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Pâris. – C'est ce banni, ce Montague hautain qui a tué le cousin de ma bien-aimée: la belle enfant en est morte de chagrin, à ce qu'on suppose. Il vient ici pour faire quelque infâme outrage aux cadavres: je vais l'arrêter… (Il s'avance.) Suspends ta besogne, impie, vil Montague: la vengeance peut-elle se poursuivre au-delà de la mort? Misérable condamné, je t'arrête. Obéis et viens avec moi; car il faut que tu meures.

Roméo. – Il le faut en effet, et c'est pour cela que je suis venu ici… Bon jeune homme, ne tente pas un désespéré, sauve-toi d'ici et laisse-moi… (Montrant les tombeaux.) Songe à tous ces morts, et recule épouvanté… Je t'en supplie, jeune homme, ne charge pas ma tête d'un péché nouveau en me poussant à la fureur. Oh! va-t'en. Par le ciel, je t'aime plus que moi-même, car c'est contre moi-même que je viens ici armé. Ne reste pas, va-t'en; vis, et dis plus tard que la pitié d'un furieux t'a forcé de fuir.

Pâris, l'épée à la main. – Je brave ta commisération, et je t'arrête ici comme félon.

Roméo. – Tu veux donc me provoquer? Eh bien, à toi, enfant. (Ils se battent.)

Le Page. – Ô ciel! ils se battent: je vais appeler le guet. (Il sort en courant.)

Pâris, tombant. – Oh! je suis tué!… Si tu es généreux, ouvre le tombeau et dépose-moi près de Juliette. (Il expire.)

Roméo. – Sur ma foi, je le ferai. (Se penchant sur le cadavre.) Examinons cette figure: un parent de Mercutio, le noble comte Pâris! Que m'a donc dit mon valet? Mon âme, bouleversée, n'y a pas fait attention… Nous étions à cheval… Il me contait, je crois, que Pâris devait épouser Juliette. M'a-t-il dit cela, ou l'ai-je rêvé? Ou, en l'entendant parler de Juliette, ai-je eu la folie de m'imaginer cela? (Prenant le cadavre par le bras.) Oh! donne-moi ta main, toi que l'âpre adversité a inscrit comme moi sur son livre! Je vais t'ensevelir dans un tombeau triomphal… Un tombeau? Oh! non, jeune victime, c'est un Louvre splendide, car Juliette y repose, et sa beauté fait de ce caveau une salle de fête illuminée. (Il dépose Pâris dans le monument.) Mort, repose ici, enterré par un mort. Que de fois les hommes à l'agonie ont eu un accès de joie, un éclair avant la mort, comme disent ceux qui les soignent… Ah! comment comparer ceci à un éclair? (Contemplant le corps de Juliette.) Mon amour! ma femme! La mort qui a sucé le miel de ton haleine n'a pas encore eu de pouvoir sur ta beauté: elle ne t'a pas conquise; la flamme de la beauté est encore toute cramoisie sur tes lèvres et sur tes joues, et le pâle drapeau de la mort n'est pas encore déployé là… (Allant à un autre cercueil.) Tybalt! te voilà donc couché dans ton linceul sanglant! Oh! que puis-je faire de plus pour toi? De cette même main qui faucha ta jeunesse, je vais abattre celle de ton ennemi. Pardonne-moi, cousin. (Revenant sur ses pas.) Ah! chère Juliette, pourquoi es-tu si belle encore? Dois-je croire que le spectre de la Mort est amoureux et que l'affreux monstre décharné te garde ici dans les ténèbres pour te posséder?… Horreur! Je veux rester près de toi, et ne plus sortir de ce sinistre palais de la nuit; ici, ici, je veux rester avec ta chambrière, la vermine! Oh! c'est ici que je veux fixer mon éternelle demeure et soustraire au joug des étoiles ennemies cette chair lasse du monde… (tenant le corps embrassé.) Un dernier regard, mes yeux! Bras, une dernière étreinte! Et vous, lèvres, vous, portes de l'haleine, scellez par un baiser légitime un pacte indéfini avec le sépulcre accapareur! (Saisissant la fiole.) Viens, amer conducteur, viens, âcre guide. Pilote désespéré, vite! lance sur les brisants ma barque épuisée par la tourmente! À ma bien-aimée! (Il boit le poison.) Oh! l'apothicaire ne m'a pas trompé: ses drogues sont actives… Je meurs ainsi… sur un baiser! (Il expire en embrassant Juliette.)

Frère Laurence paraît à l'autre extrémité du cimetière, avec une lanterne, un levier et une bêche.

Laurence. – Saint François me soit en aide! Que de fois cette nuit mes vieux pieds se sont heurtés à des tombes! (Il rencontre Balthazar étendu à terre.) Qui est là?

Balthazar, se relevant. – Un ami! quelqu'un qui vous connaît bien.

Laurence, montrant le tombeau des Capulets. – Soyez béni!… Dites-moi, mon bon ami, quelle est cette torche là-bas qui prête sa lumière inutile aux larves et aux crânes sans yeux? Il me semble qu'elle brûle dans le monument des Capulets.

Balthazar. – En effet, saint prêtre; il y a là mon maître, quelqu'un que vous aimez.

Laurence. – Qui donc?

Balthazar. – Roméo.

Laurence. – Combien de temps a-t-il été là?

Balthazar. – Une grande demi-heure.

Laurence. – Viens avec moi au caveau.

Balthazar. – Je n'ose pas, messire. Mon maître croit que je suis parti; il m'a menacé de mort en termes effrayants, si je restais à épier ses actes.

Laurence. – Reste donc, j'irai seul… L'inquiétude me prend: oh! je crains bien quelque malheur.

Balthazar. – Comme je dormais ici sous cet if, j'ai rêvé que mon maître se battait avec un autre homme et que mon maître le tuait.

Laurence, allant vers le tombeau. – Roméo! (Dirigeant la lumière de sa lanterne sur l'entrée du tombeau.) Hélas! hélas! quel est ce sang qui tache le seuil de pierre de ce sépulcre? Pourquoi ces épées abandonnées et sanglantes projettent-elles leur sinistre lueur sur ce lieu de paix? (Il entre dans le monument.) Roméo! Oh! qu'il est pâle!… Quel est cet autre? Quoi, Pâris aussi! baigné dans son sang! Oh! quelle heure cruelle est donc coupable de cette lamentable catastrophe?… (Éclairant Juliette.) Elle remue!

Juliette s'éveille et se soulève.

Juliette. – Ô frère charitable, où est mon seigneur? Je me rappelle bien en quel lieu je dois être: m'y voici… Mais où est Roméo?

Rumeur au loin.

Laurence. – J'entends du bruit… Ma fille, quitte ce nid de mort, de contagion, de sommeil contre nature. Un pouvoir au-dessus de nos contradictions a déconcerté nos plans. Viens, viens, partons! Ton mari est là gisant sur ton sein, et voici Pâris. Viens, je te placerai dans une communauté de saintes religieuses; pas de questions! le guet arrive… Allons, viens, chère Juliette. (La rumeur se rapproche.) Je n'ose rester plus longtemps. (Il sort du tombeau et disparaît.)

Juliette. – Va, sors d'ici, car je ne m'en irai pas, mais, qu'est ceci? Une coupe qu'étreint la main de mon bien-aimé? C'est le poison, je le vois, qui a causé sa fin prématurée. L'égoïste! il a tout bu! il n'a pas laissé une goutte amie pour m'aider à le rejoindre! Je veux baiser tes lèvres: peut-être y trouverai-je un reste de poison dont le baume me fera mourir… (Elle l'embrasse.) Tes lèvres sont chaudes!