – Fais-la-moi sentir.

Mercutio. – La rose même!

Roméo, montrant sa chaussure couverte de rubans. – Mon escarpin t'en offre la rosette!

Mercutio. – Bien dit. Prolonge cette plaisanterie jusqu'à ce que ton escarpin soit éculé: quand il n'aura plus de talon, tu pourras du moins appuyer sur la pointe.

Roméo. – Plaisanterie de va-nu-pieds!

Mercutio. – Au secours, bon Benvolio! mes esprits se dérobent.

Roméo. – Donne-leur du fouet et de l'éperon; sinon, je crie: victoire!

Mercutio. – Si c'est à la course des oies que tu me défies, je me récuse: il y a de l'oie dans un seul de tes esprits plus que dans tous les miens… M'auriez-vous pris pour une oie?

Roméo. – Je ne t'ai jamais pris pour autre chose.

Mercutio. – Je vais te mordre l'oreille pour cette plaisanterie-là.

Roméo. – Non. Bonne oie ne mord pas.

Mercutio. – Ton esprit est comme une pomme aigre: il est à la sauce piquante.

Roméo. – N'est-ce pas ce qu'il faut pour accommoder l'oie grasse?

Mercutio. – Esprit de chevreau! cela prête à volonté: avec un pouce d'ampleur on en fait long comme une verge.

Roméo. – Je n'ai qu'à prêter l'ampleur à l'oie en question, cela suffit; te voilà déclaré… grosse oie. (Ils éclatent de rire.)

Mercutio. – Eh bien, ne vaut-il pas mieux rire ainsi que de geindre par amour? Te voilà sociable à présent, te voilà redevenu Roméo; te voilà ce que tu dois être, de par l'art et de par la nature. Crois-moi, cet amour grognon n'est qu'un grand nigaud qui s'en va, tirant la langue, et cherchant un trou où fourrer sa… marotte.

Benvolio. – Arrête-toi là, arrête-toi là.

Mercutio. – Tu veux donc que j'arrête mon histoire à contre-poil?

Benvolio. – Je craignais qu'elle ne fût trop longue.

Mercutio. – Oh! tu te trompes: elle allait être fort courte, car je suis à bout et je n'ai pas l'intention d'occuper la place plus longtemps.

Roméo. – Voilà qui est parfait.

Entrent la nourrice et Pierre.

Mercutio. – Une voile! une voile! une voile!

Benvolio. – Deux voiles! deux voiles! une culotte et un jupon.

La Nourrice. – Pierre!

Pierre. – Voilà!

La Nourrice. – Mon éventail, Pierre.

Mercutio. – Donne-le-lui, bon Pierre, qu'elle cache son visage, son éventail est moins laid.

La Nourrice. – Dieu vous donne le bonjour, mes gentilshommes!

Mercutio. – Dieu vous donne le bonsoir ma gentille femme!

La Nourrice. – C'est donc déjà le soir?

Mercutio. – Oui, déjà, je puis vous le dire, car l'index libertin du cadran est en érection sur midi.

La Nourrice. – Diantre de vous! quel homme êtes-vous donc?

Roméo. – Un mortel, gentille femme, que Dieu créa pour se faire injure à lui-même.

La Nourrice. – Bien répondu, sur ma parole! Pour se faire injure à lui-même, a-t-il dit… Messieurs, quelqu'un de vous saurait-il m'indiquer où je puis trouver le jeune Roméo?

Roméo. – Je puis vous l'indiquer: pourtant le jeune Roméo, quand vous l'aurez trouvé, sera plus vieux qu'au moment où vous vous êtes mise à le chercher Je suis le plus jeune de ce nom-là, à défaut d'un pire.

La Nourrice. – Fort bien!

Mercutio. – C'est le pire qu'elle trouve fort bien! bonne remarque, ma foi, fort sensée, fort sensée.

La Nourrice, à Roméo. – Si vous êtes Roméo, monsieur, je désire vous faire une courte confidence.

Benvolio. – Elle va le convier à quelque souper.

Mercutio. – Une maquerelle! une maquerelle! une maquerelle! Taïaut!

Roméo, à Mercutio. – Quel gibier as-tu donc levé?

Mercutio. – Ce n'est pas précisément un lièvre, mais une bête à poil, rance comme la venaison moisie d'un pâté de carême. (Il chante.)

Un vieux lièvre faisandé,

Quoiqu'il ait le poil gris,

Est un fort bon plat de carême.

Mais un vieux lièvre faisandé

A trop longtemps duré,

S'il est moisi avant d'être fini.

Roméo, venez-vous chez votre père? Nous y allons dîner.

Roméo. – Je vous suis.

Mercutio, saluant la nourrice en chantant. – Adieu, antique dame, adieu, madame, adieu, madame. (Sortent Mercutio et Benvolio.).

La Nourrice. – Oui, Morbleu, adieu! Dites-moi donc quel est cet impudent fripier qui a débité tant de vilenies?

Roméo. – C'est un gentilhomme, nourrice, qui aime à s'entendre parler, et qui en dit plus en une minute qu'il ne pourrait en écouter en un mois.

La Nourrice. – S'il s'avise de rien dire contre moi, je le mettrai à la raison, fût-il vigoureux comme vingt freluquets de son espèce; et si je ne le puis moi-même, j'en trouverai qui y parviendront. Le polisson! le malotru! Je ne suis pas une de ses drôlesses; je ne suis pas une de ses femelles! (À Pierre.) Et toi aussi, il faut que tu restes coi, et que tu permettes au premier croquant venu d'user de moi à sa guise!

Pierre. – Je n'ai vu personne user de vous à sa guise; si je l'avais vu, ma lame aurait bien vite été dehors, je vous le garantis. Je suis aussi prompt qu'un autre à dégainer quand je vois occasion pour une bonne querelle, et que la loi est de mon côté.

La Nourrice. – Vive Dieu! je suis si vexée que j'en tremble de tous mes membres!… Le polisson! le malotru!… De grâce, monsieur un mot! Comme je vous l'ai dit, ma jeune maîtresse m'a chargée d'aller à votre recherche… Ce qu'elle m'a chargée de vous dire, je le garde pour moi… Mais d'abord laissez-moi vous déclarer que, si vous aviez l'intention, comme on dit, de la mener au paradis des fous, ce serait une façon d'agir très grossière, comme on dit: car la demoiselle est si jeune! Si donc il vous arrivait de jouer double jeu avec elle, ce serait un vilain trait à faire à une demoiselle, et un procédé très mesquin.